La haine de la pensée à l’égard d’elle-même
Éditorial

La haine de la pensée à l’égard d’elle-même

Que sont la psychiatrie et la pédopsychiatrie devenues ? Que l’on soit pessimiste ou pas, l’affaire est suffisamment inquiétante, pour qu’on s’y arrête : la psychiatrie a disparu, et la pédopsychiatrie est en voie d’extinction. Que l’on ne se méprenne pas, pourtant, sur le sens de mes propos. On recense toujours des psychiatres et des pédopsychiatres sur notre planète, et des activités dénommées « psychiatriques ou pédo-psychiatriques » peuvent encore être répertoriées, mais la conception de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie en tant que disciplines fondées sur la psychopathologie, c’est-à-dire sur l’espoir et la tentative de donner du sens aux divers destins individuels et à la souffrance des personnes, se voit aujourd’hui plus que menacée, et d’ores et déjà confinée dans un statut de vestige du passé. Des preuves à l’appui de cette triste vision des choses ? Nous ne ferons que citer :

  • L’usage perverti, depuis de trop longues années, du DSM IV
  • La mise en oeuvre annoncée du PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes Informatiques), ou de ses variantes à peine édulcorées
  • Les trois expertises de l’INSERM, dont on sait qu’elles prétendent aboutir à la possibilité de repérer dès la crèche les futurs adolescents délinquants de nos cités de demain. Alors comment comprendre ce qui, à nos yeux, fait figure de désastre ? Trois hypothèses semblent devoir être retenues : .Une hypothèse sociologique tout d’abord, qui concerne les modifications de la demande de la collectivité envers les psychiatres et les pédo-psychiatres, avec l’avènement d’une demande de plus en plus adaptative et symptomatique, centrée, selon les époques, sur la violence des adolescents, la maltraitance et les abus sexuels, les troubles obsessivo-compulsifs (TOC), la maladie de Gilles de la Tourette, et les troubles oppositionnels avec provocation (TOP), plus récemment.
  • Une hypothèse économique liée à la pression des laboratoires pharmaceutiques
  • Une hypothèse psychologique ou anthropologique, enfin, dans la mesure où il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les medias et le grand public pour évacuer la complexité qui nous confronte immanquablement à la question de la sexualité, de la souffrance psychique et de la mort. Cette haine de la pensée pour elle-même renvoie à un masochisme fondamental de l’être humain, et nous ne le modifierons pas d’un tour de main, bien évidemment…

Peut-être devons-nous seulement essayer d’en faire un masochisme érogène, selon les termes de Benno Rosenberg, dont l’optimisme, finalement, quelque part nous manque !