“Groupe poussette” : un espace d’écoute, de parole et d’échange dédié aux mères et femmes enceintes souffrant d’un TCA
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“Groupe poussette” : un espace d’écoute, de parole et d’échange dédié aux mères et femmes enceintes souffrant d’un TCA

Il n’existe à ce jour encore que peu d’articles scientifiques, ni même de discussions parmi la population médicale et paramédicale, en ce qui concerne la grossesse et la maternité chez les femmes souffrant d’un TCA. Nous observons pourtant, dans notre pratique clinique, un nombre toujours croissant de femmes qui, présentant un TCA actuel ou passé, accèdent à la maternité. Et il est en outre désormais notoire que ces femmes soient surreprésentées dans les centres de procréation médicalement assistée.

Une donnée de notre observation clinique commence toutefois à faire l’objet de questionnements scientifiques : non seulement ces femmes taisent en général leur trouble actuel ou passé à leurs médecins endocrinologues/gynécologues, mais ces derniers ne s’enquièrent et ne s’inquiètent pas davantage d’un éventuel historique de pathologie alimentaire chez leurs patientes. Ce questionnement nous paraît d’autant plus important si l’on considère qu’une prise pondérale adéquate suffit le plus souvent à remédier aux troubles de l’ovulation liés à une dénutrition. Le début de nos réflexions autour de la problématique TCA, grossesse et maternité date d’une dizaine d’années. Dans un premier temps, des consultations cliniques dédiées ont été créées. Parallèlement, des travaux de recherche ont été mis en place, ainsi qu’un groupe de parole dédié exclusivement à cette population, le « Groupe Poussette ». Nous exposons dans cet article quelques-unes des réflexions issues de notre travail clinique avec ces femmes, et plus particulièrement celui effectué dans le cadre de ce groupe.

TCA, grossesse et maternalité

Les TCA surviennent le plus souvent pendant l’adolescence, moment d’émergence de la sexualité adulte, mais aussi de questionnements sur l’autonomie et l’identité propre. La période de la puberté s’accompagne de profonds remaniements psychiques et engendre un moment révélateur de la problématique dite de dépendance. Au moment où le sujet devrait faire face au deuil de l’enfance et aborder l’adolescence, celui souffrant d’un TCA connaîtrait, de façon largement inconsciente, une difficulté à intérioriser le processus d’individuation et de séparation. Dans cette perspective, les TCA peuvent apparaître, dès le début de l’adolescence, comme une défense face aux bouleversements et au processus de séparation d’avec les « imagos maternels » qu’elle implique. Les TCA seraient, dès lors, une façon symptomatique d’externaliser le conflit latent présent au sein du sujet. Celui-ci aurait tendance à créer des relations de dépendance avec des objets externes, sous forme de privation ou de prise excessive de nourriture, à défaut de pouvoir investir une réalité interne qui n’est pas en mesure de lui procurer un sentiment de sécurité « suffisamment bonne »1.

Le processus de maternalité2, qui est l’ensemble des processus psycho-affectifs qui se développent et s’intègrent chez la femme lors de la maternité, renvoie lui aussi à des remaniements psychiques fondamentaux et à des traits comparables à ceux observés durant l’adolescence : transformations corporelles et hormonales, changement de statut social, réactivation et remaniements des conflits infantiles. Cela représente une véritable étape du développement, ayant des remaniements psychiques3 propres à cette période, dont le déroulement dépendrait du problème central d’identification à la mère.

Accompagner des femmes souffrant d’un TCA pendant la période périnatale, c’est donc les accompagner durant l’une des étapes qui pourraient être les plus éprouvantes pour elles. Les études réalisées avec des femmes souffrant d’un TCA au cours de leur grossesse ont rendu des résultats allant dans le sens de notre pratique clinique, à savoir que la grossesse peut être vécue chez ces femmes de deux manières très différentes : soit d’une façon très idéalisée et épanouissante, avec une rémission des symptômes anorexiques et/ou boulimiques, notamment chez les patientes présentant un état somatique satisfaisant ; soit avec une intensification de ces symptômes, en particulier chez les patientes présentant un état somatique plus préoccupant. La grossesse vécue d’une façon idéalisée peut en effet donner à la femme un certain sentiment de protection, de complétude/réparation narcissique. Plusieurs patientes ont ainsi évoqué l’étymologie du terme « enceinte » pour décrire ce sentiment : « Je me sens comme si j’étais protégée, comme si c’était un rempart qui protège un château-fort, et que rien ne pouvait m’atteindre ».

Néanmoins, si la plupart des études tendent à souligner davantage les cas de rémission des symptômes TCA durant la grossesse, nous voulons attirer l’attention sur le fait qu’au cours de ces dernières années, toutes les patientes que nous avons vues débuter une grossesse dans un état somatique préoccupant, ont connu une intensification des symptômes TCA durant cette période. Certaines ont de plus subi des complications obstétricales extrêmement graves, même si les complications chez le nouveau-né ont été très rares. Lors d’une telle exacerbation des troubles alimentaires, les transformations corporelles peuvent être peu perçues, que ce soit par les femmes enceintes ou par leur entourage. Elles ne portent d’ailleurs parfois pas de vêtements de grossesse, voire même ne connaissent pas de changement de taille de vêtement durant cette période – laissant très peu de place à la construction d’un ventre maternel, physique et psychique. Toute transformation peut en effet être vécue de façon déstabilisante. Et au lieu de se laisser porter par la grossesse, on note au contraire chez ces femmes une exacerbation de l’activité physique, de la rigidité, du contrôle, et parfois des crises de vomissement, au détriment des projections fantasmatiques autour de la grossesse, de l’accouchement et de l’enfant à venir.

Quoi qu’il en soit durant la grossesse, les symptômes TCA ont, dans tous les cas, tendance à réapparaître de manière amplifiée lors du post-partum, y compris chez les patientes ayant été asymptomatiques durant des années. Mme A., 31 ans, mère d’un enfant, hospitalisée lors du post-partum, évoque n’avoir plus de TCA depuis 14 ans. « Après l’accouchement, j’ai commencé à manger de moins en moins, jusqu’à ne plus rien manger du tout, comme une spirale ». La dépression du post-partum est par ailleurs beaucoup plus présente que dans la population générale, et plus particulièrement chez les femmes souffrant d’une boulimie.

Parmi les difficultés fréquemment rencontrées par ces mères après la naissance, on peut notamment citer celles concernant l’alimentation de l’enfant. Nous remarquons d’abord, dans notre pratique clinique, des difficultés à la mise en place de l’allaitement. Certaines de ces femmes n’arrivent tout simplement pas à produire de lait, notamment en raison de la dénutrition, tandis que d’autres, qui pourraient allaiter, disent se sentir plus « rassurées » par le biberon, qui représente pour elles le moyen idéal de mesurer la quantité journalière exacte, prescrite par le pédiatre, à donner à leur enfant. Et lorsque l’allaitement a pu prendre place, le sevrage peut également se passer de façon plus difficile qu’avec une mère n’ayant jamais souffert d’un TCA. En effet, la séparation symbolisée par le sevrage est parfois vécue difficilement par ces femmes. Cette problématique d’identification/séparation se retrouve encore symbolisée par l’alimentation lorsque des inquiétudes importantes s’expriment concernant ce que l’enfant mange en dehors du contrôle de la mère. Les mères souffrant d’un TCA essaient en effet de suivre au pied de la lettre toutes les recommandations nutritionnelles qui leur ont été prescrites, et tout dépassement ou manquement peut être très anxiogène voire angoissant pour elles. Nous en avons d’ailleurs souvent entendues nous dire qu’elles préféraient ne pas savoir ce que leurs enfants mangeaient à la crèche, ou lors de séjours chez leurs grands-parents ou chez des amis. Dans d’autres cas extrêmes, nous avons vu des patientes sous-nourrir leurs enfants, ou les peser chaque jour. A l’inverse, certaines mères tentent de calmer toute crise infantile par le seul biais de l’allaitement, du biberon ou de la nourriture.

Nous remarquons par ailleurs chez les mères souffrant d’un TCA, et plus notamment chez les mères souffrant d’une anorexie, l’absence de tout jeu avec l’enfant, le jeu étant ici entendu au sens ludique d’un moment de loisir, de plaisir, baigné d’échanges, d’affects et de jeu proprement dit. Les jeux mis en place par ces mères ne le sont en général que dans un but éducatif. En outre, nous avons remarqué que les enfants de mères souffrant d’un TCA ont souvent beaucoup plus d’activités extra-scolaires que les autres enfants, comme s’il était nécessaire de remplir le moindre espace vide de leur emploi du temps. Et lorsqu’il a été dit à certaines de ces femmes que leur enfant devait parfois « ne rien faire », on retrouve là encore une forme de rigidité. Une mère nous a ainsi expliqué que, pour suivre les instructions de son psychiatre, chacun de ses trois enfants devait passer une heure chaque jour seul dans sa chambre, sans rien faire, avec pour objectif d’« apprendre à s’ennuyer ».

Le Groupe Poussette

Confrontées à ce type de situations cliniques, le Dr Alexandra Pham-Scottez (PH, psychiatre responsable de l’unité TCA de la C.M.M.E., Hôpital Sainte-Anne) a commencé à me faire part de certaines réflexions et inquiétudes cliniques en ce qui concerne la relation mère-enfant et le devenir des enfants de mères souffrant d’un TCA. Nous portions alors une attention particulière à toute mère hospitalisée ou en consultation ambulatoire. Dans un premier temps, des consultations en binôme furent organisées et un travail de recherche exploratoire initié. Cette étude, menée avec six mères souffrant d’un TCA, consistait en un entretien semi-structuré de vingt-six questions et deux rencontres d’une heure et demie environ avec chaque mère. Elle avait pour objectif de dégager les thèmes les plus récurrents chez ces femmes au moment du devenir mère. Nous nous sommes plus particulièrement intéressées à l’univers fantasmatique maternel puis, au sein de celui-ci, aux représentations de la mère liées à l’enfant et à la filiation transgénérationnelle maternelle. Ceci nous a amenées à une interrogation quant à une possible et inquiétante filiation (grand-mère/mère/petite-fille) dans la transmission d’une même problématique de dépendance. Nous avons par ailleurs pu faire de nombreuses observations ayant trait à la vulnérabilité narcissique et à la problématique majeure de séparation-individuation, qui se rejoue lors de la maternité. Enfin, nous nous sommes intéressées au père et au conjoint de ces femmes et à leurs places au sein de la famille.

De ces observations et réflexions naquit le « Groupe Poussette », un espace de parole, d’échange et de guidance dédié exclusivement aux femmes enceintes, ou mères d’un enfant de moins de trois ans, et souffrant d’un TCA. Entièrement réfléchi, construit et co-animé avec le Dr Alexandra Pham-Scottez, la création de ce groupe au sein de la C.M.M.E. a été rendue possible grâce au soutien financier de la Fondation de France. Après réflexion, le format du groupe a été dessiné : sept séances bimensuelles, d’une durée d’une heure et demie chacune, pour un groupe fermé de huit participantes maximum, leur présence à toutes les séances étant fortement recommandée. Sur une période de deux ans environ, nous avons ainsi organisé trois sessions de ce groupe. Avant le démarrage de chaque session, nous réalisions un entretien clinique ouvert avec chaque mère, et leur soumettions un questionnaire afin d’évaluer notre outil thérapeutique. A des fins de comparaisons, une même évaluation était réalisée à l’issue de la dernière séance. Chaque séance était consacrée à un thème spécifique, tout en laissant la possibilité à des associations ou questionnements de surgir. Les thèmes choisis furent les suivants : Le TCA dans ma vie ; Le TCA et la relation mère-enfant (l’allaitement, le sevrage, l’interaction autour des repas, les jeux…) ; Du statut de jeune fille à celui de mère de famille (repérage au sein des générations, lignée maternelle) ; Dois-je – et comment – expliquer le TCA à mon enfant ? La dynamique familiale. Le père du bébé. On n’a pas parlé de… Post-groupe : réflexions, questionnements et bilan collectif.

Même si la plupart des mères disaient se sentir rassurées lorsque nous citions et travaillions en nous appuyant sur des études scientifiques, notre objectif principal était de laisser place à leur parole, à leurs échanges et à la fonction miroir et enveloppante4 du groupe. Notre rôle de thérapeutes consistait à apporter par moments de la guidance et une fonction contenante, notamment face à des traits anxieux, mais surtout une écoute active. Le but était de favoriser la co-construction, au fil des séances, d’un espace transitionnel, dédié à la réflexion et à l’espace psychique du sujet, afin que les participantes puissent peu à peu désinvestir certaines parts de leurs troubles à la faveur d’une expression de soi plus créative. Le déroulement des séances reposait ainsi principalement sur le partage de l’expérience et du vécu de ces femmes en ce qui concerne leur trouble alimentaire, et permettait plus particulièrement d’exprimer les difficultés en lien avec le devenir mère.

Les séances sur le thème de la lignée transgénérationnelle maternelle sont celles qui suscitèrent le plus de discours et de discussion. Il en ressortait l’impression que le dysfonctionnement mère-enfant pourrait avoir été présent depuis plusieurs générations. Des interrogations autour d’un TCA qui se transmettrait de mère à fille, ainsi qu’autour de la relation mère-enfant en général, surgissaient fréquemment, comme si la fille, la mère et la grand-mère se « redupliquaient » ainsi dans une même soumission, dans une emprise narcissique se déployant sur plusieurs générations5. « Ce n’est que récemment que j’ai pu comprendre que je pouvais casser cette lignée familiale. Ma grand-mère a eu un TCA, et chez ma mère ce n’est pas très clair », nous dit Mme P., 31 ans, enceinte de son deuxième enfant. Elle nous explique par ailleurs que cela n’aurait pas été possible si elle n’avait pas accordé plus de place à son mari en tant que père de famille, en acceptant de se reposer en partie sur lui pour élever son enfant, et en laissant plus de place à la parole et aux échanges au sein du couple. Mme P. fait alors le lien avec son propre père, à qui sa mère laissait peu de place dans l’éducation des enfants, nous disant qu’elle ne voulait pas reproduire ce qu’elle avait vécu dans son enfance.

Les séances ayant pour thème la place du père du bébé ont ainsi révélé chez certaines mères une hyperactivité physique envers leurs enfants, au détriment d’un échange peau à peau, d’un holding/handling maternel5, mais aussi au détriment d’un équilibre des activités avec le père, et de la mise en place d’une triangulation oedipienne bien définie. Mme P., par exemple, prit conscience durant une séance que c’était elle qui s’occupait de tout pour son enfant de vingt mois, en particulier concernant l’alimentation, son mari étant « interdit d’y toucher ». Les maris ne semblent en effet pas occuper une place suffisamment solide au sein de leur psychisme. Certaines patientes sont alors parvenues à identifier cette défaillance au sein de leur dynamique de couple, et ce recours à l’agir, comme un aménagement afin de se sentir présentes au sein de leur famille : « Mais en fait, c’est être là sans être là ».

L’alimentation de l’enfant est également un sujet central revenant très fréquemment dans le groupe. Nous avons évoqué la question de l’indifférenciation entre soi et l’autre, ainsi que celle de l’identification projective envers son enfant : certaines mères disaient ainsi vouloir manger la même quantité d’aliments que leur enfant en bas âge. D’autres ont commencé, au fil du discours, à se rendre compte à quel point l’alimentation de leur enfant prenait une place importante dans leur vie, tant en termes de temps qu’elles y consacrent que psychiquement parlant. Elles parlent notamment du fait de vouloir toujours « trop bien » préparer les repas, sans qu’il n’y manque le moindre nutriment, tout en prenant garde de ne jamais utiliser de produits industriels, ou encore de leurs réelles inquiétudes par rapport à ce que l’enfant a ou aurait mangé en dehors de la maison. Certaines mères quant à elles témoignent ne plus manger à table avec leurs enfants, mais dans une salle à côté. Mme V., mère de trois enfants, à qui le mari aurait « interdit » un quatrième enfant, nous dit être dans cette situation, tout en soulignant l’épuisement de son mari par rapport à ses troubles ainsi que son souhait de pouvoir expliquer à ses enfants qu’elle souffre d’un TCA. D’autres mères ont partagé leur expérience d’apporter à leur enfant des repas qui semblent être assez déstabilisants et non contenants. Mme O. ne se posait ainsi jusqu’alors aucune question concernant le fait qu’elle laissait sa fille de 16 mois décider elle-même de ce qu’elle mangeait. Les différents aliments étalés sur la table, sa fille prenait ce qu’elle voulait : « Cela fait trois jours qu’elle ne veut manger que de la pastèque, donc c’est cela qu’elle mange ».

Enfin, nous avons ajouté lors de la seconde session une séance à la demande des mères elles-mêmes : Comment parler de mon TCA à mon enfant ? Cette séance prenait pour nous une valeur toute singulière. En effet, lors des premières séances, la plupart des mères nous faisaient part de leur sentiment, voire de leur certitude pour certaines, que leur TCA n’avait pas d’influence sur leurs enfants. Or, le fait même qu’elles fassent cette demande, et son contenu manifeste, témoignaient d’un besoin de recevoir une guidance et des réponses précises sur ce thème. Cette demande nous paraissait donc être révélatrice du fait que le partage d’expérience au sein du groupe, les conseils bienveillants comme parfois les critiques apportés par les autres participantes, avaient, au fil des séances, pu faire naître chez ces femmes des questionnements quant aux soins prodigués à leurs enfants, et quant au sentiment de sécurité affective qu’elles leur donnent. Le TCA maternel étant peu à peu reconnu comme une pathologie extérieure et non la base de son identité propre, l’enfant reçoit quant à lui plus de reconnaissance en tant que sujet différencié de sa mère. Tout l’objectif du « Groupe Poussette » ayant été autour d’un travail de co-élaboration afin que la mère puisse être plus psychiquement présente pour son enfant, afin de favoriser la construction de la psyché, du corps et ainsi de l’existence de l’autre.

Pour finir, les séances dites de bilan collectif nous permettaient de mieux analyser la valeur thérapeutique du « Groupe Poussette ». La plupart des patientes ont alors notamment exprimé le fait de s’être senties rassurées en tant que mères. Certaines ont souligné le fait qu’elles avaient réussi à séparer l’alimentation de leurs enfants de la leur, afin que celle-ci ne soit ni trop stricte, ni trop déstabilisante. La mère dont la fille ne mangeait que ce dont elle avait envie nous a ainsi déclaré s’être rendue compte qu’étaler les aliments sur la table lui permettait en fait de cacher à sa fille ce qu’elle (ne) mangeait (pas) elle-même. Plusieurs patientes ont fait part du fait que, selon elles, certaines participantes étaient devenues « plus vraies » au fil des séances, comme si elles avaient pu mieux exprimer leur moi, en agissant moins en faux-self. Et lors de la participation des femmes enceintes, nous avons pu remarquer leur écoute attentive et comment elles étaient parvenues à exprimer leurs inquiétudes, mais aussi désormais des projections et des fantasmes, en ce qui concerne l’enfant à venir. Enfin, certaines ont été capables d’évoquer les contraintes en lien avec leur pathologie, tandis que d’autres semblaient avoir identifié certaines fonctions de leur trouble, notamment lorsqu’elles sont submergées émotionnellement – tout en leur faisant réaliser que ce trouble dont elles souffrent ne représente peut-être que quelque chose de séparé d’elles, et non elle-mêmes. Ceci permet d’entrevoir peut-être une éventuelle ouverture créatrice en dehors de ces troubles, tout en sachant que ces pathologies chroniques ont besoin de traitements spécialisés et qui « tiennent » dans la durée.

Conclusion

Nous voulons tout d’abord attirer l’attention sur l’importance primordiale du diagnostic en période périnatale chez la femme souffrant d’un TCA, afin qu’une prise en charge spécialisée soit mise en place, et ce même chez celles qui étaient asymptomatiques avant la grossesse. De plus, nous insistons sur la dimension familiale de cette prise en charge, qui devrait tenir une place particulière lors du suivi des mères ou femmes enceintes souffrant de ces troubles.

Les participantes au « Groupe Poussette » se sont montrées en grande majorité très réceptives, et au final très satisfaites, par cette expérience. Le fait de rencontrer d’autres mères souffrant également d’un TCA a été particulièrement apprécié par ces femmes, et le groupe vécu comme un espace de partage et de parole sécurisant pour elles. Les thèmes ou sous-thèmes « apaiser des tensions liées à la maternité », « mieux comprendre le vécu de la maternité », « atténuer une possible culpabilité », « mieux comprendre la relation mère-enfant » et « aider à reprendre la confiance en soi » ont été signalés par les participantes comme ceux leur ayant été les plus bénéfiques.

Le « Groupe Poussette » est, à notre connaissance, aujourd’hui encore la seule expérience de ce type en France. Il s’est avéré être une méthode thérapeutique innovante et porteuse d’améliorations dans les relations familiales des mères souffrant d’un TCA, et plus particulièrement en ce qui concerne la relation mère-enfant. Une telle expérience mériterait selon nous d’être renouvelée.

Références bibliographiques

1 Logak, Z. et Barbosa, I. Prise en charge psychanalytique des troubles des conduites alimentaires : au risque de se rencontrer soi-même, In : Cahiers de Sainte-Anne, Ed. Lavoisier, 2016.

2 Racamier PC. et al. La mère et l’enfant dans les psychoses du post-partum, Evol. Psychiat, 26, 1961, 525-570, 1961

3 Bydlowski, M. La transparence psychique de la grosssesse, In Etudes Freudiennes, 135-142, 1991.

3 Anzieu, D. (1999). Le Groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 2005 (3e ed).

4 Corcos, Maurice, (2010), Le corps absent, approche psychosomatique des troubles des conduites alimentaires, Paris, Dunod, 2010 (2e ed).

5 Winnicott DW, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.