Janine Chasseguet-Smirgel : une longue histoire
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Janine Chasseguet-Smirgel : une longue histoire

C’est une longue histoire qui lie Janine Chasseguet-Smirgel à Vienne et à la WPV (Wiener Psychoanalytische Vereinigung), la société psychanalytique de Vienne. Dans les années 70, la traduction allemande de son livre sur la sexualité féminine eut, dès sa parution, un grand impact sur toute une génération de jeunes analystes. Cette nouvelle approche de la sexualité féminine eut également des retombées à Vienne, où un certain nombre de mémoires lui sont consacrés. Elle fut plusieurs fois l’invitée de la société et a donné des conférences à Vienne. C’est avec une grande attention qu’elle suivit les événements et discussions au sein de la DPV (Deutsche Psychoanalytische Vereinigung), la société psychanalytique allemande, et de la WPV, précédant le congrès de l’IPA à Hambourg en 1985, ainsi que les discussions qui en suivirent.

Au milieu des années 80, à la suite de l’affaire Waldheim, nous commençâmes un projet de recherche sur la question de l’antisémitisme dans les psychanalyses en Autriche (et en Allemagne). Nous avions l’impression que ce phénomène se manifestait dans de nombreux traitements et voulions discuter et comparer nos expériences à celles de nos collègues. En effet, lorsque nous leur en parlions, de nombreux collègues niaient l’existence d’un tel phénomène. Ce n’est qu’au bout d’un long travail de présentation de nos cas cliniques dans un groupe de recherche regroupant des collègues de différentes écoles psychanalytiques et confessions, que les collègues incrédules virent émerger les mêmes phénomènes dans leur propre travail. Pour discuter de tout cela, nous avions invité Janine Chasseguet-Smirgel, Béla Grunberger ainsi que Mortimer Ostow (New York) à débattre de ces problèmes avec nous. A partir de ce moment-là, nous fûmes liés par une profonde amitié. Janine et Béla nous apportèrent un soutien moral et professionnel dans les disputes et discussions très controversées que nous menions sur les thèmes de l’antisémitisme et les conséquences du national-socialisme sur la société psychanalytique de Vienne. Ses travaux sur la créativité et les perversions faisaient également l’objet de discussions au sein de la WPV et influencèrent les activités scientifiques à Vienne. Elle participa à plusieurs grandes réunions scientifiques et ses thèses obtinrent une grande reconnaissance. Ce n’est pas uniquement en raison de son approche scientifique, grâce à ses idées intelligentes et rénovatrices, mais aussi grâce à son charme qu’elle conquit Vienne. Par la suite, elle accepta d’autres invitations de la WPV et y discuta du thème qui lui était si cher : le désir « féministe » de la suppression de la différenciation entre homme et femme, le désir de la négation de la différence des sexes.

En 2002, Janine fut chargée par Otto Kernberg, alors président da la IPA, d’organiser et de diriger un groupe international centré sur la question de l’antisémitisme contemporain. Ce groupe fut constitué à la suite de la débâcle de la représentation de la délégation de l’IPA lors de la conférence contre le racisme en septembre 2001 à Durban, en Afrique du Sud. Contrairement aux représentants d’autres délégations, la représentante de l’IPA n’avait pas quitté la conférence lors de l’adoption d’une mention mettant au même niveau racisme et sionisme. J. Chasseguet-Smirgel organisa six groupes internationaux (France, Autriche-Allemagne, Pologne, Scandinavie, New York et Amerique Latine) qu’elle anima personnellement. Elle, qui n’était pas religieuse, était fière d’avoir pu réunir dans le groupe parisien sur l’antisémitisme des psychanalystes, des chercheurs de différentes disciplines ainsi que des prêtres et un grand rabbin. Nous eûmes l’honneur et le plaisir de participer à plusieurs réunions de ce groupe parisien. Au cours d’un de nos derniers entretiens téléphoniques, elle n’évoqua pas sa maladie, laissant juste entrevoir qu’elle ne se portait pas bien. Elle critiqua la décision de l’IPA de dissoudre le groupe et de mettre en place un autre groupe sur les préjugés incluant l’antisémitisme. Elle avait été nommée consultante, mais ce fut également le cas pour son adversaire de l’époque. Elle critiqua aussi le fait que les autres membres des groupes internationaux qu’elle avait mis en place, n’avaient pas été contactés, ni intégrés dans ce nouveau groupe.

L’engagement de Janine s’est quelque peu atténué ces dernières deux années, d’abord en raison du déclin puis du décès de Béla et, ensuite, à cause de sa maladie. Mais elle ne cessa de soutenir de nombreux collègues. Avec Janine, nous avons perdu une psychanalyste très engagée, qui s’attelait courageusement et avec originalité à des « thèmes chauds », que ce soient les questions controversées de la sexualité féminine, des perversions, l’art ou le national-socialisme et l’antisémitisme. Nous perdons aussi une amie, proche et fiable, qui prenait également part à nos problèmes familiaux et quotidiens. C’est une grande dame de la psychanalyse et une très bonne amie qui nous a quittés.