Edvard Munch et Yayoi Kusama
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Edvard Munch et Yayoi Kusama

Centre Georges Pompidou, jusqu’au 9 janvier 2012. Yayoi Kusama.

Voici deux œuvres complètement différentes, si ce n’est qu’elles sont exposées toutes deux au Musée Pompidou. Chacune plonge le spectateur dans un univers expressif, personnel et singulier. Toutes deux magnifiques, mais avec des esthétiques très éloignées. Elles posent néanmoins une même question au spectateur, c’est celle du rapport entre la psychose et la création artistique.

Les deux artistes, le Norvégien Edvard Munch et la Japonaise Yayoi Kusama, ont en effet un parcours existentiel traversé par des épisodes psychotiques et des séjours psychiatriques, dont on peut se demander quel est le lien avec leur création.

Edvard Munch, célèbre par son tableau Le Cri, a eu une jeunesse agitée, marquée par des deuils, l’alcool, des hallucinations et des délires paranoïaques. « J’étais déjà un être malade en venant au monde. La neige froide recouvre mes racines. (…)  Ainsi l’arbre de ma vie était maudit dès le départ ». En 1908, diagnostiqué d’un syndrome de persécution et de paranoïa, il fait un long séjour dans un service neurologique à Copenhague. Puis, calmé, cessant de voyager, il se retire dans une maison près d’Oslo où il peint jusqu’à sa mort en 1944. Comment comprendre ce changement radical ? Toujours est-il que Munch a produit aussi bien avant qu’après cette crise des œuvres d’une force inouïe. Le mystère reste donc entier.

Le trajet de Yayoi Kusama est plus étonnant encore. Artiste japonaise multi-média très douée, elle a quitté le Japon pour s’installer à New-York, en 1957, à 28 ans, où elle était la reine du Pop pendant les années 60-70.  Puis, après une grave crise psychique, elle s’est retirée au Japon en 1973, où elle réside depuis plus de trente ans dans une institution psychiatrique, selon sa propre volonté. Ce qui ne l’empêche pas de créer, puisqu’elle est l’auteur d’une œuvre littéraire très reconnue au Japon et qu’elle se rend chaque jour dans son atelier où elle continue de produire des tableaux que l’on peut voir dans l’exposition. La rétrospective montre l’extraordinaire richesse de cette œuvre très inspirante, diverse tout en étant cohérente, tragique et ludique à la fois. Peintures, sculptures, textiles, installations, performances, photos, vidéos, Yayoi Kusama, infatigable, est comme un chef d’orchestre qui dirige tous les instruments.

Là encore, quel rapport entre l’œuvre et la psychose ? L’œuvre de Yayoi Kusama s’origine dans une expérience hallucinatoire qu’elle a vécue à 10 ans. Assise à la table familiale, raconte-t-elle, les fleurs rouges de la nappe se multiplient sur le plafond, les murs, le sol, elle-même. Impression inquiétante d’anéantissement et de dissolution – mais aussi d’éblouissement esthétique ? – qu’elle ne cessera de rendre figurable et partageable. L’exposition débute par une ins-tallation qui reproduit cette scène. Puis toute son œuvre la reprend avec, entre autres, les Mirror Rooms, dont deux sont exposés à Beaubourg, pièces tapissés de miroirs, sur fond d’eau, qui reflètent à l’infini, l’un des immenses baudruches rouges aux pois blancs, l’autre une multitude de lumières scintillantes multicolores, nous faisant entrer dans un univers enchanteur et poétique.

Ce que montrent ces trajets artistiques, c’est que l’artiste est capable d’actualiser des potentialités psychotiques au service de son œuvre. L’expérience psychotique apparaît dès lors non pas comme une catégorie nosographique, mais comme une expérience humaine universelle, qui peut être une source de créativité.