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Sophie Calle : Beau doublé, Monsieur le Marquis ! Paris, Musée de la Chasse et de la Nation. Jusqu’au 11 février 2018

Avant d’aller faire la queue à la Fondation Vuitton, pour voir les œuvres de la MoMA, l’exposition phare de la saison, allez découvrir un endroit beaucoup plus discret, le Musée de la Chasse et de la Nature, pour l’exposition de Sophie Calle. Depuis quelques années, ce musée qui baignait jusqu’alors dans une délicieuse ambiance un peu désuète, s’ouvre à des artistes contemporains qui y installent leurs œuvres, au milieu des innombrables objets relatifs à la chasse, disposés à la manière d’un cabinet de curiosité, armes, tableaux et surtout animaux naturalisés. Voici donc Sophie Calle dans ces salons magnifiques d’un hôtel du Marais du 18e, où elle a invité une amie artiste, Sérena Corone à montrer des œuvres en résonance avec son univers.

Sophie Calle est une artiste française contemporaine, photographe, écrivaine, plasticienne et cinéaste, qui propose depuis plusieurs décennies des œuvres-performances extrêmement originales, mêlant autobiographie et fiction, au hasard des événements. C’est elle qui avait suivi des inconnus dans la rue, en particulier un homme qu’elle a suivi jusqu’à Venise. C’est elle qui a invité des gens pris au hasard à venir dormir quelques heures dans son lit, Les Dormeurs. Pour L’Hôtel, elle avait obtenu une place de femme de chambre dans un hôtel vénitien pour photographier la traces du passage (lits pas encore faits, serviettes laissées dans la salle de bains, poubelles pas encore vidées, etc.) des clients. Pour La Filature, Sophie Calle a demandé à sa mère d’embaucher un détective privé pour la faire suivre, mais qu’elle-même a fait suivre par un ami. Ce qui donne lieu aux photos et aux descriptifs de ses allées et venues par le détective, et, en miroir, les photos et déplacements du détective.

Les œuvres de Sophie Calle sont toujours intimement liées à sa vie personnelle, en particulier les déceptions amoureuses. Ici, il s’agit de la mort récente de son père, médecin reconnu et collectionneur d’art, dont le regard sur son œuvre a été essentiel pour elle. Elle dit être devenue une artiste pour que son père la remarque. « Ton regard va me manquer ». Et tout son parcours évoque le thème du regard et de la mort. Au fil des salles, cabinet des singes, salon des chiens, salle du cerf et des loups, le spectateur, qu’elle sollicite de manière très interactive, cherche les objets surprenants qu’elle y a disposés, tel un jeu de piste. Sculptures, photos, mais surtout des textes, beaucoup de textes, car Sophie Calle est une remarquable conteuse. Elle se définit elle-même comme « artiste narratrice ».

Elle semble tout à fait à l’aise dans cet univers d’animaux, elle qui vit entourée d’animaux. « J’ai eu trois chats. Felix mourut enfermé par inadvertance dans le frigidaire. Zoé me fut enlevée à la naissance d’un petit frère que j’ai haïpour cela. Nina fut étranglée par un homme jaloux qui, plusieurs mois auparavant, m’avait imposé l’alternative suivante : dormir avec le chat ou avec lui. J’avais choisi le chat ». Mais ce sont surtout des animaux empaillés qui l’entourent. « Il y a chez moi près d’une centaine d’animaux naturalisés auxquels j’ai donné les noms de ceux qui me sont proches. Entre-temps onze sont morts (…) Dans mon testament, je lègue à chacun de mes amis son animal en héritage. Seulement à qui confier les morts ? J’ai pensé qu’ils pourraient m’accompagner. Et comme ma pensée vagabondait par là, Serena m’a proposé de créer mon gisant pour le tombeau qui nous accueillera tous ». C’est l’œuvre Deuil pour Deuil que l’on peut voir dans l’exposition.

En arrivant au Musée, le premier geste de Sophie Calle a été de recouvrir d’un tissu blanc le grand ours blanc naturalisé, la « vedette » du Musée, qui lui fait peur. Voile de mariée ou linceul ? Fantôme ? « C’est un vieil habitant du musée, celui avec lequel on se fait prendre en photo. Il établit un lien avec l’imaginaire enfantin. Quand je le contemple, je vois toujours un animal vivant, mais sous ce drap il meurt, il redevient un objet ».

Est-ce que l’art consiste à dissimuler, puis à transformer, l’objet de nos peurs ? Au-delà de ses aspects drôles et ludiques, l’œuvre de Sophie Calle est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Elle joue sur les apparences et les métamorphoses, les vivants et les morts. Dans une salle, elle invite le visiteur à écrire sur les pages d’un livre d’or qui pose la question « Que faites-vous de vos morts ? » Après trois jours d’exposition, le cahier est déjà plein…