« Le bébé est à la fois notre passé, notre présent et notre futur »
Entretien

« Le bébé est à la fois notre passé, notre présent et notre futur »


Bernard Golse est pédopsychiatre, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Paris Cité, psychanalyste membre de l’Association psychanalytique de France (APF), et fondateur et directeur de l’Institut contemporain de l’enfance (ICE). Propos recueillis par Jérémy Tancray

Carnet Psy : Bernard Golse, on ne vous présente plus dans le monde de l’enfance, notamment au Carnet Psy où vous avez maintes fois prouvé votre engagement en faveur d’une pédopsychiatrie rigoureusement – et intelligemment – armaturée par la psychanalyse autant comme traitement de la souffrance psychique que comme corpus théorique. Vous venez de publier Le Bébé, une chance pour la psychanalyse aux Éditions Campagne Première, ouvrage qui ressemble, au-delà des positions scientifiques pointues qu’il décline, à une synthèse des rencontres déterminantes de votre carrière. Pourriez-vous nous raconter la place qu’a occupée le bébé dans votre vie de pédopsychiatre, de psychanalyste, de penseur et, si vous le souhaitez, d’homme ?

Bernard Golse : C’est une question difficile parce que nous avons tous été des bébés et, que cela soit conscient ou non, cela a joué peu ou prou dans ce que nous sommes devenus. Seuls Adam et Ève n’ont jamais été des bébés puisqu’ils ont été fabriqués par Dieu directement comme adultes et le mythe de la création, dont il existe tant de lectures possibles, nous montre bien que cela ne leur a guère porté chance… Mais le bébé que l’on a été est extrêmement composite. Il y a le bébé que nous avons effectivement été qui se trouve inscrit au plus profond de nous et qui nous est en grande partie inaccessible du fait de l’amnésie infantile notamment due à la transformation des matériaux psychiques analogiques (préverbaux) en contenus digitaux (verbaux). Mais il y a aussi le bébé que nous aurions aimé être, un bébé idéalisé. Et puis, il y a celui que nous craignons d’avoir été. S’occuper des bébés des autres peut recouvrir le désir plus ou moins inconscient de protéger ces bébés des souffrances que nous estimons nous-mêmes avoir vécues à tort ou à raison. Peut-être y a-t-il eu de cela chez moi ? Mais je crois que ceci n’est pas tout. Ce qui m’a toujours frappé, c’est la créativité des bébés, une créativité sans public nécessaire et même sans tiers interne. Avec Erika Parlato, qui dirige le Babylab que j’ai fondé récemment dans le cadre du CEREP et de l’Institut contemporain de l’enfance (ICE), j’espère que nous pourrons ouvrir prochainement un musée du bébé. Non pas un musée pour les bébés, mais un lieu qui pourrait témoigner de la créativité artistique précoce des bébés, laquelle n’est adressée à personne, au début tout au moins. Initialement, comme l’a bien montré Didier Anzieu (1981), la création artistique et l’acte créateur ne se trouvent adressés à aucun objet particulier. Cette dimension « auto » se perd souvent ensuite, mais c’est elle qui me fascine. Que cela plaise ou non à un tiers, au public, est une question secondaire pour l’artiste authentique en quelque sorte et, de ce point de vue, le bébé est un véritable artiste. Si les bébés ont une place importante dans ma vie, dans ma pensée et dans ma pratique professionnelle, je crois que cela vient de là. Comme l’a dit magnifiquement Jacques Brel : « il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes ». La question étant aussi de devenir adultes tout en conservant toutes nos potentialités de bébés.

À vous lire, le bébé apparaît davantage comme l’avenir de l’homme que comme son passé. Qu’est ce qui justifie selon vous un tel renversement de perspective et sauriez-vous reprendre pour nos lecteurs les ouvertures permises par le bébé sur les plans de la théorie et de la technique psychanalytique ?

Le bébé est à la fois notre passé, notre présent et notre futur. Notre passé parce que nous avons tous été des bébés, cela va de soi. Mais aussi notre présent parce que le bébé que nous avons été perdure en nous tout au long de notre vie, ce que Serge Lebovici (1994), qui m’a beaucoup marqué, avait déjà souligné avec force. La thématique « Bébés/Ados », que nous déployons depuis de nombreuses années avec Alain Braconnier grâce à l’appui de Carnet Psy, témoigne aussi de cette persistance du bébé en nous dans la mesure où nombre de mécanismes et de fonctionnements psychiques à l’œuvre au début de notre vie sont susceptibles de se réactiver et d’être remis en chantier à des périodes ultérieures. Mais le bébé, évidemment, est aussi notre avenir du fait des bébés que nous aurons ou que nous avons eus. L’expérience que je mène depuis longtemps déjà avec Marie Biot, et qui a été relayée dans les pages de Carnet Psy (Golse & Biot, 2017), montre bien que parler aux adolescents des bébés qu’ils ont été les aidera probablement à mieux accueillir les bébés qu’ils auront peut-être un jour. Cette expérience compte beaucoup pour moi et l’attention des adolescents à tout ce qui concerne les bébés me touche infiniment. En outre, à mon sens, le bébé c’est aussi l’avenir de la psychanalyse comme j’ai essayé de le montrer dans ce livre. Il me semble en effet que la psychanalyse s’est, jusqu’à maintenant, principalement centrée sur le couple sujet/objet traditionnel. Si elle veut continuer à vivre, ce que j’espère de toutes mes forces car elle est un bien commun humain inestimable en lien avec la liberté de penser, elle doit maintenant, me semble-t-il, se déployer en-deçà et au-delà de ce couple sujet/objet. Au-delà, c’est-à-dire inclure l’environnement au sens le plus large qui soit dans sa métapsychologie comme cherche à le faire mon collègue et ami Jean-Paul Matot (2020, 2025) dans ses deux derniers ouvrages. En deçà, c’est la question de la problématique préœdipienne et singulièrement avec les bébés, les enfants autistes et les patients dits archaïques, c’est-à-dire avec tous les patients non différenciés ou mal différenciés. C’est dans cette perspective qu’avec mon complice de longue date, Sylvain Missonnier, nous travaillons à la mise en place d’une troisième topique : une topique des liens, dans la mesure où la représentation psychique du lien précède la représentation de l’objet proprement dit (Golse & Missonnier, 2020). Le contenu de cette troisième topique pourrait ainsi être le corps, la sensorialité et les liens. À partir de là, la pratique psychanalytique avec ce type de patients nous permettra, entre autres choses, d’approfondir notre théorie de l’interprétation en tenant compte non seulement de l’énoncé, mais aussi de l’énonciation et de ses conditions. Elle nous permettra également d’écouter le langage du corps et de l’acte qui se déploie grâce à la communication analogique préverbale, de préciser les modalités corporelles et sensorielles du contre-transfert, d’élargir notre vision de la demande qui n’est pas seulement manifeste ou latente, mais qui peut aussi être intransitive c’est-à-dire préobjectale (non adressée à un objet encore clairement perçu comme tel), voire de préciser la dimension authentiquement psychanalytique d’un certain nombre de dispositifs hors cure-type. Ces avancées espérées ne concerneront pas que les bébés ni les enfants autistes, j’en suis sûr, mais comporteront leur part d’intérêt pour la psychanalyse en général.

Puisque vous l’évoquez, peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’avancée de cette troisième topique qui, je le rappelle, ambitionne d’offrir à la psychanalyse une métapsychologie véritable du lien préobjectal primitif ?

Les deux topiques freudiennes (l’inconscient/préconscient/conscient et le ça/moi/surmoi) ont en effet été modélisées pour des sujets différenciés et en particulier névrotiques. Elles ne sont donc pas utilisables pour des sujets encore indifférenciés ou en mal de différenciation. En particulier pour le bébé puisqu’on sait depuis Donald W. Winnicott (1947) « qu’un bébé tout seul cela n’existe pas ». La topique se devant par définition d’être intrapsychique, on ne saurait concevoir de topique intersubjective, dyadique ou triadique. Avec Sylvain Missonnier, nous explorons donc actuellement une topique des liens, car la représentation mentale des liens semble très précoce chez le bébé, précédant la représentation de l’objet en tant que tel.

C’est ce qui avait fait dire à Serge Lebovici (1960) que l’objet peut être investi avant d’être perçu, phrase énigmatique qui a fait couler beaucoup d’encre et qu’on pourrait reformuler aujourd’hui de la manière suivante : l’objet peut être investi via la représentation des liens à l’objet avant que celui-ci soit perçu par le futur sujet comme clairement différencié de lui. On voit ainsi que le bébé ne nous impose aucun renoncement particulier à nos repères psychanalytiques habituels tels que la théorie des pulsions, la théorie de l’étayage et même la théorie de l’après-coup, quitte à modifier quelque peu celle-ci pour la rendre applicable aux traumatismes précoces, voire hyperprécoces, comme nous l’a indiqué René Diatkine (1979) de manière magistrale il y a déjà longtemps. L’enjeu est de taille, car il y va ni plus ni moins de la légitimité de la psychanalyse de l’enfant préœdipien et du bébé en particulier. La question en effet n’est pas seulement d’être psychanalyste ou de travailler dans une optique psychanalytique avec les tout-petits, mais bel et bien d’effectuer des traitements authentiquement psychanalytiques avec eux.

À l’occasion d’un passage sur la nécessité, selon vous, de concilier les théories psychanalytiques et celles de l’attachement – un projet qui vous anime depuis longtemps, jonction des potentialités entre l’intrapsychique et l’interpersonnel – vous écrivez : « Le bébé nous observe… soyons à la hauteur des défis qu’il nous lance » (p. 60). Dans quelle mesure la psychanalyse saurait-elle également être une chance pour le bébé, et ses parents ?

La théorie psychanalytique se réfère principalement à l’intrapsychique et la théorie de l’attachement à l’interpersonnel, mais ces deux corpus théoriques ne sont ni clivables ni opposables, ils sont fondamentalement complémentaires et articulables. Nous avons absolument besoin des deux pour comprendre la croissance psychique et le développement d’un enfant. Le bébé est effectivement un formidable observateur de nos affects et de nos émotions et, parmi les défis qu’il nous lance, il y a précisément celui de tenter de comprendre son monde intrapsychique à partir de l’observation de ses comportements. Autrement dit, l’enjeu est de penser l’intrapsychique à partir de l’interpersonnel, ces deux registres étant en interrelation dialectique au sein du développement lui-même et ce dès le début de la vie. De ce point de vue, l’observation psychanalytique des bébés selon la méthode d’Esther Bick est un outil merveilleux, non seulement dans le cadre de la formation, mais aussi du soin. On sait que pour Myriam David, l’observation était aussi centrale pour les professionnels de la petite enfance que l’écoute l’est pour les psychanalystes, même si les matériaux recueillis par l’une et par l’autre n’ont sans doute pas le même statut épistémologique. Quoi qu’il en soit, pour elle, les soins du corps étaient aussi un soin du psychisme et c’est pourquoi je m’implique tant dans le fonctionnement de l’Association Pikler Lóczy-France que je préside depuis 2007. Il me semble en effet que l’approche piklérienne, outre le fait qu’elle se fonde sur une éthique du soin et une éthique du sujet qui forcent l’admiration, est tout à fait à même de nouer, d’intriquer étroitement l’interpersonnel et l’intrapsychique tant chez les bébés que chez ceux qui en prennent soin. C’est ce qui me fait dire que la psychanalyse avec les tout-petits est bel et bien une chance pour eux. Vous avez raison de me poser la question, dans la mesure où l’observation mutuelle et l’émotionalisation des sensations si bien décrite par Geneviève Haag offrent un pont théorique entre le monde interne et ses manifestations de surface, mais aussi un pont clinique favorisant la structuration conjointe de ces deux versants de la réalité psychique.

Vous décrivez un tournant des intérêts psychanalytiques à partir des années 1950 – au décours de la seconde guerre mondiale en somme et de ses effets désastreux sur les psychés du « vieux continent » sur lequel la psychanalyse a vu le jour : un passage, dites-vous, de la psychanalyse « orificielle » (oral, anal, phallique, etc.) à « cutanée » (« seconde peau » d’Esther Bick par exemple, mais aussi « Moi-peau » d’Anzieu, entre autres), des traumas en excès aux traumas en creux, de la psychanalyse des contenus à la psychanalyse des contenants. Tout cela vous paraît former un ensemble théorico-clinique cohérent. Pourriez-vous développer votre position à ce sujet ?

La première partie du xxe siècle a permis à Sigmund Freud et à ses collègues de l’époque de mettre au point, en quelque sorte, la théorie des pulsions qui nous parle surtout des forces vives internes propres au sujet et de ses zones corporelles érogènes. Cette théorie des pulsions s’inscrit donc plutôt dans le registre de l’être au sens winnicottien du terme (sense of being) tandis que la théorie des relations d’objet, en prenant en compte le rôle de l’autre dans l’organisation pulsionnelle du sujet, se situe plutôt dans le registre de l’existence (Golse, 2020). Quoi qu’il en soit, la théorie des pulsions se référant aux différents orifices corporels, les traumatismes étudiés à l’époque ont surtout été des traumatismes par intrusion, par excès d’excitations tandis qu’avec la théorie des relations d’objet est apparu un intérêt pour le holding initial et pour ses défaillances telles que les défauts d’instauration des enveloppes cutanées, corporelles et psychiques. Une clinique du vide s’est ainsi progressivement déployée et ceci me semble effectivement cohérent, car en écho avec le passage du registre de l’être au registre de l’existence qui se joue également au sein même du développement de l’enfant. Quand le mouvement de la théorie reprend à son compte le mouvement du développement, il y a alors un effet de cohérence qui est intéressant à noter.

Votre ouvrage m’a fait repenser à un article formidable de Jean-Bertrand Pontalis (1979) intitulé « La chambre des enfants ». Dans ce texte, il défend, avec humour mais détermination, l’idée selon laquelle le fantasme de scène primitive propre aux analystes pourrait bien être d’assister à la naissance de l’inconscient au moyen d’une psychanalyse d’enfant… la plus précoce possible ! Il ne m’a pas semblé que votre démarche était animée par une telle quête, mais je ne résiste pas à la tentation de vous entendre sur cette idée, si vous pensez au monde de la psychanalyse périnatale…

Votre remarque appelle de ma part quelques précisions. En effet, j’ai parlé des destins de l’originaire (Golse, 2023), et j’ai toujours souligné l’idée, comme l’avait fait André Green (1992) en son temps, que l’originaire vaut comme une sorte de fiction qui fonctionnerait comme « la théorie sexuelle infantile de l’analyse sur son objet, à savoir la psyché ». De ce fait, je ne me sens pas si éloigné que cela de la position de Jean-Bertrand Pontalis. Certes, aucune psychanalyse d’enfant ne nous permet d’assister à la naissance de l’inconscient, car ce serait confondre le précoce et le profond que Winnicott nous a aidés à bien distinguer. Hélène Suarez-Labat et Michel Picco (2022) ont résumé l’apport de Winnicott sur ce point en disant que le précoce s’observe tandis que le profond s’analyse et se reconstruit. Il n’y a donc pas chez l’analyste d’enfant le fantasme d’assister à la naissance de l’inconscient grâce à l’analyse d’enfant, mais il y a une pensée de l’originaire qui renvoie, chez l’analyste à un mythe des origines, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

On trouvera dans votre ouvrage une source importante de travaux scientifiques, dressant tout autant une « petite histoire des idées » sur le développement psychique précoce ainsi qu’une mise à jour des connaissances actuelles. Quelles sont pour vous les recherches qui vous semblent, à l’heure actuelle, être les plus prometteuses dans ce champ de la psychiatrie périnatale ?

Personnellement, je pense que les études sur le fœtus et la vie prénatale sont aujourd’hui essentielles tant pour mieux comprendre les processus de développement postnataux que pour repérer non pas des pathologies mais des facteurs de risque. Dans la mesure où le biologique ne résumera jamais à lui seul le tout du vivant, il importe surtout que les recherches dans le champ de la psychologie, de la psychopathologie et de la psychiatrie périnatales se fassent dans une perspective transdisciplinaire à l’interface de la médecine, de la biologie et des sciences humaines. Les avancées des neurosciences sont considérables mais elles doivent absolument s’intégrer dans un modèle polyfactoriel qui inclura certainement au cours des prochaines années une causalité épigénétique. Il y a déjà longtemps, Serge Lebovici disait que la psychanalyse n’avait rien à craindre des neurosciences qui nous donneront très certainement de nouvelles portes d’entrée dans ce modèle polyfactoriel. C’est tout le mérite du bébé que de nous inviter à une psychopathologie plurielle. La psychopathologie en effet n’est pas que psychanalytique, tant s’en faut. Il y a aussi une psychopathologie systémique et familiale, une psychopathologie de l’attachement, une psychopathologie cognitive, une psychopathologie développementale et même une psychopathologie phénoménologique. Toutes ces composantes de la psychopathologie ont comme point commun de chercher à nouer ensemble les facteurs endogènes (la part personnelle du bébé, y compris génétique) et les facteurs exogènes (environnementaux). Le bébé nous offre donc une occasion épistémologique incroyablement féconde et c’est en cela qu’il me passionne. Le bébé n’est pas seulement une chance pour la psychanalyse, il est aussi une chance à ne pas manquer pour la psychopathologie, pour les diverses psychopathologies et c’est à nous de ne pas manquer cette chance.

Vous terminez votre livre avec Donald Winnicott dont on sent qu’il devient, au fur et à mesure de votre trajet intellectuel, un auteur de plus en plus central. Vous revenez sur la distinction entre le précoce et le profond qui pourrait rejoindre, sous certains aspects, les développements de Marie Dessons et Dominique Mazéas (2025) sur l’archaïque qui ne doit pas être assimilé, selon elles, à un monde englouti à retrouver. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cela vous semble si important ?

Vous avez raison, l’œuvre de Winnicott me parle chaque jour un peu plus. Est-ce une question d’âge ? Je ne saurais le dire… J’ai déjà évoqué plus haut cette distinction fondamentale entre le précoce et le profond que Winnicott (1958) avait proposée lors du xxe Congrès international de psychanalyse qui s’était tenu à Paris en 1957, pour tenter de réduire le clivage entre les observateurs de bébés et les psychanalystes. Le précoce nous échappera toujours, car il est recouvert par l’amnésie infantile. En revanche, il peut être reconstruit dans le cadre de la cure et surtout il peut se faire entendre et se manifester dans la dynamique du transfert-contre-transfert, ce que montre magnifiquement le très beau livre de Marie Dessons et Dominique Mazéas que vous évoquez. Le précoce demeure en effet vivant et vivace en nous, même s’il ne peut être appréhendé directement. Winnicott nous dit que la reconstruction peut peut-être remonter jusqu’au dix-huitième mois de la vie du patient. Aujourd’hui, il me semble que grâce aux travaux sur les organisations autistiques notamment, il est peut-être possible de remonter encore un peu plus en amont, mais il y a de toute manière une limite. Le point zéro nous échappera toujours ici comme en toute chose d’ailleurs. Cela étant, ce qui nous échappe ne cesse pas d’exister pour autant et s’il n’y a pas de remémoration possible, il y a une réactualisation possible au sein du transfert/contre-transfert. L’écoute du subtil, selon l’heureuse expression de Marie Dessons et Dominique Mazéas, correspond, me semble-t-il, à l’attention portée aux aspects sensoriels et corporels du contre-transfert et cela suppose un travail spécifique sur cet aspect des choses au niveau de la formation. C’est ce qui m’amène à penser que la formation à l’analyse d’enfants et même des bébés devrait faire partie du cursus de formation de tous les analystes fût-ce des analystes qui ne s’occuperaient, hélas, que d’adultes ! Tous nos patients ont été des enfants et c’est un point qu’il ne faut pas oublier.

Bibliographie

• Anzieu, D. 1981. Le Corps de l’œuvre, Paris, Gallimard.

• Dessons, M., Mazéas, D., 2024. À l’Écoute du subtil. Clinique des états archaïques de la psyché, Paris, Ithaque.

• Diatkine, R., 1979. « Le psychanalyste et l’enfant avant l’après-coup ou le vertige des origines », Nouvelle revue de psychanalyse, vol. 19.

• Golse, B., 2020. Le Bébé, du sentiment d’être au sentiment d’exister, Toulouse, Érès.

• Golse, B. 2023. « Les destins de l’originaire – Du précoce au profond, l’émergence du fantasme comme narrativité dans l’après-coup », in Joyce Mc Dougall au regard de la Clinique analytique contemporaine, Paris, Campagne Première.

• Golse, B., Biot, M., 2017. « Sensibiliser les adolescents aux bébés (qu’ils furent et qu’ils auront) », Le Carnet Psy, n° 208.

• Golse, B., Missonnier, S., 2020. « Plaidoyer pour une troisième topique. Une représentation intrapsychique du lien intersubjectif avant même la découverte de l’objet », In Analysis, vol. 4/2.

• Green, A., 1992. « L’originaire et la pensée des origines », Topique, vol. 49.

• Lebovici, S., 1960. « La relation objectale chez l’enfant », La psychiatrie de l’enfant, vol. 8/1.

• Lebovici, S. 1994. En l’Homme, le bébé, Paris, Flammarion.

• Matot, J.-P., 2020. Le Soi disséminé – Une perspective écosytémique et métapsychologique, Paris, L’Harmattan.

• Matot, J. -P., 2025. Éléments de psychanalyse terrienne. Penser l’inconnu anthropocène, Paris, L’Harmattan.

• Picco, M., Suarez-Labat, H, 2022. « Précocité », Revue française de psychanalyse, vol. 86.

• Winnicott, D. W., 1947. « Le bébé en tant que personne », in L’Enfant et le monde extérieur. Le développement des relations, Paris, Payot, 2001.

• Winnicott, D. W., 1958. « Contribution de l’observation directe des enfants à la psychanalyse », Revue française de psychanalyse, vol. 22.