Franz Marc / Auguste Macke
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Franz Marc / Auguste Macke

Franz Marc / August Macke. L’aventure du Cavalier bleu, Musée de l’Orangerie, Paris, Jusqu’au 17 juin 2019

Ils portent presque le même nom, ils sont allemands tous deux, ils étaient amis, ils étaient peintres et ils sont morts tous deux sur le champ de bataille de la première guerre mondiale. Ils faisaient partie du mouvement expressionniste allemand, Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), qui a eu une grande importance artistique, mais a été de courte durée, interrompu par la guerre, dans laquelle les deux artistes s’engagent. Macke meurt en septembre 1914 à l’âge de 27 ans, Marc tombe à Verdun en mars 1916 à l’âge de trente-six ans.

Franz Marc et Auguste Macke font partie de ces peintres allemands très peu connus en France pour des raisons historiques, l’ostracisme pratiqué contre les artistes allemands par les musées français (le Centre Pompidou ne possède aucune œuvre du Blaue Reiter), mais aussi tout bêtement parce qu’ils sont morts et que la suite de l’histoire est écrite par les survivants, Kandinsky et Klee, qui ont continué à peindre et à être exposés, alors que pour Macke et Marc, on ne sait pas ce qui aurait été leur œuvre future. Franz Marc a participé à l’invention de l’abstraction. S’il avait vécu, serait-il devenu abstrait ? Ou, n’ayant jamais entièrement abandonné la figuration, aurait-t-il gardé comme Klee les deux modes d’expression ?

Macke et Marc se sont rencontrés en 1910. Macke, vivant à Bonn, venait à Münich pour voir des peintures avant-gardistes et, dans une galerie, il tombe sur des œuvres de Franz Marc, de neuf ans son aîné. Enthousiasmé, il se rend dès le lendemain à l’atelier de Marc et c’est le début d’une amitié très fertile, qui a duré jusqu’à leur mort prématurée. Pourtant ils avaient des personnalités très différentes et leurs œuvres ne se ressemblent pas. Marc plutôt mélancolique, Macke extraverti. De plus, contrairement à ce que suggère l’intitulé de l’exposition, Le Cavalier bleu a été fondé par Franz Marc et Kandinsky, tandis que Macke s’en est très vite éloigné. Lui, le pragmatique bon vivant, n’adhérait pas à la dimension spirituelle que partageaient Marc, qui avait étudié la théologie et la philologie, et Kandinsky qui a écrit Du spirituel dans l’Art. « Marc aimait les chevaux, moi les cavaliers », dit Kandinsky, et tous deux aimaient le bleu, couleur de la spiritualité.

Mais le grand intérêt de cette exposition, ce sont les merveilleux tableaux d’animaux de Franz Marc, en particulier les chevaux qu’il adorait. Chevaux bleus, qu’il peint avec empathie et une vision symboliste et idéalisée. Rien à voir avec « l’art animalier ». Il s’éloigne de la figuration humaine pour se consacrer à l’animal, qui représente bonté, innocence, beauté, vérité. Il opère un renversement de perspective radical. Plutôt que de représenter l’animal tel que l’homme le voit, il cherche à rendre la façon dont l’animal perçoit le monde : « Quelle vision un cheval a-t-il du monde ? (…) Quel aspect misérable et quelle absence totale d’âme a notre propre convention qui consiste à placer les animaux dans un paysage appartenant à notre propre vision des choses, au lieu de nous plonger dans l’âme du monde animal afin de deviner son domaine d’images. »

Qu’est donc pour Franz Marc cette figure du cheval à laquelle il est si profondément identifié, au point de vouloir « ressentir les vibrations de sa vie intérieure » ou de les peindre « tels qu’ils sont réellement, tels que la forêt ou le cheval se sentent eux-mêmes, leur essence absolue ». Il a dit qu’il n’aimait pas que l’œuvre soit comme une image en miroir de lui-même. Le cheval est-il une figure qui permet d’explorer l’altérité de manière plus radicale ? En quoi il serait éminemment moderne.

La philosophe Elisabeth de Fontenay, spécialiste de l’animalité, auteur de l’ouvrage Le silence des bêtes (1998), a évidemment été très intéressée par cette œuvre, qui trouve une résonance, près d’un siècle plus tard, dans les préoccupations contemporaines autour de l’animalité.

Lors d’un séjour à Paris, Marc écrit : « C’est avec une sensation indescriptible de plaisir et de jouissance que je flâne à travers cette ville merveilleuse, tel un chevreuil parcourant une forêt enchantée dont il aurait rêvé depuis toujours ». Le voici de retour à Paris, un siècle plus tard, à l’Orangerie, avec ses animaux de rêve.