La « e-santé » mentale périnatale
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La « e-santé » mentale périnatale

La démographie comme la natalité sont des questions d’ordre politique, au-delà même de leur aspect de santé publique. Celle-ci a fait chez nous des progrès considérables, ainsi qu’en témoigne surtout la baisse de la mortalité néonatale de la mère comme de l’enfant. C’est ainsi que l’Europe, pour maintenir son taux de natalité, doit recourir à l’immigration ; ce qui ne va pas sans poser des problèmes. De plus, la période périnatale allant de la grossesse au post-partum peut être une période de décompensation psychopathologique. Il faut ici faire la part du bouleversement hormonal considérable qui la caractérise, mais également des facteurs psychosociaux d’adaptation de l’homéostasie familiale à l’arrivée -pourtant attendue-du nouveau venu qui peut la perturber, voire la fragiliser. Cette adoption par chacun des membres de la famille, selon son niveau de maturation, devient l’objet d’un véritable travail psychique.

Il faut également tenir compte de l’environnement familial, qui a également changé. La famille, aujourd’hui éclatée du fait de séparations et divorces, a perdu la solidité sécurisante d’autrefois. Il en résulte une perte d’étayage qui contribue à la décompensation sur le mode dépressif. Si une femme sur quatre fait habituellement une réaction dépressive, le blues du post-partum, 12 à 18 % font une décompensation dépressive, la « dépression postnatale » ou, plus rarement (2 à 3 pour mille), délirante, la « psychose du post-partum« , sans même ici parler de la possible décompensation d’une psychopathologie préexistante. C’est ainsi que l’arrivée d’un bébé peut ne pas être la plus belle chose au monde, bien au contraire ; mais qui oserait s’en plaindre et dire sa souffrance dans un tel moment social de réjouissance ? On comprend mieux la richesse des rites qui encadrent ce moment fécond pour absorber l’angoisse circulante, ce qui n’est toutefois pas suffisant !

Il convient de souligner un autre paradoxe : la dépression postnatale s’amende spontanément, même si l’on ne se soigne pas, au bout de douze à dix-huit mois ! Toutefois les troubles précoces de l’attachement, en miroir, observés chez le nourrisson en cette période sensible de sa construction, risquent de se fixer de manière irréversible, venant négativer les avancées enregistrées en matière de santé publique somatique. D’où l’importance de la mise en place sur le plan psychosocial -à titre préventif et curatif comme en terme d’éducation et d’information sanitaire- d’une stratégie de vigilance périnatale en sachant précisément la résistance à consulter comme le déni des troubles mis sur le compte de la « fatigue » habituellement invoquée à cette période.

Si tous ces éléments anthropologiques sont bien connus, depuis le « tu enfanteras dans la douleur » biblique, en passant par Hippocrate, ce n’est qu’en 1858 que Louis Victor Marcé rassemble de nombreux documents cliniques sur l’aliénation des femmes enceintes et publie le Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices que nous avons republié en 2002 chez L’Harmattan (Marcé, 1858). C’est la première fois qu’un clinicien faisait le lien entre la clinique et les perturbations hormonales de cette période périnatale, lien aujourd’hui largement confirmé ! Depuis, cet auteur est tombé dans l’oubli chez nous mais pas en Grande-Bretagne où, dès les années 1930, s’ouvraient dans les services de psychiatrie adulte des lits mères- bébés et plus tard une société scientifique, la Marcé Society, pour promouvoir l’étude de ces troubles. C’est enfin, en 1997, qu’est née chez nous la Société Marcé francophone.

Cet ensemble explique pourquoi, à la faveur d’une baisse de la fécondité dans les régions développées, la psychiatrie périnatale est une discipline en plein essor que s’approprie la culture de chaque pays, en fonction de son histoire, ses traditions, son équipement sanitaire, ses ressources économiques, en y intégrant également les nouvelles techniques de communication et d’information, d’autant qu’ici ce sont le recours et l’accès aux soins qui posent problème, en dehors même de l’équipement nécessaire, essentiellement humain. Étant donné la mondialisation de cette problématique, on comprend mieux pourquoi l’Organisation Mondiale de la Santé s’y intéresse en partant d’une observation banale : c’est la dépression maternelle qui serait à l’origine de la mortalité néonatale considérable, en raison du manque élémentaire d’hygiène d’une mère qui, du fait de sa souffrance du post-partum, ne peut correctement prendre soin de son enfant. La porte reste grande ouverte pour la créativité en matière de promotion, prévention de la santé mentale périnatale. C’est ainsi que nous nous sommes laissés enseigner par les mères qui ont demandé à passer un après-midi par semaine à l’Unité d’accueil mère-enfant de Saint-Denis (93) à condition de ne pas rencontrer un médecin dans cet hôpital de jour ! Les difficultés observées étaient les mêmes que celles des mères qui, se reconnaissant en souffrance, y venaient régulièrement ! Cela nous a conduit à promouvoir la création de « clubs » : de bébés, de nouvelles mères, de nouveaux parents !

Les progrès de l’informatique dans le monde médical comme dans beaucoup de foyers incitent à étendre son usage en péri-natalité comme en médecine. Le dossier médical partagé, respectant les conditions de confidentialité, favorise la transmission des examens complémentaires en temps réel, permettant une plus rapide synthèse de la clinique, de la biologie et de l’imagerie en évitant le traditionnel « saucissonnage » du patient. Par ailleurs, dans les pays où les distances géographiques sont énormes et la démographie médicale concentrée sur quelques lieux, le recours au Net permet une communication plus efficace tout en évitant des déplacements inutiles et coûteux.

L’organisation des soins, l’implantation ancienne de la psychiatrie communautaire, la plus claire délimitation des tâches entre psychologues, paramédicaux et médecins du fait même de la démographie de ces derniers, semblent avoir contribué au temps d’avance de l’usage du Net en pays anglo-saxons. Un recours plus facile au domicile du patient par les home visitors -sans forcément attendre la demande comme chez nous-, une propension plus aisée à parler ses sentiments et partager son vécu, une orientation délibérée vers la prévention et l’éducation sanitaire font qu’en Grande-Bretagne comme dans beaucoup d’autres qui témoignent d’une plus grande sensibilité au féminisme et à la problématique du « genre », le souci de la périnatalité est davantage entré dans les moeurs, comme du reste la facilité d’accès au Web. D’où la prolifération des sites médicaux, paramédicaux et d’usagers, sans parler des chats et blogs en tous genres. C’est dire la largeur de l’éventail où il y a du meilleur et du pire pour permettre au lecteur de mieux puiser dans cette auberge espagnole ce qui l’intéresse. Nous restons persuadés que certaines femmes, aujourd’hui, recourent plus aisément, en fonction de leur culture et du niveau de leur dépression, aux e-solutions. Une tentative de réponse aux questions des usagers en psychiatrie sur un site professionnel nous a beaucoup éclairés sur leurs préoccupations, la nécessité d’être entendues, de communiquer.

Nous avions également -sans succès- fait la suggestion de mettre en place une borne Internet à titre expérimental, quitte à généraliser ensuite -dans chaque PMI ou centre de bilan de santé. Cela permettrait même à ceux qui ne savent pas lire et écrire, et qui a fortiori ne sont même pas équipés, de bénéficier également de l’assistance d’un « scribe », réhabilitant ainsi cette vieille fonction qui contribue à la santé mentale, tout en favorisant la mise en place d’un lien avec l’écrivant.

L’accès aux nouvelles technologies peut-elle être -sans toutefois les remplacer- une alternative aux soins ? Les ressources du Net, en dehors de l’e-mail, des groupes de chat, avec ou sans meneur de jeu, sont nombreuses. Une femme en souffrance dans l’anonymat, voire des membres de son entourage, pourraient écrire leurs préoccupations. Une telle entreprise pourrait raccourcir, comme cela se fait déjà en Allemagne, le temps d’hospitalisation, servir de lien à la sortie d’un enfant prématuré du service de néonatalogie. Vivre avec un enfant mal formé, ayant des troubles sensoriels graves, est une rude épreuve pour lui-même comme pour son entourage qui peut avoir besoin de s’épancher pour son propre compte, indépendamment des lieux traditionnels où il se rend.

Tout cela n’est pas sans poser la question du transfert, vraie-fausse question qui exprime la résistance de celui qui la pose ! Il existe certes un transfert inévitable avec l’interlocuteur du Net même si on ne le voit pas, ce qui favorise l’efflorescence de l’imaginaire. Qu’en est-il de la confidentialité ? Là encore il existe des astuces techniques pour la respecter. On peut multiplier à loisir les questions chatouilleuses : rémunération ou bénévolat ? Professionnels confirmés avec l’aide de stagiaires en fin de cursus ? Quelle déontologie ? Quelle éthique ? Quelle garantie ? Comment éviter les charlatans… ? Tout ceci incite à plaider pour la mise en place d’un réseau de proximité du service public avec un service associatif ou privé.

Cela suffira-t-il pour constituer une première étape dans une démarche de soins ? Parler d’Internet pourrait sembler paradoxal sinon antinomique. C’est se confronter dans la solitude avec un PC alors que précisément la promotion de la santé mentale périnatale passe essentiellement par celle du lien social et de la sortie de l’isolement ! Sans doute une telle démarche ne constitue-t-elle pas un soin suffisant ni ne permet forcément la prévention d’une tentative de suicide ! Peut-être convient-il de tenter une mise en réseaux des services spécialisés, associatifs et institutionnels (PMI, CAF, SS) avec des formules allant des bornes Internet de e-santé périnatale au cybercafé périnatal, en passant par des clubs de nouveaux parents… Cela impliquerait que les « répondants » aient une culture informatique minimale… Le virtuel peut également conduire au réel du lien social. Il contribuerait au soin au sens anglais de to care, prendre soin de, à la prévention (de la psychopathologie postnatale, mais également de la maltraitance), et à la promotion de la santé mentale périnatale, sans parler du rôle pédagogique d’éducation à la santé…
Ainsi, la naissance en tant qu’événement de vie critique favoriserait le recours aux nouvelles technologies ; ce qui est une nouvelle façon de revisiter sa relation à soi-même, ses proches, les professionnels, son temps. Ainsi s’ouvrirait-on à une nouvelle clinique, une nouvelle métapsychologie (d’analyse de contenu) de la demande sur le Net, mais aussi de la réponse. C’est ainsi que « le nouvel enfant », comme le Net, devient le centre d’un questionnement de ses parents et des professionnels qui veillent sur son berceau. Une recherche-action s’impose donc. L’enfant est alors confirmé une fois de plus dans le statut -qu’il a toujours eu- de questionneur et d’analyseur des pratiques de santé qu’il contribue à revisiter et changer, ici à l’aide des nouvelles technologies ; ce qui témoigne qu’on est bien dans le politique.
Note : une sélection de sites réalisée par l’auteur sur ce sujet est accessible sur www. carnetpsy. com, rubrique Archives/Dossier.