EXPOSITION, Arnold Schönberg, Peindre l’âme, Musée d’Histoire du Judaïsme, Jusqu’au 29 janvier 2017
C’est toujours assez paradoxal lorsqu’un musée fait une exposition sur un artiste qui n’est pas peintre. Après Apollinaire, Baudelaire, Oscar Wilde, voici Arnold Schönberg, qui est compositeur. Ces expositions ont le mérite de montrer des aspects inattendus des artistes et d’ouvrir les frontières entre les différents arts. Pour Schönberg, on découvre ici sa production picturale qui est peu connue et on voit qu’elle est importante, mais d’une importance toute relative. On pourrait tout ignorer des tableaux de Schönberg sans que cela empêche de mesurer l’ampleur et l’impact de son œuvre musicale. Inversement, si on ne connaissait de Schönberg que ses tableaux, il ne dépasserait guère la catégorie de peintres de moindre importance. Il y a là une suite de toiles, des visages, surtout des autoportraits, qui nous scrutent. Schönberg tenait à intituler ces œuvres « Regards » plutôt que portraits. En effet, ce qu’on voit, c’est essentiellement un regard fixe, frontal, qui semble poser de manière inlassable, voire un peu lassante, la même question. Mais la réponse à la question n’est pas dans les tableaux, elle est dans les œuvres musicales. Et il faut absolument prendre le temps d’écouter les extraits d’œuvres proposés dans les salles avec des casques. Sinon, l’exposition n’a pas beaucoup de sens. Ce serait une erreur de considérer que Schönberg est un peintre. C’est un compositeur génial, qui a eu recours à la peinture, pour « donner une expression à des états d’âme qui ne trouvent pas une forme musicale », selon Kandinsky, avec lequel il était très lié.
Mais Schönberg s’adonne à la peinture surtout à certains moments de sa vie, ce qui donne aux toiles une valeur autobiographique, plus qu’artistique. A la limite, on en apprend plus sur son rapport à la création musicale dans les salles où il n’y a pas de peintures, mais des jeux qui le passionnaient. Une majorité des œuvres exposées date des années 1908-1912, où il traversait une période difficile. En 1908, il découvre l’atonalité qui représente, en musique, une révolution comparable à l’abstraction pour la peinture.
Il était lié avec un jeune peintre très doué, Richard Gerstl, qui séjournait chez lui, ainsi que d’autres artistes ou élèves, pendant les vacances, et qui lui donnait des cours de peinture. A l’été 1907, Gerstl a eu une relation amoureuse avec la femme de Schönberg, Mathilde, femme très cultivée musicalement, sœur de Zemlinsky, celui qui avait initié à la musique le jeune Schönberg, qui était autodidacte. Lorsque Schönberg s’aperçut de cette liaison, Mathilde s’est enfuie de son domicile pour partir avec Richard Gerstl. Désespéré, Schönberg a fait intervenir Alban Berg pour ramener Mathilde et le couple a décidé de rester ensemble pour les enfants. Quelque temps après, en 1908, Richard Gerstl, très isolé car tout le milieu artistique lui tournait le dos, se suicide. On voit dans l’exposition les magnifiques portraits que Gerstl a faits de la famille Schönberg. Il aurait certainement été un grand peintre s’il n’était pas mort à 23 ans.
C’est lors de cette période dramatique, que Schönberg, ne parvenant plus à composer, a peint cette série obsessionnelle d’autoportraits, qui semblent sidérés, sans mots. Mais la résonance de ce drame sentimental, on la trouve dans la musique, en particulier dans le très beau Erwartung, composé en 1909.
A la demande de Schönberg, ce monodrame de 30 minutes est écrit par Marie Pappenheim, poète et médecin, parente de Bertha, et très proche de la psychanalyse.
Une femme seule en scène, la nuit, dans la forêt, attend son amant qui ne vient pas. Dans une ambiance irréelle, onirique, inquiétante, hallucinatoire, elle bute sur un corps. Celui de l’amant ? On ne sait pas très bien si elle ne l’a pas tué elle-même, envahie par des angoisses d’abandon et une terrible jalousie. Elle est confrontée à une immense solitude, maintenant que son amant est mort.
« Mon amour, mon amour, le jour se lève…
Que ferais-je ici toute seule ?
Dans cette vie sans fin…
Dans ce rêve sans limites ni couleurs… »
Il est étonnant combien cette œuvre est l’expression des sentiments qu’a pu éprouver Mathilde, qui a dit à une amie, qu’elle ne savait pas lequel des deux était le plus à plaindre, Richard qui était mort, ou elle devant survivre dans la solitude et la tristesse. A quel point Schönberg a pu, avec sa musique, et par poétesse-psychanalyste interposée, s’identifier à la femme meurtrie, à la (sa propre) jalousie amoureuse, et en même temps révolutionner la musique.