EXPOSITION, José Manuel Egea, Lycanthropos, Galerie Christian Berst – Art Brut, 3-5 rue des Gravilliers, Paris 3e. Jusqu’au 15 octobre 2016
Je me souviens de la petite galerie, derrière la Bastille, où Christian Berst exposait depuis 2005 des œuvres d’Art Brut, que venaient voir quelques amateurs ou collectionneurs, dans l’indifférence générale, l’Art Brut n’ayant à cette période pas sa place dans le monde et le marché de l’art. Les choses ont bien changé depuis. Les galeries, les musées, les marchands, le public manifestent, depuis une dizaine d’années, un engouement croissant pour ces artistes marginaux. Ceux-ci sont de plus en plus présents dans les grandes foires et leur prix ne cesse d’augmenter.
Christian Berst, lui, est donc devenu une personnalité importante dans le monde de l’art, et a ouvert récemment un lieu à New York. En 2010, il a déménagé dans le Marais, où, fidèle à ses premiers engagements, il continue de faire connaître ces artistes, connus ou peu connus. Actuellement, il y présente la première exposition solo de l’artiste espagnol José Manuel Egea, dont les très beaux dessins exposés ici ont été réalisés dans un centre de création à Madrid qui accueille des personnes présentant des déficiences intellectuelles.
José Manuel Egea choisit des photographies dans des magazines qu’il crayonne au stylo bille, d’un geste rageur, les recouvrant d’un gribouillage frénétique, pour leur donner une allure de loup. Ces images sont essentiellement des portraits, auxquels il rajoute une pilosité touffue, des oreilles, des yeux énuclées, produisant des personnages extrêmement inquiétants, mi-humains, mi-bêtes, dotés d’attributs lupins.
Car José Manuel Egea s’identifie à la figure du loup garou ou « lycanthrope », fasciné depuis son enfance par les super héros des Marvel Comics, et tout particulièrement Jack Russel et de Hulk, le géant vert. Le lycanthrope est un être humain qui a la capacité de se transformer, partiellement ou complètement, de manière transitoire, en loup, souvent féroce et meurtrier, qui attaque ses victimes pour les dévorer. Cette très vieille créature mythologique, présente dans tous les folklores du monde, a inspiré de nombreuses œuvres artistiques, dont le film The Wolfman réalisé en 1941 par George Waggner. Elle a donné aussi son nom à une maladie psychiatrique, la lycanthropie, décrite depuis l’Antiquité.
Le patient est convaincu de devenir un loup, et, envahi d’hallucinations, voit son corps se transformer, avec des crises de hurlements où il tente de s’arracher la peau. Egea, lui aussi, fait des crises au cours desquelles il a besoin de hurler, d’arracher et de déchirer ses vêtements, ainsi que les magazines et les livres illustrés, tout spécialement ceux sur l’art, que sa famille doit cacher afin d’éviter qu’il ne les découpe ou en arrache les couvertures.
Est-ce que par ses productions artistiques, José Manuel Egea cherche à représenter – peut-être à exorciser – cette « part de loup », comme il l’appelle, dont il fait l’expérience à l’intérieur de lui-même ? Comme souvent avec les artistes d’Art Brut, on est au croisement de la psychopathologie et de l’art. Et comme souvent pour ces artistes, Egea donne une valeur universelle à une expérience personnelle, à ses symptômes. En figurant la transformation de l’homme en bête, d’être humain en créature puissante, terrible et indestructible, José Manuel Egea traque la bestialité des humains et révèle le double monstrueux en chacun.