La capacité d’être triste
Éditorial

La capacité d’être triste

Super, sensas, cool, ça craint… et toi, t’as des sensations? Nuit d’insomnie, excitation à surfer sur le web pour trouver un site où répandre ses synapses inoccupées, un CD dans chaque oreille, un écran devant les yeux, un brin d’herbe pour la détente, une ligne de coke pour l’acuité, une pastille d’ectasy pour le voyage… Faire le plein de sensations pour chasser les émotions? L’idéologie d’un surhomme (politiquement correct ?) asexué, conquérant, vainqueur, surtout actif, inlassablement actif dans la recherche de sensations toujours plus…plus quoi ? Oui la course aux sensations est lancée, les émotions sont traquées?  L’émotion nous tombe dessus, nous envahit,nous piège : genou à terre, nuque pliée, l’émotion nous « prend » dans une posture de soumission contraire au bazar idéologique actuellement en vogue. Dans un monde sans tristesse, la dépression nous guette. L’heure est-elle venue pour l’éloge de la paresse, de la lenteur, de la soumission, de la passivité, de l’attente surtout. Savons-nous encore attendre ? Entre-deux de l’attente, zone d’émergence émotionnelle, de surprise à penser, d’incertitude à tolérer. L’intolérance à l’attente et la quête frénétique des sensations génèrent deux menaces : l’effondrement dépressif, l’adhésion aux dogmes sectaires. Deux manières de briser le temps de la vie pour se figer sur la mort ou se dissoudre dans l’éternité. Deux menaces très actuelles pour la santé mentale du troisième millénaire…