Historique et recherches actuelles sur la résidence alternée
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Historique et recherches actuelles sur la résidence alternée

Historique en France

La loi de Mars 2002 légalisant la résidence alternée a été votée pour satisfaire la demande d’associations de pères qui estimaient que les décisions judiciaires ne leur laissaient pas une place suffisante, et au nom de l’égalité homme-femme. Aucun avis de pédopsychiatre ou psychologue n’a été sollicité, et il a été peu pris en compte le fait que si certains adultes désirent occuper une place parentale différente, les besoins de stabilité des bébés, eux, n’ont pas changé depuis des siècles. De plus, un ensemble de travaux montre que la manière d’exercer la fonction parentale n’est pas la même de la part d’une mère et d’un père et que ces rôles ne sont pas interchangeables. Par ailleurs, plusieurs études sociologiques indiquent qu’entre 1999 et 2010, le temps consacré par les pères à s’occuper de leur enfant a augmenté en moyenne de cinq minutes par jour (Centre d’Analyse Stratégique, 2012), le temps libre paternel étant plus utilisé à faire des jeux vidéo, regarder la télévision, ou à des loisirs personnels. Et lorsqu’une résidence alternée est mise en place précocement, il n’est pas rare que l’enfant soit gardé non pas par son père, mais par la mère du père ou par sa nouvelle compagne. Les enjeux sous-jacents sont donc d’une autre nature que ceux qui sont avancés.

La résidence alternée a un sens et un impact différent selon l’âge de l’enfant. Je ne me centrerai ici que sur la situation des enfants de moins de trois ans, âge auquel le problème ne se limite pas à la résidence alternée, mais concerne le droit d’hébergement d’une manière plus large.

En 2002, à partir de 3 situations cliniques, j’écris un article dans la revue Dialogue consacré au droit d’hébergement du père concernant un bébé, suivi d’une interview dans le journal Elle. Ceci déclenche une avalanche de courriers décrivant des troubles semblables chez les enfants petits, qui se caractérisent par :

  • un sentiment d’insécurité, avec apparition d’angoisses d’abandon qui n’existaient pas auparavant, l’enfant ne supportant plus l’éloignement de sa mère et demandant à être en permanence avec elle, symptômes majorés le soir, moment où l’enfant petit a le plus besoin de se sentir sécurisé ;
  • un sentiment dépressif avec un regard vide pendant plusieurs heures, et parfois un état de confusion, de non reconnaissance des lieux au retour chez la mère ;
  • des troubles du sommeil, de l’eczéma ;
  • de l’agressivité, en particulier à l’égard de la mère considérée comme responsable de la séparation ;
  • une perte de confiance dans les adultes, en particulier dans le père, dont la vision déclenche une réaction de refus ;
  • chez certains enfants plus grands, un refus de se soumettre à la moindre contrainte (scolaire ou familiale) venant de l’extérieur.

J’ai alors l’impression de lire les travaux de Robertson sur les séparations mère-bébé (1956), ou de Bowlby car les signes décrits ci-dessus correspondent aux effets des séparations précoces. Je continue actuellement à recevoir deux à trois courriers identiques par semaine.

Dès la loi de 2002 votée, son absence de garde-fou entraine des décisions inquiétantes : une résidence alternée pour un bébé de cinq mois, et même pour un bébé de deux mois dont Monique Bydlowski indique qu’il se portait mal dans ce contexte ; des interruptions d’allaitement ordonnées par des juges pour mettre en place une résidence alternée ; des décisions de grandes vacances divisées à part égale pour des enfants à partir de 7 mois, donc des bébés qui ne voient pas leur mère ou leur père pendant un mois entier, etc. Mais les troubles décrits ci-dessus s’observent de la même manière dans des situations plus courantes, en particulier des week-ends prolongés chez le père imposés de manière précoce avec une ou deux nuits d’absence dès l’âge de 7-8 mois, ou des horaires très morcelés, en particulier des résidences alternées deux jours chez le père, trois jours chez la mère, trois jours chez le père, deux jours chez la mère pour que chacun ait exactement sa part d’enfant. Et d’emblée, le débat est confronté à la manière dont les journalistes interviewent un professionnel « pour la résidence alternée », un « contre », mais ne posent jamais la question de ce que deviennent les enfants qui ne la supportent pas.

Le seul texte existant à cette période concernant le développement de l’enfant dans ces circonstances se trouve dans un livre de Brazelton et Greenspan (2000). Leur calendrier propose un droit d’hébergement évolutif du père, l’hébergement principal étant confié à la mère sauf si elle présente des difficultés psychiques importantes. Le but du calendrier est que le droit d’hébergement paternel soit suffisamment fréquent pour que le père soit une figure signifiante dans le psychisme de l’enfant, tout en maintenant un fond de continuité sécurisant dans la relation avec la mère. Ce calendrier nuancé sert de référence dans plusieurs tribunaux aux Etats-Unis.

Début 2003, je prends contact avec le Dr Xavier Phelip, professeur de médecine, fondateur de l’association L’enfant d’abord dont son épouse a pris la présidence. Cette association a depuis toujours une position parfaitement claire : elle ne se préoccupe que du bien-être des enfants dans les situations de séparation parentale, et pas de la défense des mères ou de leurs intérêts. Elle est précieuse car elle permet d’avoir une représentation des pratiques judiciaires et de leur évolution sur tout le territoire national, et de plus, elle se livre à un travail rigoureux et permanent de recherches bibliographiques sur le sujet.

En 2003, je tente de mettre en place des soins sous la forme de petits jeux symboliques avec les enfants de moins de trois ans qui présentent les troubles décrits ci-dessus. Aucune prise en charge ne donne de résultat positif. Pour Christine Frisch, cet échec est prévisible car chez des enfants aussi petits, une ou deux séances de psychothérapie par semaine ne peuvent faire contrepoids, à l’impact désorganisateur de l’environnement. Les pères contactés à propos de ces troubles me répondent tous « c’est mon droit » et la plupart refusent de venir aux rendez-vous.

En 2004 paraît dans la revue Devenir le premier article documenté sur les troubles psychiques pouvant être rattachés à la résidence alternée chez l’enfant de moins de six ans (M. Berger, A. Ciccone, N. Guedeney, H. Rottman). Trois de ces auteurs proposent alors un projet de recherche concernant les enfants de 2 ans, élaboré avec une méthodologie rigoureuse, deux groupes témoins, et une échelle de conflictualité parentale. Il est refusé par le Ministère de la Santé. Motif : puisque nous souhaitons évaluer les effets de la résidence alternée, nous ne serions pas neutres. Pourtant le protocole inclut comme précaution une observation effectuée par d’autres cliniciens que nous-mêmes, et un dispositif en double aveugle. Problème face à cette injonction paradoxale : personne d’autre n’est alors intéressé par cette recherche. N’ayant pas d’autre moyen d’attirer l’attention sur ce problème, plusieurs cliniciens, dont P. Lévy-Soussan, et des avocats publient en 2005 Le livre noir de la résidence alternée, sous la direction de J. Phelip. Cet ouvrage montre entre autre l’inquiétante hétérogénéité des décisions judiciaires dans des situations semblables. De plus, ce refus du Ministère de la Santé nous oblige à nous appuyer essentiellement sur des recherches réalisées à l’étranger. Il faut aussi souligner ici les travaux de Gérard Poussin, intéressants mais souvent ambigus.

En 2004, Bernard Golse, alors Président de la WAIMH francophone, souligne les problèmes posés par la résidence alternée chez les enfants petits au colloque du COPES à Tours. La même année en Belgique, Jean-Yves Hayez, Professeur de pédopsychiatrie, et Ph. Kinoo publient un article dans lequel ils font part de leur inquiétude. Ceci se révèle inutile, la loi de 2006 promulguant la résidence alternée par défaut est votée. En 2007, Carine de Buck et Jean-Louis Franeau soulignent la persistance des troubles précoces liés à ce mode d’hébergement.

En 2009 a lieu la première publication sur les troubles psychiques observés chez les enfants vivant en résidence alternée non conflictuelle, par Eugénie Izard, portant sur 18 cas. Elle souligne par ailleurs que 20 à 26 % des motifs de consultation en libéral concernent des enfants soumis à une résidence alternée.

En 2009 toujours, Pierre Delion et Sylvain Missonnier prennent position comme co-Présidents de la WAIMH France, en écrivant à l’ensemble des Députés français pour s’opposer à un projet de loi proposant la résidence alternée par défaut, c’est-à-dire systématique, pour « prévenir le syndrome d’aliénation parentale ». Ils réécrivent lorsque ce projet est représenté deux ans plus tard.

En 2010, lors du congrès mondial de la WAIMH à Leipzig, mon intervention sur les risques de la résidence alternée chez les enfants de deux ans est la seule portant sur cette question, alors que de nombreux travaux se développent par ailleurs. Ainsi en 2012 paraît Parenting-plan evaluations, énorme ouvrage exhaustif. Et en Juillet 2013 a lieu à Londres un congrès rassemblant tous les chercheurs qui travaillent sur ce thème. Les choses se passent comme si deux champs de connaissance ne se rencontraient pas, et c’est cette rencontre que je vais vous proposer aujourd’hui.

En 2012 le livre Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ?, sous la direction de J. Phelip, met en évidence un nouveau danger majeur concernant le développement affectif de l’enfant : l’utilisation du concept de Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP), terme qui n’a actuellement aucune définition précise, aucune étiologie clairement établie, à tel point que son inscription au DSM V a été clairement refusée. Les recherches américaines sont probantes (cf. Berger, 2012), et une recherche québécoise de 2013 montre le risque de confusion entre l’aliénation parentale, très rare, et l’exposition aux conflits sévères de séparation, avec une analyse fine des différences cliniques entre ces deux contextes. Mais le lobby du SAP est puissant au point de faire publier dans le chapitre consacré à l’exclusion sociale dans les livres scolaires de seconde, le SAP comme modèle d’exclusion, ceci sur plusieurs pages. J’obtiendrai une interpellation du Ministre de l’Education Nationale à ce propos à l’Assemblée Nationale, avec une réponse évasive.

En 2013, quand je présente les recherches sur la résidence alternée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, un magistrat souligne que les résultats vont à l’encontre des directives européennes prônant l’égalité hommes-femmes.

En Septembre 2013, lors du vote de la loi sur l’égalité homme-femme au Sénat, les associations de pères font passer vers 3 heures du matin un amendement exigeant que la préférence soit donnée à la résidence alternée paritaire sans précaution d’âge minimum, sauf si le juge justifie la non-utilisation de ce mode d’hébergement, avec un article indiquant que « Le fait par tout ascendant d’entraver l’exercice de l’autorité parentale par des manipulations diverses […] est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende », sanction qui peut menacer tout parent dont l’enfant manifeste des réticences même justifiées à aller chez l’autre parent.

Enfin en 2014, Christine Frisch renouvelle la description clinique des fonctionnements familiaux, en insistant en particulier sur l’augmentation des naissances dans des contextes où père et mère n’ont jamais vécu en couple ni partagé d’expérience de parentalité.

Problématiques

L’intérêt de ce survol historique est de montrer que nous nous trouvons en permanence face à deux registres : le champ législatif soumis à d’importantes pressions de groupes minoritaires mais quotidiennement actifs, et qui se livrent à une désinformation constante concernant les travaux dont nous disposons ; et le champ de l’élaboration théorico-clinique qui a un rythme différent. Il nous est difficile, ainsi qu’aux politiques, de penser tranquillement dans la tourmente, et c’est pour cela que les associations de pères fonctionnent par coups de force en provoquant des émotions. Aucune d’elles n’a répondu aux propositions de participer à des recherches portant sur le développement affectif des enfants en résidence alternée, peut-être y-a-t-il quelque chose à cacher, mais surtout le but est de maintenir le primat de l’émotionnel. Nous devons dire publiquement et clairement que toute décision législative doit être suspendue tant que nous n’avons pas disposé du temps de la réflexion commune et de la recherche bibliographique.

Autre question, comment parvenir à tenir ensemble des champs théorico-cliniques variés et indissociables ? Tout d’abord les recherches qui reposent en partie sur la théorie de l’attachement : elles sont essentielles parce qu’elles permettent de mettre en évidence certains troubles et de les chiffrer, elles amènent donc des preuves dans ce maelstrom émotionnel. Mais derrière l’angoisse de séparation et les manifestations d’attachement insecure, existent d’autres processus décrits dans cette revue. Par ailleurs, un autre projet de loi présenté aussi en Septembre 2013, s’appuie essentiellement sur l’intérêt de l’enfant, défini comme la protection de son développement physique, affectif, intellectuel, et social, pour justifier des contacts à temps égal avec ses deux parents. Il se trouve que c’est moi qui ai rédigé l’amendement définissant ainsi cet intérêt en m’inspirant des lois étrangères, et qui fut voté en 2007. Le projet de 2013 pervertit le terme « intérêt de l’enfant » car un enfant n’existe pas « en soi » au sens où les processus psychiques en jeu au cours de son développement varient, presque de mois en mois au cours de la première année de la vie, pendant cette période très complexe où se tissent de manière intriquée les différentes composantes du lien primaire : construction de l’identité, constitution du schéma corporel et des différentes enveloppes du moi, acquisition du sentiment de sécurité interne, différenciation entre pensée et réalité, transitionnalité, puis peu à peu élaboration des mouvements imagoïques dans leur complexité.

Ces processus peuvent être mis en danger d’abord par la discontinuité, alors que beaucoup de personnes ne se centrent que sur le conflit parental, lequel, d’une certaine manière, est lui aussi une forme de discontinuité. La continuité est comme l’air qu’on respire, on ne se rend compte de son aspect indispensable que lorsqu’on en manque. Certes il s’agit d’une continuité des personnes, car seul un objet parental stable et fiable peut être contenant, servir de lieu de décharge des tensions, d’objet de projection sans risque de rétorsion sous forme d’absence fut-elle involontaire. Et comment montrer son inquiétude et son chagrin à une personne qui disparaît sans cesse et de manière durable ? Mais cette continuité concerne aussi un élément dont on parle peu, la continuité des lieux, c’est-à-dire les objets dans leur matérialité. Tout d’abord parce que la différenciation soi-objet n’est pas donnée en soi. Sami Ali parle de cette région limitrophe, traversée d’ombres et de clarté, où les échanges entre l’homme et le monde passent mystérieusement par le corps propre. Bower montre par des dispositifs de psychologie expérimentale qu’il existe une indifférenciation entre le corps et l’objet chez le nourrisson.

René Kaes évoque le processus d’étayage-désétayage progressif de l’objet support dont on garde une certaine empreinte pendant l’existence. Nous connaissons tous des nourrissons âgés de moins d’un an qui sont angoissés et sidérés de manière durable par la perte de leur environnement matériel lors d’un voyage alors qu’ils sont avec leurs parents sécurisants, angoisse qui disparaît dès le retour dans leur maison et dans leur chambre. Comme l’indique Eugénie Izard, les lieux, les objets, les jeux, sont pour un nourrisson, des petits morceaux de lui.

A cette discontinuité temporelle s’ajoute la manière dont la psychopathologie paternelle risque de faire intrusion dans la préoccupation maternelle primaire. Il est intéressant de souligner ici les deux modalités de fonctionnement psychique différentes chez les pères qui demandent la résidence alternée pour un enfant petit. Ceux qui la sollicitent de manière consensuelle sont souvent sur un versant dépressif ou dans l’ignorance des besoins d’un petit. Ceux qui présentent une revendication conflictuelle sont souvent dans un registre projectif. Et la résidence alternée peut, dans certains cas, correspondre à un fantasme universel connu des psychanalystes, celui du rapt envieux du bébé d’une autre, et on sait les forts mouvements d’envie que déclenche une grossesse et le spectacle d’un maternage heureux.

Pour ces raisons, je suis amené à conseiller au moins mal des mères pour atténuer les effets de la discontinuité. Certaines d’entre elles peuvent progressivement se déprimer, présenter des troubles anxieux, parfois des sentiments de persécution, induits par leur impuissance à protéger leur nourrisson qu’elles voient aller de plus en plus mal. Les conclusions d’une éventuelle expertise sont différentes suivant le moment où elle se déroule. Lorsque je dis à ces mères qu’il est normal qu’elles se sentent mal en constatant les troubles de leur nourrisson, elles m’en remercient car cela met des mots sur ce qu’elles observent et ressentent. Je leur conseille de ne pas montrer, lors des audiences judiciaires, qu’elles sont très en souci pour leur nourrisson, car elles seraient accusées d’être la cause des troubles de leur enfant du fait de leur angoisse supposée pathologique, alors qu’il serait problématique que dans de telles circonstances, une mère ne s’inquiète pas de voir son nourrisson aller mal. Et je leur suggère d’être le plus disponible possible lors du retour de leur enfant chez elle. Beaucoup de mères ont ainsi réduit leur temps de travail afin d’amortir la discontinuité par plus de disponibilité, ce qui n’est que partiellement efficace.

Voici maintenant le résultat des recherches chiffrées et quelques notes cliniques.1

Recherches actuelles concernant la résidence alternée

Principes méthodologiques souhaitables pour les études concernant la résidence alternée

1- Différencier l’impact de la résidence alternée selon les âges (0-2 ans, 2-5 ans, 5-12 ans, adolescence).

2- Avoir si possible 3 groupes de comparaison pour différencier les troubles liés à la séparation parentale de ceux liés à la résidence alternée :

  • enfants élevés par des parents non séparés
  • enfants élevés par des parents séparés, avec un hébergement principal
  • enfants élevés par des parents séparés, avec résidence alternée

3- Préciser le rythme réel de l’alternance. La plupart des études internationales portent sur la résidence alternée 35%/65%, ce qui, en quantité annuelle, correspond au « droit de visite et d’hébergement élargi » français (un week-end sur deux, une nuit l’autre semaine, et la moitié des vacances scolaires). Bien qu’il ne s’agisse pas d’un rythme d’alternance 50/50, lequel est rare hors de France et de Belgique, on observe déjà des différences significatives avec les enfants élevés en hébergement principal.

4- Evaluer, par des échelles précises, le niveau de conflictualité dans le couple parental car le conflit influence l’état affectif de l’enfant dès son plus jeune âge.

5- Si possible, avoir des études longitudinales qui permettent d’évaluer les changements de mode de garde dans le temps

6- Ne pas confondre Joint Custody, qui signifie simplement « autorité parentale partagée », et Joint Physical Custody, terme qui porte sur le rythme de l’hébergement et qui signifie « garde physique partagée », le plus souvent 30/70, 35/65)

7- Prendre en compte les biais de recrutement. Par exemple, dans l’étude de Solomon et George, 30 % des mères et 32 % des pères sollicités ont refusé de participer. Il peut s’agir d’un souhait de préserver son intimité familiale, mais aussi d’un « noyau dur » : certains parents sont hostiles à toute évaluation car leurs enfants vont mal.

Les deux temps de la recherche australienne

Ces recherches, de par leur ampleur et leur rigueur, sont considérées comme les plus avancées au niveau international. Ceci est lié à deux facteurs. Tout d’abord, les séparations de couple après un an de vie commune, fréquentes dans ce pays immense, ont comme conséquence des nourrissons et des enfants petits qui font des heures d’avion pour aller du domicile d’un parent à celui d’un autre lorsqu’un parent change de lieu d’habitation. Mais surtout, le Ministère de la Famille est considéré comme un des Ministères les plus importants quels que soient les gouvernements.

Dans un premier temps, après le vote de la loi légalisant la résidence alternée en 2006, 6 études, décrites par Smyth (2009), sont réalisées, qui aboutissent, entre autres, aux constatations suivantes : il y a plus de résidence alternée dans les situations de fort conflit parental que dans la population générale. C’est sur l’enjeu du « temps » que se focalisent le conflit et les considérations financières. Le risque est de croire que les problèmes seront réglés par une répartition symétrique de la garde. Deux groupes de situations sont à risque : le jeune âge et le fort confit parental donc il est indispensable d’affiner les recherches dans ces deux contextes. En conséquence, le Ministère de la Justice demande que des études plus précises soient réalisées à la recherche de critères qui puissent aider les professionnels. Débute alors, dans un deuxième temps, une nouvelle génération d’études « sans parti pris pour ou contre la résidence alternée ». Un financement de 6,3 millions de dollars est attribué pour évaluer les effets de ce mode d’hébergement, ce qui souligne la préoccupation d’une société concernant ses enfants (McIntosh et coll., 2010 a et b).

Etudes concernant la résidence alternée chez les enfants de moins de 5 ans

1- Solomon et George, USA (1999 a, b, c)

– 145 enfants âgés de 12 à 20 mois puis revus entre l’âge de 24 à 30 mois.

– Comparaison entre trois groupes : parents non séparés (groupe 1), parents séparés sans nuit de l’enfant chez le père (groupe 2), parents séparés avec nuit(s) chez le père (groupe 3).

– Utilisation d’une échelle de conflictualité parentale.

– But : évaluer les effets de nuits passées chez le parent qui n’a pas d’hébergement principal (overnight visitation). Cette étude n’est donc pas centrée directement sur l’impact de la résidence alternée. Ses résultats sont les suivants :

1-1) Entre 12 et 20 mois

Statistiquement, le groupe 3 va plus mal et manifeste plus de signes d’attachement insecure désorganisé/désorienté : Groupe 1 => 35 % ; Groupe 2 => 43 % ; Groupe 3 => 66 %. Les chiffres sont plus mauvais en cas de conflit parental associé.

Les symptômes de cette forme d’attachement insecure sont : 1) des moments d’hypervigilance, d’agrippement, d’agressivité pendant des jours ou des semaines ; 2) une hypersensibilité à toute séparation potentielle ou réelle avec la mère avec des signes d’angoisse majeurs ; 3) des nourrissons qui ne vont bien ni au moment des séparations ni au moment des retrouvailles ; 4) et qui ne considèrent pas que leurs parents soient capables de les aider dans ces circonstances. Il s’agit des mêmes symptômes que ceux décrits par Berger et coll. en 2004, lesquels ajoutent les troubles du sommeil et des moments de sidération avec un visage figé.

1-2) Entre 24 et 30 mois

L’évaluation porte en plus sur la fréquence des ruptures brutales dans les activités proposées (petits « problèmes » à résoudre) qui permettent d’évaluer la capacité d’explorer et la continuité de la pensée. Cet item est intéressant car on sait qu’un enfant a besoin d’un attachement secure pour pouvoir activer les comportements d’exploration de son environnement : Groupe 1 et 2 => 27 % ; Groupe 3 => 51 %.

1-3) Conclusions des auteurs

1) Ces résultats sont probablement en lien avec l’angoisse fréquente au moment de la séparation le soir chez l’enfant petit ; avec la difficulté pour un nourrisson de garder de manière durable dans son psychisme l’image du parent qui a l’hébergement principal ; et avec le besoin de continuité.

2) Là où les nuits passées chez le père n’apportent pas d’avantages concernant la qualité de la relation père/nourrisson.

3) La conflictualité entre les parents paraît être un facteur important d’insécurité pour l’enfant.

4) « Les tribunaux ont à accepter que le divorce crée, au moins temporairement, une situation dans laquelle le meilleure intérêt du petit enfant n’est pas synonyme d’équité pour les deux parents »2.

2) McIntosh, Smyth, Kelaher (Australie, 2010 a). Il s’agit de l’étude la plus importante au monde : 2059 enfants. La méthodologie est impressionnante.

2-1) 3 groupes d’âge : < 2 ans : 258 enfants ; 2 à 4 ans : 509 enfants ; 4 à 5 ans : 1292 enfants

2-2) Dans chaque groupe d’âge

4 sous-groupes sont étudiés selon les modes d’hébergement : famille « intacte » ; hébergement principal chez un parent ; résidence alternée = 35 % ou + de nuits à l’extérieur (5 nuits ou plus par quinzaine) ; rares nuits à l’extérieur = moins d’une fois par mois ou entre une fois par mois et une fois par an.

Mais pour les enfants de moins de 2 ans, étant donné leur sensibilité particulière, et pour pouvoir comparer avec l’étude de Solomon et George, on a qualifié de résidence alternée les situations où un nourrisson passe une nuit par semaine ou plus chez l’autre parent.

2-3) Dans chacun de ces groupes, plusieurs items sont étudiés (vigilance au sens de maintien fréquent du contact visuel avec la figure d’attachement, asthme, hyperactivité, troubles affectifs, problèmes de sommeil), en fonction :

  • du mode de garde
  • du mode de garde + la qualité du parentage (« disponibilité émotionnelle »), style chaleureux, hostile, échelle de communication CSBS
  • du mode de garde + la qualité du parentage + la qualité de la relation entre les parents (Parental Conflict Scale)
  • du mode de garde + la qualité du parentage + l’échelle de conflit + les caractéristiques socio- économiques des parents (métier, éducation, distance entre les deux parents, etc.)

Ceci permet de définir par comparaison les troubles liés au mode de garde en lui-même.

2-4) Principaux résultats

Pour les enfants de moins de 2 ans

La résidence alternée a un effet indépendant des autres facteurs sur : présence et fréquence de troubles du sommeil ; pleurs dès que l’enfant est laissé seul pour jouer ; pleurs continus, inconsolables pendant de longues minutes ; hypervigilance et demande de maintien de contact à proximité ; asthme. Les enfants en hébergement principal ont le meilleur score pour l’ensemble de ces troubles. Il n’y a pas d’incidence sur le développement psycho- moteur global. Seule la sphère affective est touchée.

Pour les enfants âgés de 2-3 ans

Dans le groupe des enfants en résidence alternée, on observe un plus bas niveau de persévérance dans la pensée et les activités, évalué par la capacité de jouer de manière continue ; d’examiner les objets ; de reprendre une activité après son interruption. Il s’agit de signes précurseurs de l’hyperactivité avec troubles attentionnels décrite plus loin). Sur une échelle de persévérance allant de 3,7 à 4,4, le score est de 4,3 pour le groupe 1 ; 4,1 pour le groupe 2 ; et 3,9 pour le groupe 3. Ces recherches permettent d’émettre l’hypothèse que l’augmentation du nombre d’enfants qui présentent une hyperkinésie avec troubles attentionnels peut être en lien avec l’augmentation du nombre de séparations parentales, qui créent de la discontinuité au niveau des adultes de référence et du cadre de vie. Comme l’a indiqué Winnicott en 1962, l’hyperkinésie et le trouble attentionnel peuvent dans certains cas être liés à une rupture précoce et répétée de la continuité du sentiment d’exister.

Pour les enfants âgés de 4-5 ans

Le trouble attentionnel est à un niveau 0,6 (en score mesuré de 0 à 4) pour un enfant élevé dans une famille « intacte » (groupe 1) ; de 1 en hébergement principal (groupe 2) ; et de 3,5 en résidence alternée 35/65. Pour l’hyperkinésie, les chiffres sont de 2,4 (groupe 1) ; 2,8 (groupe 2) ; 3,5 (groupe 3).

Conclusions générales

1- Des précautions sont nécessaires pour les enfants de moins de 5 ans car les droits d’hébergement concernant la nuit peuvent perturber gravement le développement du jeune enfant.

Pas de nuits régulières hors du lieu d’hébergement principal avant 2 ans. Pour envisager une séparation nocturne régulière, il faut attendre que l’enfant soit capable de comprendre ce qu’on lui dit ; pouvoir anticiper et comprendre ce que « demain » veut dire ; pouvoir exprimer verbalement ses besoins. Ces conditions ne sont souvent réunies qu’à l’âge de trois ans.

2- Il faut qu’il existe une communication fluide entre les parents, le conflit entre eux ayant un aspect nocif ; que les contacts avec l’autre parent soient fréquents mais significatifs et des contacts fréquents et signifiants mais progressifs avec l’autre parent. Ces recommandations sont précisées de manière détaillée sur le site de la branche française de la WAIMH.

3- Les enfants en résidence alternée rigide sont de plus en plus insatisfaits au fil du temps.

4- Suite à la mise en place d’une résidence alternée, des problèmes affectifs surviennent fréquemment. Ce sont les difficultés de concentration qui persistent le plus alors qu’elles diminuent dans les autres groupes d’enfants. Les enfants dans les dispositifs longtemps rigides montrent plus de symptômes internalisés (angoisse, dépression, inhibition) que les enfants dans les arrangements flexibles de toute sortes.

5- Surprise : « La fréquence des contacts n’est pas corrélée avec un meilleur accordage entre l’enfant et son père. C’est la qualité de la relation entre le père et l’enfant qui prime sur la quantité ».

6- Contrairement à ce qui est souvent avancé, 4 études de 3 pays montrent qu’un contact plus fréquent avec le père n’est pas associé avec une meilleure santé mentale de l’enfant. Et aucune étude ne permet d’indiquer que la résidence alternée pourrait prévenir l’absence du père.

7- Les enfants capturés par un conflit interparental ouvert ne bénéficient pas de la résidence alternée. Et les études australiennes constatent des violences conjugales judiciairement définies de la part des pères dans 34 % des cas dans l’année d’étude.

8- Les caractéristiques qui permettent de prédire un bon arrangement parental partagé, avec une meilleure satisfaction de l’enfant sont la flexibilité (non chaotique) ; une bonne base de coopération entre les parents avant la séparation ; un arrangement centré sur l’enfant et pas sur les adultes.

9- Impact législatif : suite aux conclusions des recherches de ce type, la Californie a modifié sa loi en abolissant les résidences alternées imposées, la Suède et le Danemark ont fait de même. La Nouvelle Zélande refuse que la résidence alternée figure dans la loi.

Réflexions cliniques : un extrait des consultations avec Ludovic

Madame X demande une consultation pour Ludovic, son fils âgé de trois ans onze mois, qui présente des troubles du sommeil persistant depuis la mise en place du mode d’hébergement décrit ci-après. Monsieur Y, le père, a exigé l’instauration immédiate d’une résidence alternée dès que le couple s’est séparé lorsque l’enfant avait huit mois. Pour éviter ce dispositif, Madame X a accepté que Ludovic aille chez son père un week-end sur deux du vendredi soir au dimanche soir, et la moitié des vacances scolaires par tranches de quinze jours. Chaque fois que Ludovic était avec lui, Monsieur Y a empêché tout contact avec sa mère. Lorsque Madame X téléphonait, elle tombait toujours sur un répondeur et Monsieur ne rappelait jamais.

Reçue seule, Mme X m’explique que Monsieur Y l’a quittée quelques mois après la naissance de leur enfant parce qu’il se sentait délaissé quand elle s’occupait du bébé. Dès la mise en place de ce mode d’hébergement, Ludovic présente plusieurs symptômes. Il part chez son père en hurlant et en revient encore plus mal, l’air perdu, ne parlant pas, ne répondant pas, et il met au moins un jour à se réapproprier sa chambre. Il présente rapidement des difficultés d’endormissement qui sont toujours aussi intenses actuellement. Chaque soir, il a besoin de ritualiser de manière importante le moment du coucher. Il faut que son doudou soit toujours exactement dans la même position. Il répète de nombreuses fois la question : « Rien ne va venir ? ». Peu avant de partir chez son père, il dit à sa mère avoir peur qu’elle ne meure pendant son absence, et donc qu’il ne la retrouve pas quand il reviendra chez elle. Et dès qu’il a su parler, il a demandé à sa mère pourquoi elle le laissait partir. Elle n’a jamais critiqué son ex-compagnon devant Ludovic afin de ne pas mettre son fils dans une situation difficile.

Ludovic présente une hypermaturité qui explique la clarté de ses propos, comme c’est fréquemment le cas chez les enfants qui ont dû affronter trop tôt certaines épreuves dans leur existence. Quand je le reçois seul, il explique qu’il a toujours pu apporter son doudou et sa sucette chez son père, mais que ce dernier les lui enlevait à son arrivée et les remplaçait par des objets strictement identiques. Il commente : « Il y a le doudou de papa et le doudou de maman ». Je lui fais remarquer que d’habitude si un enfant tient autant à son doudou, c’est parce que c’est le sien et pas celui de papa ou de maman, et qu’il peut le garder avec lui partout. Il acquiesce. Je l’interroge : « A-t-il demandé à son père pourquoi il devait changer de doudou et pourquoi il ne pouvait pas parler à sa mère au téléphone ? » Il répond qu’il a oublié de le demander. Il a aussi peur le soir chez son père.

Je retourne chercher Madame X dans la salle d’attente, et après un temps de discussion, je demande à Ludovic s’il souhaite poser des questions. Il prononce alors une phrase stupéfiante : « Comment maman a-t-elle fait pour revenir ? » Comme je ne comprends pas, il précise : « Comment maman a-t-elle fait pour revenir de la salle d’attente au bureau (de consultation) ? » La question ne se situe pas à un niveau rationnel : les pièces ne sont distantes que de quelques mètres, les enfants petits repèrent aisément l’itinéraire. Et puis Ludovic m’a vu aller chercher sa mère et a donc pu penser qu’elle m’a suivi pour revenir dans mon bureau. Je lui demande alors s’il pensait que sa mère n’arriverait pas à le retrouver, et il répond que oui.

Je lui propose alors une construction historique et lui demande si, de la même manière, lorsqu’il était chez son père, il pensait que sa mère l’avait perdu et que, lui, l’avait perdue. Il répond là aussi positivement. J’évoque sa crainte que sa mère ne meure. S’il a en permanence cette peur, c’est peut-être parce que dans son esprit, il a déjà eu le sentiment de perdre complètement sa mère de nombreuses fois. Sur une feuille, je dessine une succession de semaines et lui explique qu’un enfant de huit mois et même plus âgé ne peut garder l’image de sa maman dans la tête que pendant un certain nombre de jours ; au-delà, cette image s’efface et c’est comme si sa mère n’existait plus pour lui. C’est peut-être ce qui s’est passé pour lui, en particulier lorsqu’il restait quinze jours sans voir ni entendre sa mère. Il perdait aussi l’image de sa maison puisqu’il ne reconnaissait pas sa chambre lorsqu’il revenait. Ce n’est que lorsqu’on est plus grand que l’image reste imprimée sans s’effacer. Peut-être y a-t-il toujours en lui un Ludovic petit qui garde ces peurs du passé.

De plus, il imaginait que la même chose se passait pour sa mère, c’est-à-dire qu’elle perdait l’image de Ludovic puisqu’il pensait qu’elle ne lui téléphonait pas. Et c’est pourquoi il croyait qu’elle ne pourrait pas retrouver le bureau et revenir le chercher.

Ce n’est que trois ans plus tard et après de nombreux entretiens, qu’il aura moins peur le soir. On constate comment cet enfant n’a pas eu d’autre choix pour sa survie psychique que de se cliver. Et par ailleurs, de manière répétitive, il perd doublement sa mère, physiquement parce qu’elle est inaccessible, psychiquement parce qu’il n’a pas le droit de l’évoquer en pensée lorsqu’il est chez son père.

Avec du recul, j’ai constaté que j’avais peu de possibilité d’aider ces enfants. Souvent, dans de tels contextes, l’enfant ne comprend pas pourquoi nous ne faisons rien pour changer sa réalité douloureuse alors que nous montrons que nous comprenons ses sentiments. D’une certaine manière, plus nous mettons de mots sur ce qu’il ressent, plus nous risquons d’apparaître à ses yeux comme un complice de ce qui le fait souffrir.

Conséquences tardives

Nous recueillons dès maintenant du matériel montrant que malgré les soins, les traces précoces des troubles liés à la résidence alternée risquent de persister à l’adolescence et à l’âge adulte.

Ainsi les parents de Carole, 12 ans, n’ont jamais vécu ensemble, le père ayant même exigé un avortement lorsque la future mère lui apprend sa grossesse, mais elle ne peut assumer une IVG. Consciente de l’importance d’un père pour un enfant, c’est elle qui insiste pour qu’il s’investisse dans les soins auprès du futur bébé. Changement radical, le père se livre alors à un chantage : il s’occupera du bébé si la mère accepte de vivre en couple avec lui, sinon il saisira la justice et demandera un large droit de visite. Comme la mère refuse, alors que Carole a 8-9 mois, le juge ordonne un droit d’hébergement pour le père d’un week-end sur deux du vendredi au dimanche soir et un milieu de semaine sur deux plus la moitié des vacances scolaires, c’est-à-dire un mois complet l’été. D’emblée, l’enfant présente tous les symptômes décrits ci-dessus avec une intensité majeure. Lorsque le père prend l’enfant malgré ses manifestations d’angoisse intensive et ses hurlements, son raisonnement est « si l’enfant pleure, c’est parce que son père lui manque ». C’est la mère du père qui le garde en réalité.

A douze ans, Carole commence seulement à pouvoir aller faire seule un achat, sa mère restant dans la voiture devant le magasin. Lorsqu’elle est chez son père, elle fait une attaque de panique qui amène son père à la faire hospitaliser en urgence en pédiatrie. Elle souffre d’une angoisse généralisée avec des moments d’agoraphobie et une peur massive à l’idée de toute séparation, alors que les deux autres enfants de la mère, nés ensuite d’une autre union, vont bien. Une psychothérapie classique la soulage au sens où elle peut mettre des mots sur ce qu’elle a ressenti plus petite, mais la symptomatologie s’aggrave et devient handicapante avec l’apparition d’une phobie scolaire. Savons-nous traiter ces traces précoces ?

Conclusion

Je reviens sur la nécessité d’articuler la clinique et le législatif. D’un point de vue législatif, même si cela heurte les cliniciens, il n’est pas possible de raisonner en termes de « sur mesure ». Certes les études ne montrent pas la survenue de troubles dans cent pour cent des situations, certains enfants supportant un rythme de vie qui en désorganise d’autres. Mais, souligne J. Phelip, dit-on que le tabac n’est pas dangereux parce que cent pour cent des fumeurs ne font pas un cancer du poumon ? La réalité est que les Juges des Affaires Familiales n’ont pas le temps de faire du cas par cas. Surtout, le cas par cas sera utilisé pour dire « on essaie », alors qu’en France, dans la majorité des cas les magistrats ne reviennent pas sur la décision initiale lorsqu’on peut supposer que l’hébergement en résidence alternée est à l’origine des troubles. Et quand on fait un « essai », l’exemple de Ludovic montre que les traces précoces peuvent persister. Pourtant le projet de loi de Septembre 2013 préconise de mettre tout de suite en place une résidence alternée et d’évaluer ensuite dans le cadre d’une médiation s’il faut la maintenir ou pas. Yvon Gauthier, psychanalyste québécois, écrit : « Les enfants sont-ils les cobayes de la présomption du tribunal en faveur de la garde partagée ? » (2008).

Quelques mots sur la médiation, présentée par les politiques comme LA solution. Tout d’abord, elle est formellement contre indiquée en cas de violence conjugale. Mais en plus, en France pour certains médiateurs, elle peut avoir essentiellement pour but de parvenir à un accord entre les parents, fut-ce au détriment des besoins de l’enfant, avec des médiateurs parfois non formés dans le domaine du développement de l’enfant petit, certains d’entre eux étant par ailleurs membres d’associations de pères. A l’inverse, dans la loi australienne, les parties ne sont pas autorisées à porter leur affaire devant un tribunal tant qu’elles ne peuvent pas prouver avoir essayé de résoudre leurs conflits avec l’aide d’un médiateur qui a une formation poussée concernant le développement affectif de l’enfant (Smyth, 2013). S’il l’estime nécessaire, le médiateur peut donner des conseils et faire des recommandations à la Cour. La clause de confidentialité n’existe donc plus. Le médiateur cherche à orienter les parents vers les besoins de leur enfant, en insistant sur l’importance de ne pas l’exposer au conflit conjugal. Dans un type de médiation incluant l’enfant, en plus, un spécialiste de l’enfance travaille avec l’enfant pour l’aider à construire une représentation de son monde interne, en particulier concernant la manière dont il ressent la séparation et les disputes parentales. Avec tact et en s’adaptant à leurs capacités émotionnelles, ce professionnel restitue ces propos aux parents et au médiateur, en tant que matériel pouvant participer à la résolution du conflit, restitution qui n’a jamais lieu en présence de l’enfant. Cette approche agit comme une « sonnerie de réveil » pour les parents qui se disputent. Dans ces dispositifs, les médiateurs et les juges considèrent qu’il est plus efficace de poser des questions qui éloignent les parties de leur focalisation sur leurs droits et sur l’égalité du temps d’hébergement. Ces questions concernent ce qui est le mieux pour l’enfant et peuvent être : « Quel genre de parents voulez-vous être ? ». « Quels souvenirs voulez-vous que votre enfant garde de vous ? ». « Qu’est-ce que votre ex-conjoint et vous-même pourriez faire de différent qui aiderait votre enfant ? ». « Avez-vous pensé à la manière dont votre séparation et vos fréquentes disputes peuvent l’affecter ? Voilà la manière dont il les ressent ». Il vaut mieux une loi claire et protectrice centrée sur le développement de l’enfant à partir de nos connaissances, car on peut toujours assouplir et nuancer secondairement au cas par cas, plutôt qu’une loi « molle » qui alimente les dérapages et les revendications sans fin. Donc je paraphraserai Rabelais en disant qu’en ce qui concerne la résidence alternée, si nous ne nous positionnons pas rapidement auprès des Ministères concernés sur la nécessité d’un principe de précaution, nos consultations seront pleines d’enfants qui présenteront des troubles que nous aurons les plus grandes difficultés à traiter. En ce moment même, des milliers d’enfants éprouvent comme Ludovic, le sentiment répété de perdre leur figure principale sécurisante et constitutive de leur identité.

Des études sérieuses et notre clinique démontrent les risques. Donc nous pouvons demander que les Ministères concernés sollicitent une inversion de la preuve, c’est-à-dire que les associations de pères fournissent des études méthodologiquement valables montrant l’absence de nocivité de la résidence alternée avant six ans et même après.

Nous exerçons notre métier parce que c’est la clinique qui nous intéresse, mais le problème est que la politique et le champ social y font intrusion. Nous craignons de laisser contaminer notre domaine par une attitude « militante » si nous agissons. Mais agir pour prévenir n’est pas militer. Serge Lebovici, Michel Soulé, Myriam David, Jeanine Noël, Danielle Rapoport, et tant d’autres de nos modèles ont agi à partir de leur savoir et de leur expérience clinique. Nous sommes nombreux à être inquiets : en Novembre 2013, une pétition présentée par B. Golse, A. Guedeney, M. Berger, E. Bonneville, A. Ciccone, E. Izard, J. Phelip, a recueilli en deux semaines les signatures de plus de 4400 professionnels de l’enfance. Elle demande que soit votée une loi protectrice interdisant la résidence alternée pour les enfants âgés de moins de six ans, sauf accord librement consenti par les deux parents, et dans toutes les situations de conflit parental ouvert quel que soit l’âge de l’enfant. Il y est aussi rappelé qu’aucun travail ne donne de validité scientifique au concept de syndrome d’aliénation parentale. La réponse des lobbies concernés est un projet de loi sur l’autorité parentale présenté en Mai 2014 qui avance déguisé : les mots « résidence alternée » n’y figurent plus mais sont prônés « des relations équilibrées et régulières entre les deux parents avec une alternance, une double domiciliation de l’enfant », un accord des deux pour les actes usuels et non plus seulement importants de la vie de l’enfant ; tout ceci, toujours dans son intérêt.

Notes

  1. Une description plus complète de ces recherches concernant les enfants âgés de 0 à 18 ans se trouve sur le site www.mauriceberger.net
  2. En 2013, Tornello et Emery (USA) proposent une étude proche de celle de Solomon et George, qui porte sur 4898 enfants âgés de 0 à 1 an et de 1 à 3 ans dont les parents sont séparés et élevés par leur mère seule. Elle concerne des familles fragiles socio-économiquement. Les auteurs s’étonnent de constater que les mères trouvent que leur ex-compagnon est un meilleur père s’il s’occupe plus fréquemment de l’enfant, y compris pendant la nuit, alors que les enfants concernés présentent plus de comportements insécurisés. On peut se demander si dans ces familles fragiles avec une mère isolée, le fait que le père s’occupe de l’enfant est ressenti par la mère comme une aide, sans prendre en compte l’inquiétude que cela peut générer chez l’enfant petit.