Récit d’un voyage intérieur, Musée Guimet, du 7 septembre au 7 novembre 2011
C’est le scoop de la rentrée : le Musée Guimet expose une œuvre inédite de C.G. Jung, Le Livre Rouge, qui constitue une véritable révélation d’un aspect mal connu de l’existence et de la personnalité de Jung. Oeuvre visionnaire qui retrace des expériences ésotériques, mystiques, voire psychotiques que Jung rédigea entre 1913 et 1930.
Cette œuvre étonnante est constituée de textes et d’images, que Jung a pris soin de calligraphier et de dessiner sur des papiers parcheminés, pendant seize ans, avec le plus grand soin, puis de relier dans une couverture en cuir rouge foncé impressionnante, d’un poids de 7 kilos, qui lui donne une allure de grimoire alchimique, ou encore une production d’art brut. L’ouvrage n’a été publié qu’en 2009, cinquante ans après la mort de Jung, cinquante ans pendant lesquels le manuscrit était caché, connu de très peu de monde, gardé dans les coffres d’une banque zurichoise. C’est l’histoire d’un homme qui a perdu son âme et la recherche en décrivant son voyage intérieur, animé de voix, hallucinations, vacillements de l’identité.
Le Musée Guimet est le lieu approprié pour découvrir cet objet étrange (qui vient d’être traduit en français), parce que Jung a été largement inspiré par l’art et la pensée asiatiques, en particulier le bouddhisme.
Le Musée Guimet possède une magnifique collection de mandalas qui sont accrochés à côté des pages du Livre Rouge et constituent un des points forts de l’exposition. Jung avait découvert ces mandalas de Guimet, lors de son voyage à Paris en 1902-1903, auprès de Janet, et en avait dit l’importance. Dès 1916, il les utilise comme des « expressions de soi », lui permettant de représenter et développer sa cosmologie personnelle et la théorie des archétypes universels, qui est un des fondements de sa pensée. Ce qui nous intéresse, c’est que Jung s’est lancé dans cette démarche immédiatement après la rupture avec Freud. Comme une manière de réagir au traumatisme de la rupture avec le maître, autrement que Rank qui est parti, que Tausk qui s’est suicidé, que Ferenczi qui en est mort de maladie… Il a évoqué longtemps après, en 1954, cet épisode comme primordiale et constitutive de toute sa pensée à venir : « ce flot qui me submergeait et menaçait de me briser. Il y avait là une matière première à traiter pour laquelle l’espace d’une seule vie ne peut suffire. où ce qui est venu ensuite n’en a plus été que la mise en ordre extérieure, l’élaboration scientifique et l’intégration à la vie. Mais le germe lumineux qui renfermait déjà tout, l’origine, c’était en ce temps. »
On pourrait dire que Le Livre Rouge est l’équivalent pour Jung de l’Interprétation des Rêves pour Freud, car là se trouve le matériau qui permet à chacun de développer son système de pensée, à partir d’une expérience fondatrice : Freud en quête de rêves comme voie royale vers l’inconscient et Jung prospectant les expériences psychopathologiques comme des modalités privilégiées pour découvrir l’inconscient. Mais les deux hommes n’ont pas la même conception de l’inconscient, ce qui a amené leur séparation. Et on comprend que Freud ait voulu se distancier de Jung, dont l’intérêt pour les phénomènes occultes et parapsychologiques amène à mille lieues de l’univers scientifique, déterministe, de Freud, qui ne pouvait que se refuser de s’éloigner ainsi des rivages de la rationalité occidentale.
Un petit reproche pour cette exposition : il n’y a pas de catalogue et donc on repart soit avec les 7 kilos du Livre Rouge, soit rien du tout… Mais pour poursuivre sur cette re-découverte de Jung (ou plutôt découverte, tant Jung fait l’objet d’un tabou dans les milieux psychanalytiques freudiens en France), on pourra aller voir le film de David Cronenberg (sortie décembre 2011), A Dangerous Method, qui raconte l’histoire de Sabina Spielrein, prise dans les enjeux entre Freud et Jung.