Il y a quelques années, invité à faire une présentation dans un congrès européen de psychanalyse, j’ai eu comme discutant un collègue de culture psychanalytique anglophone. Lorsque la discussion s’est engagée, mon interlocuteur a exprimé sa surprise que la partie d’élaboration théorique de mon propos fasse largement référence aux travaux de Freud relatifs à la question traitée. À mon tour, j’ai manifesté mon étonnement : avec quel auteur aurais-je pu commencer mon argument ? Mon interlocuteur avait une idée très précise. Freud est évidemment le fondateur de notre discipline. Mais est-ce qu’une intervention ou un article de physique d’aujourd’hui traitant de la relativité commence par des références à Einstein ? Est-ce que la présentation d’une recherche en neurophysiologie portant sur le système synaptique et les neuromédiateurs commence par Ramón y Cajal ? Et Copernic est-il toujours cité en premier dans les congrès des astrophysiciens ?
Il y a eu Freud, disait mon discutant, sans lequel la psychanalyse n’aurait pas existé. Mais, comme dans toute discipline scientifique, ses travaux ont été poussés plus loin par Melanie Klein, qui l’a de ce fait remplacé en tant que référence centrale, dans la mesure où ses recherches ont intégré et poussé plus loin l’œuvre de Freud. Et les travaux de Klein ont été remplacés de la même manière par Bion, qui est maintenant la référence centrale. Et nul doute que dans deux ou trois décennies, une nouvelle œuvre majeure – issue de Freud, Klein et Bion, mais en avançant et dépassant leurs travaux – sera la nouvelle référence centrale. Ainsi va la science. Et d’ailleurs, on voit bien que ceux qui se sont écartés de la logique freudienne initiale, qu’ils se réclament d’un « retour à Freud » comme Lacan, ou qu’ils assument leur singularité comme Winnicott sont, au fond, créateurs d’une…
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