Le cubisme
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Le cubisme

Est-ce que les musées se sont concertés ? L’exposition Cubisme du Centre Pompidou vient à point nommé dans la continuation de celle d’Orsay. On laisse Picasso à Orsay avec les derniers tableaux de la période bleue et rose, on quitte à regret les merveilleux saltimbanques et on traverse la Seine pour voir à Beaubourg ce que cet artiste de génie – on ne cesse de le dire et de le constater même si ça devient un peu agaçant – a fait dans les années suivantes. Il a inventé le cubisme avec Braque. Rien que ça !

Le cubisme, tout en étant un courant artistique très connu, n’est en fait pas facile à comprendre, car on a tendance à confondre cubisme et abstraction. L’exposition du Centre Pompidou est importante dans la mesure où elle rend compte, d’une manière assez didactique, de tous les enjeux de ce courant de l’histoire de l’art, qui n’a duré que très peu de temps, une dizaine d’années de 1907 à 1917, mais a eu beaucoup d’influence à long terme.

En 1906-1907, marqué par les arts primitifs et en particulier la visite du Musée d’ethnographie du Trocadéro, Picasso commence à travailler aux Demoiselles d’Avignon. En novembre 1907, Braque se rend avec Apollinaire dans l’atelier de Picasso au Bateau-Lavoir et reçoit un choc en voyant cette œuvre qui remet en question toute la peinture réaliste académique et inaugure le cubisme. Le mot cubisme viendrait de Matisse qui disait « Braque peint des petits cubes ».

A partir de là, les deux artistes se fréquentent et inventent ensemble cette nouvelle approche qui constitue une réinterprétation de la perception du monde avec l’abandon de la perspective traditionnelle, en quête d’une représentation de l’objet dans son intégralité et non tel que l’œil le perçoit.

Ils se voient tous les soirs pour discuter de leur travail, leurs trouvailles de la journée. Ils passent ensemble l’été 1911 à Céret, dans une fièvre créatrice.

C’est fascinant de voir ces deux artistes, en contact quotidien, déployant une activité créatrice assez frénétique, se relançant l’un l’autre. On a l’impression que les idées nouvelles viennent plutôt de Braque, reprises immédiatement par Picasso avec cette capacité cannibalique qu’il a eue toute sa vie, de se saisir et de s’approprier tout ce qui se présente et peut nourrir sa soif inextinguible de renouvellement créateur. Guillaume Apollinaire, dont on retrouve des citations tout au long de l’exposition en commentaire des œuvres, a soutenu le mouvement dès le départ, et fait l’inventaire de leurs inventions. « On pourra peindre avec ce qu’on voudra, avec des pipes, des timbres-poste, des cartes postales ou à jouer, des candélabres, des morceaux de toile cirée, des faux-cols, du papier peint, des journaux ».

Picasso et Braque ont été accompagnés et suivis, parfois précédés, par d’autres peintres, Delaunay, Villon, Duchamp, Gleizes, Metzinger, Henri Laurens, Léger, Picabia… Mais là encore force est de constater que les œuvres de Picasso dominent les autres. La salle des premières peintures cubistes est époustouflante de beauté. Et la démarche des suiveurs n’est pas la même, eux qui ont voulu introduire le cubisme dans les salons, ce que les deux fondateurs refusaient catégoriquement. Néanmoins, au regard de la quantité et de la qualité des œuvres produites dans ce sillage, leurs œuvres témoignent de la fécondité de l’invention du cubisme dans tous les domaines : dessin, sculpture, arts décoratifs, collages. C’est la Grande guerre qui a mis radicalement un terme à ce mouvement en 1917. « Le 2 août 1914, j’ai conduit Braque et Derain à la gare d’Avignon, je ne les ai jamais revus », écrit Picasso. Il les a revus, bien sûr, mais Braque avait été très blessé à la guerre, et a mis plusieurs années avant de pratiquer à nouveau la peinture.

A ce moment-là, impossible de reprendre le dialogue avec Picasso, engagé sur d’autres voies. Mais les leçons du cubisme, et en particulier son ouverture sur l’abstraction, restent vivantes dans l’art du XXe et du XXIe siècle, comme le montre la dernière salle avec les très belles toiles iconiques de Malevitch, Mondrian, Rothko.