La latence en jachère
Éditorial

La latence en jachère

Le prochain congrès Bébés/Ados s’annonce bientôt, porteur d’attentes et de promesses… Qui pourrait s’en plaindre quand on sait la fête de la pensée qui s’y joue à chaque fois ? Pour autant, il ne faudrait pas que les bébés et les adolescents nous fassent oublier la période de latence qui est loin de nous avoir livré tous ses secrets. Elle a été suffisamment en jachère et il est temps, maintenant, de reprendre à bras-le-corps tous les problèmes théorico-cliniques passionnants qu’elle continue, fort heureusement, à nous poser.

La latence n’est pas universelle, et elle n’est pas un stade comme les autres : plus que les autres, elle est le fruit d’une co-construction entre l’enfant et ses parents qui ont besoin, les uns comme les autres, de se reposer de leurs turbulences œdipiennes ou contre-œdipiennes. Ceci étant, l’augmentation considérable des tentatives de suicide chez les pré-adolescents peut faire penser que la sortie de la période de latence se complique aujourd’hui singulièrement – avec un découplage de plus en plus fréquent entre la puberté (du corps) et le pubertaire (de la psyché) – phénomène qui interroge tout à la fois et l’histoire précoce des bébés et les transformations de l’adolescence.

Si les bébés n’ont plus le temps suffisant d’être des bébés, leur différenciation intersubjective ne peut être que fragile et, dès lors, ce qui s’en rejoue à l’adolescence, cette fois-ci en termes de séparation, risque peut-être de fonctionner comme une réelle menace développementale. Les bébés sont relativement rares, ils sont d’autant plus précieux, on leur demande d’être parfaits et de plus en plus vite autonomes. Ceci ne peut être sans conséquence, et doit nous amener à un plaidoyer en faveur du droit à l’enfance, et pas seulement en faveur des droits de l’enfant. A Cerisy-la-Salle, vient de se tenir un colloque d’une rare qualité sur le thème de la narrativité, au cours duquel le concept « d’identité narrative » de Paul Ricœur s’est trouvé maintes fois évoqué, et nous avons pu sentir à quel point il n’y a pas de narrativité sans temporalité : un temps pour vivre l’histoire, un temps pour la raconter, un temps pour se la raconter.
Si nous n’accordons pas aux bébés le droit de l’être suffisamment longtemps, alors c’est l’entrée dans l’adolescence qui deviendra problématique pour eux, avec une réactivation des angoisses premières de différenciation désormais inaptes à se rejouer en angoisses de séparation structurantes. Autrement dit, vive la latence qui nous éclaire sur son amont et sur son aval, amont et aval que le prochain congrès Bébés/Ados va chercher, à nouveau, à mettre utilement en résonance.