Exposition. Judith Scott, objets secrets. Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris. Jusqu’au 18 décembre 2011.
L’Art Brut connaît à l’heure actuelle un vaste engouement. Loin d’être une catégorie dépassée, comme l’affirment certains, les œuvres de l’Art Brut sont recherchées par les collectionneurs, exposées dans les galeries spécialisées de plus en plus nombreuses, entrent dans les grands musées, font l’objet de thèses. Cet art, issu des hôpitaux psychiatriques au 19ème siècle, révélé par les psychiatres, dont en premier la magnifique collection Prinzhorn, puis reconnu par les artistes (Klee, Dubuffet qui a inventé en 1945 le terme « Art Brut ») connaît un nouveau développement.
A l’heure actuelle, ces créations marginales et subversives sont considérées comme une nouvelle manière de penser l’art en général souvent en rapport avec les démarches des artistes contemporains. Déjà, Rilke ayant pris connaissance du livre de Prinzhorn, écrivait à Lou Andréas Salomé que ces œuvres allaient « permettre d’acquérir de nouvelles explications sur l’origine de la créativité ».
Actuellement, à Paris, on peut voir l’œuvre d’une artiste exceptionnelle, Judith Scott. Trisomique, déficiente, probablement psychotique, elle a produit une œuvre admirable. L’histoire de Judith Scott est étonnante. Jumelle d’une sœur qui n’est pas handicapée comme elle, elle a été séparée de son milieu familial à 6 ans, placée dans une institution.
A l’âge adulte, sa sœur jumelle a décidé d’aller la chercher et de la faire entrer dans un atelier en Californie, dirigé par Tom DiMaria. Là, elle a déployé une activité artistique intense, jusqu’à sa mort en 2006.
Elle prend des objets (parapluies, bouteilles …), plutôt dérisoires, des objets de rebut, le plus souvent dérobés, et elle les entoure de fils de laine, avec une dextérité époustouflante et un sens de la composition et des couleurs qui surprend chez cette femme qui a crée hors des circuits de la formation artistique ou du marché de l’art, ce qui est d’ailleurs la caractéristique des artistes d’Art Brut. Le résultat est magnifique. On ne voit plus rien de l’objet qui a été ainsi enveloppé. Mais on voit des sculptures textiles, qui ne sont pas sans évoquer Louise Bourgeois. Posées ou suspendues dans la splendide sacristie du Collège des Bernardins, méritant bien l’appellation d’objets secrets, elles évoquent les objets cérémoniels qui ont été exposés au musée du quai Branly en 2009.
Objets d’une étrange beauté, qui cachent quelque chose à l’intérieur, rendu invisible par l’enveloppement de substances corporelles, végétales, textiles etc… Le sens de ces objets rituels est de créer des liens entre le monde des vivants, visible, et l’au-delà invisible, en abolissant la distinction entre l’ici-bas et l’au-delà. Curieusement, Judith Scott reproduit ces gestes sacrés des sociétés dites primitives, emprisonnant un objet dans un enchevêtrement de fils et de nœuds, tout comme les devins qui tentent de contrôler les puissances surnaturelles.
Construit-elle les enveloppes corporelles et psychiques qui ont été défaillantes ? Est-ce qu’elle crée un corps pour deux, avec sa sœur jumelle, perdue puis retrouvée ? S’agit-il de cacher son origine honteuse, elle qui a été éloignée de sa famille à cause d’un handicap ?
Toujours est-il que ces sculptures nous interpellent sur l’énigme de la création artistique.