« Objets inanimés, avez-vous donc une âmeQui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
La scène se passe dans un service hospitalier comme il en existe tant, un service où vivent pendant de nombreuses années parfois des personnes âgées très vulnérables, notamment parce qu’une maladie affecte leur cerveau avec force dégâts et entrave considérablement leur autonomie et leur capacité à vivre en sécurité à domicile. Cette scène date d’il y a vingt ans, mais je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais un jeune psychologue stagiaire, pétri d’idéal et de volonté de bien faire, si ce n’est de faire du bien. L’entretien avec Mme D. se déroulait au mieux ; elle qui était parfois si confuse, si angoissée et qui hurlait alors « au secours », sans pouvoir souvent mettre des mots sur ce qui l’angoissait ainsi, me parlait calmement depuis plusieurs minutes ; elle me parlait notamment de sa mère qu’elle chérissait tant et qui allait bientôt venir la chercher pour la raccompagner chez elle et lui offrir un goûter. Une aide-soignante s’approche alors de nous, salue Madame D. avec amabilité, dépose devant elle un plateau avec son repas et commence à découper la viande qui se trouve dans l’assiette. Madame D. regarde les mains qui s’activent, et me dit alors « Vous voyez où j’en suis... On me coupe ma viande... ».
Je pensais que l’intrication des désordres cognitifs liés aux atteintes cérébrales et de la mobilisation de défenses propices à la lutte contre l’angoisse et à la création de sens, quitte à promouvoir la conviction en une néo-réalité qui ferait fi d’une actualité insupportable, je pensais que cela n’était finalement pas une si mauvaise solution. Être vieux et…