La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant
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La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

Chez l’enfant, l’animal occupe une place importance tant dans la vie réelle que dans la vie fantasmatique. L’animal n’est pas doué de parole et cette caractéristique le rend à la fois proche des premières années de l’enfance et plus facilement malléable que l’être humain. Il peut alors devenir, pour l’enfant, un support d’identification et un support de projection de ses fantasmes et de ses pulsions. Ce sont telles ou telles caractéristiques physiques de l’animal qui, symbolisées, permettent à l’enfant de projeter ses pulsions partielles. Ce processus de projection est un moyen de défense originaire contre la part des excitations internes qui atteint une intensité dépassant le seuil du supportable. Il permet d’avoir un persécuteur substitutif, l’animal, sur lequel les enfants projettent leur partie agressive. Devant une boîte de jouets contenant des animaux, un enfant (âgé de 2 à 10 ans) va se saisir de ces animaux dès les premières séances et s’approprier immédiatement certains d’entre eux, comme objet d’identification ou de projection.

Je vais essayer, ici, de démontrer comment le choix des animaux auxquels l’enfant fait appel dans ses dessins ou ses jeux, au cours d’une psychothérapie, s’est transformé durant ces trente dernières années. Ces modifications me semblent liées à l’évolution de la société tant dans le registre culturel que dans le changement de structures de personnalité des enfants que nous recevons.

Je vais reprendre deux cures très célèbres de Freud : Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans et L’homme aux loups, publiées entre 1905 et 1915. J’évoquerai ensuite celle très connue de Carine, petite patiente dont le traitement a été publié en 1972 par R. Diatkine et J. Simon sous le titre : La psychanalyse précoce. Puis je parlerai des psychothérapies de ce début de xxie siècle pour montrer l’évolution non seulement dans les animaux évoqués par les enfants mais aussi dans les pathologies rencontrées.

Le petit Hans

Dans la cure du petit Hans, Freud est le premier à avoir parlé des animaux phobogènes. Il nous montre la façon dont les animaux ont servi à Hans de lieu de déplacement et de projection de ses désirs et de ses craintes. Le cheval occupe une place prépondérante dans ses phobies, mais il est aussi question de la girafe. La cigogne sera aussi présente mais uniquement parce qu’elle est liée à la représentation de la naissance chez cet enfant et n’est, dans ce cas, qu’une reprise du récit des adultes.

Hans va construire sa phobie à partir de l’observation de ce qui se passe dans un hangar à chevaux en face de chez lui. Il va utiliser ce qui est mis à sa disposition visuelle et auditive pour projeter sur ces animaux à la fois ses désirs, qui se transforment par retournement en angoisse, et également pour en faire, par déplacement, des supports identificatoires des imagos parentales.

Il va donner au cheval et à la girafe une polysémie de sens : le cheval est initialement un support de projection de l’imago paternelle qui évoluera vers un animal méchant qui le punit du plaisir qu’il prend à se masturber le soir. Il va dire : « Le cheval mord et j’ai peur qu’il rentre dans ma chambre », exprimant, par là, sa peur d’être castré par son père. Il identifie tellement le père au cheval qu’il dira, un jour, alors que son père se lève de table : « Papa reste ! Ne t’en va pas au galop ! »

Puis le cheval devient un objet partiel (un cheval blanc qui symbolise son pénis) avant de devenir une imago maternelle au moment où il parle de sa peur que des chevaux lourdement chargés tombent, faisant référence à sa mère enceinte qu’il semble avoir eu envie d’attaquer.

La girafe, avec son grand cou, intéresse Hans et lui fait peur en tant que symbole phallique, mais Hans évoque aussi, un peu plus tard, une girafe chiffonnée, symbole du sexe féminin.

Ce qu’il faut retenir dans cet exemple est que Hans apporte dans sa cure un matériel essentiellement œdipien. Le bestiaire qu’il a choisi est celui de son environnement et n’évoque en aucun cas des animaux à connotation archaïque ou terrifiante comme nous le voyons dans les cures contemporaines.

L’homme aux loups

Ici, le patient est un adulte qui rapporte un rêve où il est question de loups. Freud considère que ce rêve a eu lieu lorsque le patient avait 3 ans et demi. Le rêve peut se résumer ainsi : « Tout à coup, la fenêtre s’ouvre d’elle-même et, à ma grande terreur, je vois que, sur le grand noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups blancs sont assis. Il y en avait six ou sept. Les loups étaient tout blancs et ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de berger, car ils avaient de grandes queues comme les renards et leurs oreilles étaient dressées comme chez les chiens quand ceux-ci sont attentifs à quelque chose. En proie à une grande terreur, évidemment celle d’être mangé par les loups, je criais et m’éveillais. »

Le patient associe sa terreur des loups au conte du Petit Chaperon rouge, mais les chiffres de six ou sept loups vont le faire associer aussi à celui du Loup et des 7 chevreaux.

Freud commente alors ce rêve : « Nous nous bornerons à la relation de ce rêve avec deux contes qui ont tant de points communs, Le petit Chaperon rouge et Le loup et les 7 chevreaux ; dans les deux contes, on retrouve le fait d’être mangé, le ventre que l’on ouvre, l’acte de faire ressortir les personnes mangées et enfin, dans les deux cas, le méchant loup périt ». L’impression produite par ces contes sur celui qui n’était alors qu’un petit enfant se manifesta par une phobie classique d’animaux.

Ici, Freud parle du loup comme substitut du père mais se demande si les deux contes n’ont pas un contenu occulte autre que la peur infantile du père. D’autres fantasmes liés à la dévoration pourraient évoquer des attaques contre le corps maternel et la scène primitive.

Le cas Carine

Carine est une petite fille de 4 ans qui a fait un long traitement psychanalytique avec J. Simon. Dès la sixième séance, elle dit : « Je vais te raconter mes mauvais rêves ; cette nuit, j’ai eu peur. J’ai vu un loup, il voulait me griffer et me manger », et elle passe du récit au jeu en essayant de griffer et mordre l’analyste. Mais, un peu plus tard dans le jeu, elle explique : « Une autre fois, le loup n’était pas trop méchant, mais j’avais peur que sa grande queue me fasse guili-guili sur la figure et sur les fesses. » Là aussi, on peut voir que le loup a plusieurs fonctions : imago paternelle qui fait peur, mais aussi imago paternelle plus sexuelle qui fait guili-guili.

À propos du loup, les auteurs font le commentaire suivant : « Le symbole du loup se retrouve fréquemment en psychanalyse d’enfant. Il n’est pas indispensable d’évoquer une trace phylogénétique pour expliquer cette fréquence ; il suffit de tenir compte de l’importance de cet animal dans la culture infantile contemporaine, encore très influencée par l’héritage médiéval transmis par Perrault et par Grimm, et récemment amplifié par Walt Disney et les comics contemporains. Il n’est pas nécessaire d’être un enfant russe, comme le patient de Freud, pour que cette image soit familière, d’autant plus que l’homme aux loups n’en avait, lui aussi, qu’une expérience purement livresque. Son aspect et ses mœurs, décrits dans les histoires enfantines, lui confèrent des caractéristiques parfaitement adaptées pour être utilisé comme symbole. Il est, en effet, pourvu d’appendices terrifiants (son museau, ses griffes et ses dents) ou au contraire séduisants et même fragiles (sa queue, si souvent prise comme dans Pierre et le loup, ou coupée comme dans l’histoire du tailleur racontée par le grand-père de l’homme aux loups). Mais c’est aussi un animal à la gueule effrayante pouvant avaler la grand-mère dans le Petit Chaperon rouge, six des sept chevreaux ou le canard de Pierre, tout en les gardant vivants dans son ventre, à la façon d’une mère enceinte. Animal phallique et dévorant dont la couleur, plus souvent noire que grise, évoque l’analité, le loup est un support parfait pour représenter à la fois les imagos paternelle et maternelle, dans toutes leurs versions sadiques. Cette dualité virtuelle de significations favorise l’organisation défensive liée tant aux déplacements et à la condensation, sous l’effet des processus primaires, qu’à l’élaboration cohérente produite par les processus secondaires » (Diatkine et Simon, 1972).

Ce commentaire très fin et convaincant, écrit il y a plus de trente ans, ne me semble plus tout à fait d’actualité ; en effet, si les trois exemples de petits patients que je viens de citer présentent indéniablement des points communs, la population d’enfants que nous recevons actuellement ne correspond plus que rarement à ces schémas. Dans les trois exemples cités, les enfants avaient entre 4 et 5 ans, étaient en pleine période œdipienne et possédaient tous les trois, d’après les discours qu’ils tenaient, de bonnes capacités d’élaboration secondaire. Dès le début de la cure, ils avaient déjà des possibilités de conflictualisation et les animaux qu’ils ont choisis étaient polysémiques.

Comme le disent Freud puis Diatkine et Simon, l’enfant peut projeter, sur le loup comme sur le cheval, à la fois ses pulsions orales agressives et les imagos parentales, et construire des scénarios autour de la scène primitive. Dans son ouvrage L’animal d’angoisse, C. Rigaud montre bien l’aspect polysémique du loup quand on le compare aux autres animaux : « Parmi les différents animaux du bestiaire enfantin, le loup semble le seul à offrir […] une riche polyvalence projective. Les autres animaux n’ont qu’une seule valence pulsionnelle : le lion et le crocodile ont leur gueule et leurs dents, l’éléphant a la trompe, le rhinocéros a sa corne et la girafe a un cou exprimant le triomphalisme phallique. Le loup a la gueule, les dents, les pattes griffues, les longues oreilles, les yeux menaçants, la queue touffue, le pelage sombre… » (Rigaud, 1998).

La problématique actuelle

Depuis une trentaine d’années, les enfants baignent dans une culture qui s’est modifiée de façon notable. Les enfants petits, qui autrefois entendaient beaucoup de récits de contes, se nourrissent actuellement fréquemment de dessins animés dans lesquels les robots et les monstres ont supplanté les animaux. Les personnages tout-puissants et pourvus de pouvoirs magiques ont remplacé les héros de naguère et les loups ont disparu des forêts d’Europe. Qui plus est, il est vraisemblable que les adultes n’ont plus ces craintes ancestrales et que cette sorte de peur n’est plus transmise de la même manière aux enfants. La conséquence est que l’on rencontre plus rarement des loups dans le matériel de psychothérapie, que ce soit dans les dessins ou dans les jeux. En revanche, nous entendons beaucoup parler de serpents, de requins, de crocodiles, de dinosaures et de monstres en tous genres. Il est, d’autre part, très peu question d’animaux de ferme, de vaches, de cochons, de dindons ou d’animaux apprivoisés comme des chats ou des chiens qui ne peuvent être le support de projection des pulsions partielles agressives.

Le changement dans le choix des animaux est-il dû à cette évolution du milieu ambiant, de la société en général, ou faut-il y voir, comme je le disais dans mon introduction, un changement de structure mentale des enfants à l’instar de ce qui est observé chez l’adulte ?

Il semble que les deux hypothèses méritent d’être retenues et ce d’autant plus qu’elles sont en lien. La société évolue vers une diminution de la symbolisation au profit de l’acte ; le surmoi culturel s’est affaibli et les enfants montreraient une problématique où la structure de leur moi est plus fragile, le surmoi ne jouant plus son rôle de canalisateur des pulsions. Les analystes d’enfants font le constat qu’ils reçoivent de moins en moins d’enfants sur un registre œdipien et objectal, et que ceux-ci ont été remplacés par des enfants « états limites » qui présentent des problématiques narcissiques souvent dans un registre très archaïque. On a vu apparaître, ces dernières années, une problématique où le prégénital est dominant, où les pulsions partielles orales et anales ne sont pas intriquées à un Œdipe génital comme on peut le voir chez les trois petits patients que nous avons évoqués au début de ce chapitre. Les enfants actuels sont très souvent fascinés par les monstres et les dinosaures, animaux eux aussi plus archaïques que le cheval ou la girafe. Il semble que ces monstres et ces dinosaures aient pris la place qu’occupait le loup. N’oublions pas non plus que, du temps de Freud, les enfants n’entendaient vraisemblablement pas parler de dinosaures, de monstres ou même de crocodiles.

Lorsque l’enfant se trouve dans un registre narcissique, l’angoisse ne se situe pas, comme l’indique la qualification du registre, au niveau d’une castration œdipienne mais plutôt au niveau d’une atteinte narcissique. Les enfants sont alors dans une problématique de survie où la castration ne correspond pas au risque de perdre une partie d’eux-mêmes mais à celui de perdre la vie. Leur problème d’exister aux yeux de la mère, mais aussi à ceux du père, est crucial et le tiers est vécu comme une menace d’annihilation. Les mécanismes envieux et destructeurs sont au premier plan et les animaux prédateurs sont un bon support de projection de cette partie prédatrice qui est en eux. Au niveau de la projection, Freud a parlé de projection et d’identification à l’agresseur ; néanmoins, dans les pathologies limites et la phobie, on parlerait actuellement, après Melanie Klein, d’identification projective. Par exemple, l’enfant projette sa partie sadique orale sur l’animal et imagine que l’animal va ensuite l’attaquer en retour avec ses attributs sadiques. C’est ce que l’on rencontre dans la phobie.

Il n’est pas possible de parler de tous les animaux. Certains, comme les animaux de basse-cour et quelques insectes, n’apparaissent que rarement dans les cures comme je l’ai déjà mentionné. L’éléphant, animal phallique et protecteur, est assez délaissé chez les enfants « états limites ». C’est d’ailleurs, en général, le cas de tous les gros animaux du zoo, à l’exception des félins. J’ai donc choisi d’évoquer ceux dont on entend parler le plus fréquemment, comme le crocodile, le requin, les dinosaures et les monstres.

Le crocodile

Très souvent présent dans les représentations des enfants « états limites » et des enfants phobiques, c’est l’animal carnassier prédateur par excellence, investi uniquement pour ses dents. Support des pulsions sadiques orales et de l’avidité, il est très recherché comme prédateur de tous les rivaux avec l’attaque du sein, de la scène primitive orale et des bébés qui en découlent. En cela, il a une des fonctions du loup mais n’en a pas la dimension libidinale.

J’en donnerai un exemple clinique : Christophe est un enfant de 8 ans qui a eu un arrêt de développement, à l’âge de 1 an et demi, quand son père est parti vivre avec une autre femme. Il refuse de manger autre chose que de la viande moulinée depuis cet âge-là et présente par ailleurs une structure prépsychotique. Au bout d’un certain temps de traitement et à chaque début de séance, Christophe sort trois crocodiles. Ces derniers dévorent tous les bébés (une dizaine de petits jouets Playmobil qu’il aligne sur la table) qu’il imagine avoir été faits par l’analyste entre les séances (en tant qu’imago maternelle). Christophe commente : « Le crocodile mange tous les bébés, il ne recrache que les os. » Plus tard, la mère sera aussi dévorée. Il ne manifeste aucune angoisse pendant ce jeu, n’a pas peur d’une quelconque rétorsion par le père. Il va attaquer également le couple de façon répétitive avec des crottes brûlantes, mais, là aussi, on ne sent pas une réelle conflictualité œdipienne. On ressent plutôt une jouissance, un sadisme primaire froid sans aucune culpabilité, qui évoque une toute-puissance orale et anale destructrice, liée à une envie pour les richesses parentales que les parents se donnent dans une scène primitive orale. Il me dira d’ailleurs à cette époque : « Avant, j’étais un bébé impuissant, maintenant, je suis un chevalier tout-puissant. » Le père castrateur n’est pas figuré car non reconnu ; l’animal choisi n’est pas polysémique. Chez Christophe, le risque de castration narcissique (la mort psychique l’ayant menacé) empêche toute élaboration de la castration œdipienne et la possibilité de jouer de façon réellement libidinale avec les animaux.

Le requin

Cet animal est plus œdipien que le crocodile ; il est souvent entouré d’une multitude de petits poissons et il est fréquent qu’il y ait un trésor gisant au fond de la mer. Le requin représente soit un animal prédateur voulant attaquer le ventre maternel et tout ce qu’il contient, soit, en tant qu’imago paternelle, le gardien d’un trésor qu’un plongeur veut récupérer. On retrouve très souvent des requins dans les cures d’enfants phobiques qui sont plus œdipiens que les enfants « états limites ».

Les dinosaures

Les dinosaures sont liés à la préhistoire. Au fil du temps et des cures que j’ai conduites ou qui m’ont été communiquées en tant que superviseur, il m’a semblé que l’on pouvait faire référence à deux types de préhistoire : soit, tout d’abord, à une préhistoire transgénérationnelle si elle est omniprésente dans le psychisme de l’enfant. Souvent, dans ce cas-là, le petit patient est passionné, voire enfermé dans ce monde de dinosaures ; il connaît tous leurs noms, leurs attributs et leurs caractéristiques, qu’ils soient herbivores ou carnivores.

Soit il s’agit de la préhistoire de l’enfant, c’est-à-dire de l’époque où, comme les animaux, il était lui-même sans langage et a vécu des traumatismes qu’il n’a pas pu dépasser. Il n’avait à cette période, pour se défendre et pour attaquer, que ses dents, ses ongles et ses matières corporelles.

Il me semble que le dinosaure est tout à la fois une partie de l’enfant avec ses attributs dangereux et un animal gigantesque identifié au parent que le bébé perçoit comme un géant. Contrairement au loup ou au cheval du petit Hans, le dinosaure n’est pas un animal qui semble leur faire peur mais plutôt qui les attire.

Nous l’avons déjà mentionné, le dinosaure peut être herbivore ou carnivore. Herbivore, il est associé au stade oral de succion, c’est-à-dire à un animal gentil. Carnivore, il devient un carnassier aux dents tranchantes en lien avec un sadisme oral, période de découverte de la morsure et de la mastication. Très souvent, le dinosaure préféré est le tyrannosaure, qui porte bien son nom, car il évoque la partie tyrannique du bébé. J’ai constaté que la plupart du temps, quand un enfant s’intéresse au tyrannosaure, il exprime l’emprise et la tyrannie qu’il aurait souhaité exercer sur une mère déprimée ou mentalement absente, telles que certaines mères peuvent l’être dans les premiers mois après l’accouchement, durant la période d’allaitement.

Là encore, je vous propose un exemple clinique : Hugo, âgé de 8 ans, consulte pour un repli sur lui-même et des difficultés scolaires. Il m’apparaît comme un enfant très phobique, allant jusqu’à avoir des retraits autistiques où il parle tout seul en déambulant de long en large. Dans son histoire, on retrouve à la fois un problème transgénérationnel – un de ses grands-pères a été assassiné – et un problème dû à une séparation difficile d’avec sa mère quand il a été mis en crèche à 9 mois, ce qui a entraîné probablement une dépression et un retrait libidinal. Une psychothérapie est mise en place au rythme de deux fois par semaine.

Après avoir exprimé au travers de jeux ce qu’il savait de la mort de son grand-père, il s’est mis à dessiner des animaux à chaque séance. Son graphisme de très bonne facture montrait un bon niveau intellectuel, mais il ne dessinait qu’un animal par feuille, ne faisait aucun commentaire et ne racontait aucune histoire. Dessinés d’abord au feutre noir sans être coloriés, ses animaux représentaient soit des félins, soit des dinosaures. Les dinosaures étaient gentils et n’avaient pas de dents apparentes. Dans la vie réelle, il connaissait en détail tout ce qui concernait les dinosaures et les grands animaux sauvages, avec une prédilection pour les félins qui vivent isolés dans le froid ou les montagnes. Il lisait fréquemment des livres à ce sujet. Ces animaux solitaires semblaient être une représentation de lui-même. Au fil du temps, les dinosaures qui revenaient de façon récurrente avaient des griffes et des dents de plus en plus importantes. L’agressivité orale dans ses dessins contrastait avec son comportement à mon égard qui restait partiellement phobique. Mes interprétations aux deux niveaux de sa préhistoire, transgénérationnelle et personnelle, ont alors amené un changement dans ses dessins et dans son comportement. J’ai tour à tour évoqué les imagos parentales et grand-parentales et les mécanismes d’identification projective où, ces animaux dangereux attaquant les imagos, il risquait d’être attaqué par elles en retour. Les dessins se firent plus colorés et les attributs (les griffes et les dents) de plus en plus terrifiants : un jour, Hugo a même dessiné un énorme dragon qui crachait du feu. Ce dragon était rempli de couleurs vives laissant apparaître ainsi une émergence pulsionnelle vraisemblablement dirigée contre moi dans le transfert, mais aucun ennemi n’apparaissait sur le dessin.

En séance, les pulsions agressives de Hugo émergeaient de plus en plus et modifiaient notre relation, car il devenait beaucoup plus proche de moi, souhaitait faire des combats de coussins où il était capable de m’attaquer sans être débordé par l’angoisse tout en parlant de faire semblant. Parallèlement, dans la réalité, il s’est ouvert aux autres, à d’autres choses que les animaux et a fait de gros progrès scolaires.

Au bout de deux ans de traitement, est apparu le premier dessin de personnage et, au travers de ce personnage, l’enfant a commencé à montrer un intérêt pour la sexualité accompagné cette fois-ci d’attaques contre la scène primitive. Les pets, les envies d’aller aux toilettes, de déféquer ont été accompagnés d’un dessin de phacochère qui, d’après ses dires, empuantissait mon bureau. Récemment, alors qu’à chaque séance précédant des vacances scolaires il partait quinze minutes avant comme pour me protéger de ses attaques orales (ne pas détruire le sein pour ne pas être détruit en retour), il me dit cette fois-ci à deux reprises : « Tu vas me manquer pendant les vacances. » Cette remarque m’a semblé une évolution positive où l’on peut voir apparaître une préoccupation pour l’objet et l’amorce de la position dépressive qui va permettre une évolution vers l’Œdipe.

Les monstres

Ils sont, eux aussi, porteurs d’une agressivité d’origine prégénitale et d’une toute-puissance entretenue par les jouets et les jeux de cartes, le plus souvent d’origine japonaise. Soit ils fascinent (le plus souvent les enfants « états limites » ou psychotiques), soit ils apparaissent dans les cauchemars chez les enfants névrosés. Chez ces derniers, le monstre me semble avoir le même rôle que le loup. C’est un animal polysémique porteur d’angoisse, et son choix est motivé par les supports culturels du moment. Il a une fonction différente chez l’enfant psychotique ou « état limite » chez qui, comme je l’ai déjà dit pour le crocodile, il est essentiellement porteur de la toute-puissance archaïque de l’enfant. Plus l’enfant aura des fixations archaïques et plus les monstres seront présents dans le traitement.

Et les serpents, les araignées et les pieuvres ?

Les serpents sont évidemment porteurs d’un symbole phallique mais ils peuvent aussi attaquer grâce à leur venin. On peut se poser la question de l’attirance des enfants passionnés de reptiles et de batraciens pour ces animaux à sang froid. L’un de ces enfants avait un père violent et je me suis demandé si son intérêt pour ces animaux ne venait pas d’une volonté de se protéger du sang chaud de son père. Ce même enfant s’est mis à dessiner des ours et des autruches au début de son adolescence, des animaux qui se caractérisent par leurs plumes et leurs poils… Notons que les serpents sont beaucoup plus fréquents chez les garçons que chez les filles, contrairement à l’araignée. En fait, l’araignée, souvent considérée comme une expression d’imago maternelle dangereuse car captatrice, pourrait bien être un exemple illustrant l’identification projective : la partie captatrice de l’enfant, projetée dans l’araignée, va l’attaquer en retour. Par exemple, une enfant autiste adoptée, dont l’autisme était lié à une très importante carence précoce, dessinait et évoquait, après les séparations, soit des araignées, soit des pieuvres, comme si elle avait voulu me garder dans sa toile ou dans ses tentacules….

Le loup aurait perdu sa place prépondérante ?

L’analogie entre les caractéristiques physiques des animaux et celles de l’homme les rend particulièrement propres à devenir des supports de projection et d’identification. Les poils, les dents, les griffes, la queue, les oreilles et les yeux du loup l’ont longtemps mis en situation de chef de file. Il occupait ainsi une place prépondérante dans les représentations du scénario œdipien et des imagos parentales. Ces dernières années, une évolution tant culturelle et psychique que sociétale a fait apparaître de nouveaux médiateurs tels que les dinosaures, les robots et les monstres, qui se partagent maintenant les éléments polysémiques que le loup véhiculait. L’utilisation qui est faite de leurs caractéristiques, moins contraignantes mais aussi moins humaines, est peut-être le reflet de l’évolution de notre société.

Bibliographie

Diatkine, R. ; Simon, J. 1972. La psychanalyse précoce, Paris, puf, coll. « Le fil rouge », p. 37-38.

Freud, S. 1909. « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans (le petit Hans) », dans Les cinq psychanalyses, Paris, puf.

Freud, S. 1915. « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (l’homme aux loups) », dans Les cinq psychanalyses, Paris, puf, p. 342-343.

Rigaud, C. 1998. L’animal d’angoisse : aux origines de la phobie infantile, Toulouse, érès, coll. « Actualité de la psychanalyse ».