Hans Hartung : La fabrique du geste
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Hans Hartung : La fabrique du geste

Musée d’Art Moderne de Paris. Jusqu’au 1er mars 2020

Il n’a jamais arrêté, tout au long de sa vie (1904-1989), jusqu’à sa mort à 85 ans, de peindre, de dessiner, de photographier, de renouveler ses techniques. Traversant le XXe siècle, marqué par la deuxième guerre mondiale, il a été l’un des acteurs de l’invention de l’abstraction, un précurseur de l’action-painting.

Né en Allemagne, Hartung quitte son pays face à la montée du nazisme. Au moment de la guerre, il s’engagera dans la Légion étrangère pour échapper aux nazis. En 1944, survient un événement qui marquera le reste de son existence. Il est blessé durant l’attaque de Belfort et, faute de soins, devra être amputé d’une jambe. Quand il se réveille de l’opération, il dit avoir eu « la sensation bizarre qu’il (lui) manquait quelque chose ». Il vivra avec une prothèse et deux béquilles. Il avait de grandes difficultés à se déplacer, surtout lors de ses dernières années, qui étaient paradoxalement les plus productives, avec trois cents toiles l’année de sa mort, Hartung peignant presque un tableau par jour. Cette période de Hans Hartung avait été montrée déjà au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 2009-2010, dans une exposition sur le thème de la maladie et de la mort chez douze artistes internationaux.

Quel a été l’impact de cette mutilation sur son œuvre ? Comme l’écrit Jacques Villeglé dans le catalogue de l’exposition : « La gestualité exige de la souplesse. Hartung a dû penser son métier, le penser vraiment, réfléchir à ses outils et les réinventer en permanence pour conduire une œuvre sans cesse changeante. Son handicap en a fait un artiste plus réfléchi que les autres. »

Enfant déjà, il ne cessait de dessiner, depuis ce moment inaugural qu’il raconte à 70 ans dans son livre Autoportrait. Un soir d’orage, chez sa grand-mère qui avait peur et s’était enfermée avec les enfants dans une pièce de la maison, il s’est échappé pour voir les éclairs, et n’a cessé alors de les dessiner. « Sur un de mes cahiers d’école, j’attrapais des éclairs dès qu’ils apparaissaient. Il fallait que j’aie achevé de tracer leurs zigzags sur la page avant que n’éclate le tonnerre. Ainsi, je conjurai la foudre ».

Ces éclairs, on les retrouve dans les graphiques noirs sur fonds blancs ou colorés, aisément reconnaissables, considérés comme la préfiguration de tout l’art informel gestuel qui sera un courant important de la peinture. Mais Hartung ne s’arrête pas là. Il continue de chercher, de se renouveler.

Dans une première période de sa carrière artistique, Hartung faisait des petits dessins spontanés, puis les agrandissait par une méthodique mise au carreau à une échelle plus grande. Mais dans les années soixante, il modifie complètement sa méthode, attaquant en direct de très grandes toiles, abandonnant la peinture à l’huile pour l’acrylique, utilisant des outils insolites, dont il détourne les usages : un aspirateur qui souffle au lieu d’aspirer, les pistolets à peinture des carrossiers, la brosse à étriller les chevaux, les râteaux en éventail pour ramasser les feuilles d’automne. Cette fabrique, comme le dit l’intitulé de l’exposition, se fait dans le secret de l’atelier, car il interdit aux visiteurs de nommer ses outils.

Sur le plan personnel, il épouse Anna-Eva Bergman, jeune peintre norvégienne en 1929, dont il divorce, mais qu’il ré-épouse en 1957, après des années de séparation. Ensemble ils construisent en 1973 une villa à Antibes, magnifique réalisation architecturale, qui est aussi l’expression de sa créativité. Car Hans Hartung est un artiste multiple : peintre, dessinateur, architecte, graveur, photographe. Enfant, il avait confectionné son propre appareil, et il est resté un photographe passionné durant toute sa vie, ayant pour habitude de photographier quotidiennement les personnes de son entourage.

L’exposition se termine par les très grandes toiles des dernières années de sa vie, qui expriment une pulsionnalité jaillissante où l’artiste manifeste cette créativité débordante qui l’habite depuis l’enfance et ne l’a jamais quitté. « Cela me fait plaisir d’agir sur la toile. C’est cette envie qui me pousse : l’envie de laisser la trace de mon geste sur la toile, sur le papier. Il s’agit de l’acte de peindre, de dessiner, de griffer, de gratter ».