Hélène Suarez-Labat : Expériences du confinement. Changement et continuité chez l’enfant et l’adolescent et leurs familles
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Hélène Suarez-Labat : Expériences du confinement. Changement et continuité chez l’enfant et l’adolescent et leurs familles

Les Conférences d’Introduction à la Psychanalyse (CIP) de l’enfant et l’adolescent organisées par la SPP ont pu se poursuivre en visioconférences pendant le récent confinement. Dans ce cadre modifié, Hélène Suarez-Labat, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, psychanalyste membre de la SPP, et de la SEPEA a présenté le 17 juin 2020 sa conférence intitulée « Expériences du confinement – Changement et continuité chez l’enfant et l’adolescent et leurs familles ». L’affluence de plus de 150 personnes a couronné d’un large succès cette continuité dans le cadre.

Avant de revenir sur le contenu de sa conférence, il me semble important de rappeler que H. Suarez-Labat publie de très nombreux travaux en partie à l’approche des troubles du spectre autistique. Ceux-ci nous permettent d’appréhender ses recherches métapsychologiques et cliniques. Le prix Maurice Bouvet en 2015 pour ses articles parus dans la Revue Française de Psychanalyse 1  encourage à suivre le cheminement de son élaboration. La ténacité et la rigueur d’Hélène Suarez-Labat ont été perceptibles tout au long d’une présentation vivante, truffée d’exemples cliniques : Samuel et ses kaplas, les statuettes de Freud et du scribe à retrouver dans une cohérence de la relation transférentielle ; John avec le bon et mauvais humour. Ce sont des détails utiles à chacun de nous pour créer une théorisation psychanalytique incontestable.

Le déroulé de la conférence s’est organisé en trois temps.

En premier lieu, H. Suarez-Labat a soulevé le changement radical de cadre lié à la pandémie de COVID19 où pendant le confinement ont surgi les différents mouvements traumatiques chez l’enfant et l’adolescent et leurs familles.

Dans un second temps, la conservation du travail analytique est devenue cette continuité de l’intimité des mouvements transférentiels où l’auteur a découvert des aspects négatifs discrets, des problématiques anciennes qui se sont rééditées. La place de la troisième génération, celle des grands-parents, a beaucoup retenu l’attention de H. Suarez-Labat : ces aïeux maintenus à distance, pour lesquels les contacts même familiaux étaient réputés dangereux, figuraient toute la problématique de la continuité des liens dans ce temps traumatique.

Pour finir le troisième temps a permis à l’auteur de soulever la question de l’évolution singulière du contre-transfert et des effets de la fatigue sur le psychanalyste durant cette période sanitaire soudaine ancrée dans le doute.

H. Suarez-Labat a exposé d’emblée comment elle en était venue à l’écriture de sa conférence. Une temporalité de d’élaboration de l’écrit s’est imposée à elle. Dans les premières étapes du confinement et au travers de sa pratique libérale avec les enfants, les adolescents et les adultes, deux mouvements sont apparus avec plus de force dans un contexte où l’angoisse de mort était très active.

Dans les premières semaines du confinement en mars 2020, les changements de cadre analytique (voir la « situation psychanalytique » de J. Bleger) ont fait l’objet de transformation du dispositif puis lors d’un après-coup pendant le déconfinement, il a fallu penser autrement l’intensité des mouvements psychiques à l’œuvre dans cette temporalité agitée. Et dans l’entre-deux, des modes d’expression singuliers se sont déployés dans les relations transférentielles et contre-transférentielles s’appuyant sur de nouveaux modes de communication. Pour information, citons ici les différents supports utilisés par H. Suarez-Labat : Skype, WhatApps, FaceTime ou téléphone.

Il faut noter la capacité de la conférencière à atteindre la relation transféro-contre-transférentielle avec son attention particulière au Moi-Corporel, aux fonctions perceptives, au regard à relier aux filtres du pare-excitation et aux fonctions de la figurabilité de l’analyste  (références citées : G. Haag et C. et S. Botella).

A plusieurs reprises, elle s’est référée à des collègues comme tiers. Pour sa part, elle a souligné les apports précieux du groupe toulousain de la SPP mené par R. Puyuelo. Ils ont fait état de la réalisation de dessins chez les adolescents en visio-consultation montrant la contenance d’une pulsionnalité au service de la sexualité infantile.

La symétrie des événements sanitaires vécus dans cette pandémie a été intimement liée au cadre asymétrique de l’analyse entraînant des changements à maîtriser avec cette continuité de la relation transférentielle avec l’enfant et l’adolescent, mais aussi avec les parents, si toutefois la relation d’alliance thérapeutique était déjà bien introjectée (R. Puyuelo).

L’expérience psychanalytique fine de l’auteur l’a conduite à reprendre les différents traumatismes psychiques dont parle Freud en 1939 dans L’homme Moïse et la religion monothéiste proposant ainsi une analogie avec les attentats de 2015 à Paris où le meurtre était collectif dans la réalité. Son changement de cadre décisif a été radical du fait de la fermeture de son cabinet, situé à proximité des événements. Selon elle, la relation à la mort avait été modifiée. En mars 2020, un paradigme s’est imposé dans ce contexte de pandémie où un surmoi collectif intimait un changement de cadre de vie pour limiter la contamination dans les familles avec l’enfant, l’adolescent mais surtout les parents et davantage les grands-parents. L’état d’urgence sanitaire décidait des liens sur les trois générations pris entre le dedans et le dehors où la mort rôdait sans cesse : se protéger et sauver d’autres vies. La temporalité a conduit, dans le meilleur des cas, à ce que l’enfant et l’adolescent retrouvent positivement un espace familier et intime dans sa famille ou son substitut familial.

« En nageant dans le doute », l’intensité pulsionnelle a connu des fluctuations qui ont été au centre des consultations avec les parents et les séances de psychothérapie avec les enfants. La rythmicité des traumatismes et leur apparition en séance sont à prendre avec prudence par l’analyste. Pour cela, H. Suarez-Labat a cherché une qualification de l’affect et ses différentes voies dont celles motrices transférentielles en tenant compte des processus intermédiaires (E. Chervet).

C’est bien à partir de Freud et le traitement de l’angoisse (1925) que H. Suarez-Labat s’est évertuée à faire appel à plusieurs psychanalystes dont Winnicott, Anzieu, Bion et Green pour développer son étude sur les facteurs traumatiques qui empêchent de penser dans une situation sanitaire pandémique unique comme celle-là. Elle a constaté que les traumatismes se lisaient également sur la différence des générations et des époques. Il s’agit peut-être de faire un lien ontogénétique et phylogénétique où les disparitions soudaines rappellent le passé. Les pertes de vue (Pontalis) se réactualisent dans les figurations transférentielles selon qu’il s’agisse d’un enfant, d’un adolescent. L’auteur s’est aussi appuyée sur Kristeva et sa réflexion sur la vitalité du mouvement transférentiel qui a valeur de contenance dans des remémorations inattendues où des scènes de réincarnation étaient restées dans l’ombre du passé.

Le passage ci-dessous illustre à mon sens le travail de H. Suarez-Labat. Il reflète sa dynamique du lien transférentiel à continuer malgré tout : « Le changement partiel de cadre a propulsé le thérapeute comme un invité chez les parents de l’enfant et de l’adolescent. Ce changement a offert des potentialités de représentations et parfois de transformations des angoisses de mort qui ont surgi face au danger qui rode. Car, dans les premières semaines du confinement, nous ne savions pas grand-chose de cette bête noire, sauf qu’elle peut “emporter pour de vrai”, comme me le disait un enfant, “le virus, tu sais c’est pour de vrai”, virus qui a terrassé sa grand-mère sans que personne ne puisse la revoir, comme il y a bien longtemps, des arrières-grands parents ont été emportés par un autre mal et ne sont jamais revenus. »

Dans la dernière partie de la conférence, « les masques de la fatigue » du psychanalyste rappellent les travaux des psychosomaticiens (P. Marty, 1967) où les deuils superposés empêchent le psychanalyste de penser car son système de distribution énergétique est atteint. Quelles nouvelles voies de recherche et quel statut transférentiel à donner à la fatigue ?

Nous aurions bien voulu poursuivre sur la métapsychologie et la clinique avec ce retour en séance des patients cités où les processus d’indentification côtoient ceux d’imitation et d’introjection (E. Galddini). Se retrouver est-ce un nouveau traumatisme qui s’inscrit dans l’inconscient ? Peut-être pourrait-on suivre dans un après-coup, l’impact de cette parenthèse inattendue collective et individuelle bien différente d’un attentat qui est soudain et traumatique immédiatement dans le réel…

Carlos Pacheco
Psychologue clinicien
Psychanalyste membre de la SPP

Notes
1. « Les barrières autistiques aux limites des voies nouvelles d’interprétation » in R.F.P. (2012), « Le moi-corporel – mensonges et vérités » in R.F.P. (2015).