La résidence alternée et la Défenseure des enfants
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La résidence alternée et la Défenseure des enfants

Je suis ravie de participer à cette réflexion collective sur un sujet dans lequel le droit de l’enfant s’efface trop souvent et sur lequel toute généralisation est dangereusement hasardeuse. Je m’exprimerai de cette place particulière de Défenseure des enfants adjointe du Défenseur des droits pour essayer de répondre à la question de la résidence alternée, poser quelques repères et y réfléchir avec vous.

Le Défenseur des droits, institution récente, est une autorité administrative indépendante de rang constitutionnel. Les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits ont été définies par la loi organique du 29 mars 2011. Il est nommé par le Président de la République pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Un Défenseur des enfants est adjoint au Défenseur des droits pour l’exercice de cette mission, en l’occurrence moi-même, terme significatif d’une force symbolique au sein de l’institution. L’institution Défenseur des droits a regroupé quatre institutions préexistantes : le médiateur de la République ; le défenseur des enfants ; la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) ; la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). L’exercice des missions du Défenseur des droits/Défenseure des enfants s’exerce au travers de trois formes d’actions : instruction des réclamations, promotion des droits de l’enfant, possibilité de proposer des modifications législatives ou réglementaires et de rendre des avis sur tous les projets de lois qui concernent les mineurs.

En matière de défense des droits de l’enfant, la loi organique a confié au Défenseur des droits « la défense et la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France », au premier rang desquels la Convention des droits de l’enfant (CDE) adoptée le 20 novembre 1989 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, signée par la France le 26 janvier 19901, ratifiée le 7 août et entrée en application en France le 6 septembre 1990. Elle est aujourd’hui ratifiée par 192 États. Différents textes internationaux mentionnent le droit de l’enfant de maintenir les liens avec chacun de ses parents reconnaissant ainsi le principe de la coparentalité. C’est dans ce même esprit que s’inscrit la thématique de l’autorité parentale2, entendue comme une coparentalité et une coéducation, que doit être « évaluée » la pertinence de la résidence alternée. L’importance du thème de la résidence alternée et, plus précisément, la question du maintien des liens familiaux et du choix de la résidence lors des séparations parentales, nous a amenés à le soumettre au Groupe de travail « Intérêt Supérieur de l’Enfant » mis en place au sein de l’institution du Défenseur des droits, ayant pour objectif de produire des repères sur lesquels s’appuyer afin de déterminer et prendre en considération l’intérêt de l’enfant dans la prise de décisions le concernant et en s’appuyant sur les éléments de contexte. L’inscription de ce thème se justifiait par le fait que le premier motif de saisine du Défenseur (30 % des réclamations) touche aux difficultés de maintien des liens parents/enfants, en cas de séparation des parents, et par le fait que la Convention des Droits de l’Enfant ne se prononce pas de manière définitive sur ce qui, dans une situation donnée, est dans l’intérêt supérieur d’un enfant et qu’il faut, dans tous les cas, « chercher et inventer » la meilleure solution. Tel est le cas s’agissant de la résidence alternée.

La résidence alternée est une consécration légale récente en droit interne

Elle fait réellement son entrée dans la législation française au travers de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale modifiant l’article 373-2-9 du Code civil qui dispose que « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ». Ce mode de résidence est en constante augmentation, passant de 9,9% en 2004 à 15,8% en 2010. La résidence alternée, comme je l’ai indiqué, est intrinsèquement liée à l’autorité parentale, actuellement définie dans la loi comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Son exercice doit désormais prendre en compte la parole de l’enfant puisque « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité » (article 371-1 al. 3 du code civil), suivant en cela l’article 12 de la CDE. La coparentalité traduit la conviction qu’il est de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses deux parents même lorsque ceux-ci sont séparés (article 372 du code civil) et quelle que soit leur situation matrimoniale3. La loi a inscrit un deuxième principe primordial : chaque parent doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant mais également respecter les liens que celui-ci a établis avec son autre parent. Le respect mutuel, bien que n’étant pas inscrit dans la loi, prend une importance croissante dans la jurisprudence. Devant le juge aux affaires familiales, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant est bien souvent brandie par les parties et leurs avocats comme une notion pré- requise. Mais l’intérêt de l’enfant est souvent confondu avec les griefs des parents. Dans les procédures judiciaires de divorce, cette même loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale paraît avoir déplacé le débat de la question de faute à la question de la résidence de l’enfant. Il est à craindre alors que la proposition de systématisation de la résidence alternée trouve avant tout son fondement dans la revendication de droits égaux pour les parents sur leur enfant, ce qui ne correspond pas forcément à l’intérêt de l’enfant.

Le juge est le garant de l’intérêt de l’enfant lors de la procédure de divorce

S’il juge que la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs n’est pas assurée, le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales peut prendre « toutes mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents » (article 373.2.6 du Code Civil). En cas de désaccord, le juge s’efforce de concilier les parties. Il peut leur proposer une mesure de médiation familiale parentale et désigner un médiateur familial pour y procéder (Art. 373-2-10). La principale difficulté, concernant la détermination de l’intérêt de l’enfant par le juge aux affaires familiales, repose sur le fait que cette détermination ne s’effectue que dans la limite des demandes des parents, les règles de procédure n’autorisant pas le magistrat à statuer au-delà des demandes.

L’audition de l’enfant, qui est devenue obligatoire si l’enfant en fait la demande, permet d’aiguiller le magistrat. Plusieurs difficultés concernant l’audition de l’enfant existent : le fait que l’audition de l’enfant ne soit pas systématique et que la détermination du discernement de l’enfant incombe au magistrat, qui n’est pas obligé de recevoir l’enfant pour déterminer si ce discernement existe. L’évaluation de la situation de l’enfant peut faire les frais d’un défaut de communication entre les professionnels, la circulation des informations pouvant varier d’un tribunal à l’autre. Avant l’expert missionné par le juge, l’enfant est parfois déjà bien connu par d’autres professionnels, notamment des psychologues ou psychiatres qui le suivent en consultation ou par des éducateurs exerçant une mesure éducative. Ceux-ci sont parfois surpris du contenu des expertises, lorsqu’ils en ont connaissance par l’un des parents, et étonnés de ne pas se trouver en concordance avec les observations de l’expert. Se pose également la question de la hiérarchie ou de la concurrence des critères qui permettent de déterminer l’intérêt de l’enfant. Certains critères peuvent permettre de donner une orientation à l’intérêt de l’enfant, alors que d’autres s’y opposent. Il serait donc nécessaire d’accompagner les critères par des formations adaptées pour tous les professionnels ayant à traiter les affaires familiales (magistrats, avocats, experts, médiateurs, travailleurs et enquêteurs sociaux…) ainsi que d’harmoniser les pratiques professionnelles et ne pas seulement les lister avec une grande rigidité.

Il est par ailleurs important de se poser la question de la faisabilité des décisions et de l’appréciation globale des dispositifs mis en place. La loi du 5 mars 2007 fait des visites en présence d’un tiers une modalité du maintien des liens entre l’enfant et son/ses parent(s) lorsque, dans son intérêt, il est nécessaire de médiatiser ces rencontres. La question est de savoir si ces visites en présence d’un tiers sont toujours dans l’intérêt de l’enfant ou si l’enfant ne devient pas un outil pour apprendre au parent à être parent. Les professionnels rencontrent, en effet, souvent des difficultés pour accompagner l’enfant afin qu’il construise sa propre histoire et sa propre représentation de son/ses parent(s) et sous-estiment la capacité de l’enfant à avoir sa propre analyse de la situation.

La visite en présence de tiers, dont la prescription est devenue extrêmement fréquente, devient la norme dès qu’il y a un minimum de risques. À l’étranger, se développe la réponse au risque, davantage par des groupes de parents et enfants confrontés aux mêmes problèmes. Ce qui permet de donner une dimension collective aux actions menées et à l’enfant de découvrir qu’il n’est pas seul à vivre ce type de situation. Certains pays prennent par exemple le risque que la rencontre se passe avec la famille d’accueil, ce qui permet d’ouvrir des perspectives de travail. Il serait intéressant d’envisager de nouvelles approches concernant les modalités du maintien des liens parents/enfant. La préservation de cet intérêt est primordiale et l’égalité des droits entre les parents ne devrait pas être l’objectif privilégié. Parfois même, ces deux objectifs peuvent être contradictoires. Ainsi, la systématisation du principe de la résidence alternée qui revient régulièrement dans le débat public et parlementaire pourrait aller à l’encontre de l’intérêt et l’équilibre des enfants concernés. Il est donc justifié de ne pas instaurer cette systématicité, en laissant au juge aux affaires familiales le soin d’apprécier au cas par cas quelles sont les meilleures conditions de résidence pour l’enfant. Dans 80% des cas, les parents qui se séparent sont d’accord sur la question de la résidence et de l’exercice de l’autorité parentale. Les cas particuliers qui doivent être pensés par la loi ne peuvent dicter les principes généraux.

Le renforcement de la médiation familiale est une nécessité pour prendre en compte ces situations mais à condition que celle-ci soit adaptée à la situation et soit donc exclue dans un contexte de violence intrafamiliale. Il est également nécessaire que les associations de médiation aient les moyens effectifs de fonctionnement. Les délais importants de mise en œuvre des décisions du juge ne contribuent pas à l’apaisement des conflits et donc à l’intérêt de l’enfant. Enfin, la parole de l’enfant doit davantage être prise en compte.

Conclusion

S’il est possible de connaître l’évolution du nombre de résidences alternées au travers du répertoire général civil des Tribunaux de Grande Instance, il semble en revanche plus difficile de connaître l’âge des enfants concernés. Or la question se pose à tous de savoir quelle est la meilleure réponse, s’agissant des jeunes enfants, qui ne constituent du reste pas une catégorie prédéfinie. J’ai, pour ma part, une réserve pour les jeunes enfants. Les tout-petits jusqu’à trois ans, avec certitude, ont besoin de permanence et de stabilité. Une attention particulière est aussi à porter jusqu’à six ans. La résidence alternée permet à l’enfant de conserver ses deux parents à égalité. Il est attendu, accueilli, il se sent désiré et le maintien de cet équilibre fait qu’il n’a pas l’impression d’avoir perdu l’un de ses parents. Ce mode de résidence ferait apparaître un bilan positif, dès lors que certaines conditions seraient remplies :

  • la prise en compte de l’âge de l’enfant
  • la capacité des parents à communiquer. On ne demande pas aux parents une entente parfaite mais simplement de savoir dialoguer. Même si le couple conjugal n’existe plus, le couple parental doit continuer à fonctionner dans l’intérêt de l’enfant. Certains pédopsychiatres, observent que « si une résidence alternée est mise en place trop précocement, cette base de sécurité est inaccessible à l’enfant pendant une durée trop longue, et l’absence de sentiment de sécurité risque alors d’entraîner la constitution d’un attachement dit désorienté-désorganisé ». C’est un système qui peut engendrer des traumatismes surtout chez les tout-petits car pour eux, le père et la mère ne sont pas à égalité même si les rôles sont complémentaires. Au vu des différentes approches et théories relatives au maintien des liens parents/enfant et de l’analyse des différentes situations exposées, la conclusion paraît être que l’intérêt de l’enfant doit avant tout être défini in concreto en fonction de l’âge et de la maturité de l’enfant, de la proximité des domiciles des parents, des caractéristiques matérielles de l’accueil de l’enfant, entre autres.

Notes

  1. Loi de février 2002. L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
  2. Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale.
  3. Qu’ils soient mariés ou non, pacsés ou non, et qu’ils vivent ensemble ou qu’ils soient divorcés ou séparés, à partir du moment où l’enfant a une filiation établie avec ses deux parents.