L’ANALYSE DU TRANSFERT ET DU CONTRE TRANSFERT
Comment rendre compte du processus en séance ? Qu’est-ce qu’un processus en consultation analytique avec l’enfant ? Que montre l’enfant de son transfert à l’analyste en consultation ?
La spécificité d’une consultation psychanalytique avec l’enfant repose, entre autres, sur le fait que l’enfant n’est pas à l’origine de la demande. L’enjeu est donc que cette première rencontre insolite puisse intéresser l’enfant, mobiliser son plaisir à penser. L’enfant n’attend rien, ne parle qu’au présent. Il s’agit qu’il puisse entrevoir au fil de la consultation qu’il y a quelque chose à découvrir de son fonctionnement psychique, ceci prenant vie dans le transfert. L’enfant passerait ainsi, comme en parlait Winnicott, du « game » au « play ».
Dès le début, cette rencontre, cette situation extraordinaire, qui le met en présence d’un adulte comme il n’en a jamais rencontré, dépend de l’analyste en présence : ce qui va se passer dans cette rencontre n’est pas reproductible, et est profondément lié à la capacité de rêverie de l’analyste, à ses rapports avec son propre préconscient (lieu de liaison entre Inconscient et Conscient), mais aussi fondamentalement à sa capacité d’analyse des mouvements transférentiels de son patient. Ce qu’il éprouve de ce transfert, et ce qu’il en analyse en mettant en lien ses différents éléments est au cœur de cette consultation et des effets que l’on est en droit d’en attendre. En ce sens, il y a indéniablement un aspect dynamique et évolutif au sein d’une ou de plusieurs consultations thérapeutiques. Bernard Touati nous rappelle que « toute expérience de tête à tête est pour l’enfant une expérience de séduction et porte une double polarité : d’une part la menace par la projection des objets les plus menaçants, de l’autre, une excitation par la mise en jeu des pulsions libidinales ».
Un enfant arrive maussade et hostile en consultation. Il paraît endormi et l’analyste doit le soutenir physiquement pour qu’il puisse se saisir du paper-board. A partir d’une sorte de squiggle winnicottien, le dessin partant de l’informe s’organise et s’anime. Un personnage prend vie et l’histoire se poursuit sur une 2ème feuille. B. Touati partage ses associations avec l’enfant, résume l’histoire. Il est essentiel de soutenir le mouvement pulsionnel qui risque à tout moment de s’éteindre par la défense. On voit alors se déployer toute une narration au fur et à mesure que s’ébauchent les dessins. L’enfant fait ainsi retour au premier dessin dans un après-coup, signe d’un réveil de sa pulsionnalité. Il peut figurer alors la menace du rapport à l’autre et son agressivité.
L’INTERPRETATION
L’analyste n’est pas un interprétant aux aguets, il doit s’adapter au temps psychique de l’enfant et se méfier d’une interprétation trop rapide qui pourrait être blessante pour le patient qui n’a pas conscience de montrer des choses à travers son jeu ou ses dessins, espaces de projection gardiens de ses défenses à respecter.
Parfois, il s’agira de relier le début et la fin de la séance. Cette jonction sera narcissiquement importante pour l’enfant qui se sentira alors investi par la mémoire et l’attention du psychanalyste. Le psychanalyste pourra aussi partager une image ou une pensée issue d’un jeu ou dessin de l’enfant. Il soutiendra alors une relance associative qui permettra de lutter contre la menace d’extinction jamais bien loin du réveil pulsionnel. Le tact est nécessaire dans le travail d’élaboration interprétative de l’analyste qui oscillera sans cesse entre ce qu’il comprend sans le dire et ce qu’il peut souligner à l’enfant. En consultation, le plus important serait que l’élaboration et l’associativité puissent se poursuivre afin que l’enfant retrouve du plaisir à penser. Cette continuité sera la genèse de son envie de revenir.
LES PARENTS
Comment créer l’alliance avec les parents ?
Les parents sont très importants à prendre en compte dans une consultation psychanalytique avec l’enfant. Ils amènent leur enfant et accordent leur confiance. Il s’agit d’être attentif au fait que tout parent est organisé malgré lui avec la symptomatologie de son enfant qu’il aura du mal à quitter, même souffrant. Les liens et les équilibres sont résistants. Il y a toujours un investissement ambivalent par les parents du psychanalyste, à la fois idéalisé et en même temps vécu comme incapable de comprendre vraiment.
Que transmettre aux parents ? C’est une question épineuse à laquelle tous les analystes d’enfants se frottent. Comment respecter le monde interne de l’enfant et le secret de ce qu’il nous transmet en séance et en même temps pouvoir restituer aux parents un peu de ce qu’on a compris du fonctionnement psychique de leur enfant
Partir de ce qu’on pense ou de nos impressions de ce que nous montre l’enfant, introduit un écart avec le matériel réel en séance qui ne peut être transmis aux parents. Le parent pourra alors s’appuyer sur la capacité à penser de l’analyste et trouver quelques éléments de réflexion ou de questionnement. S’étonner ensemble, décaler le regard ouvre un espace de pensée donnant envie aux parents de revenir, de s’investir et soutenir le parcours de leur enfant. Les amener à décrire, par exemple, précisément le comportement problématique de leur enfant, à l’inscrire dans une temporalité pourra les aider à mieux observer leur enfant et dégager des pistes de compréhension. Le psychanalyste dans sa fonction d’observation fine de l’enfant et dans la tentative de mise en sens peut être support d’identification des parents. Les parents pourront s’auto-observer dans leur lien avec l’enfant. Le parent se vivra moins dans l’échec et le manque de ne pouvoir y arriver avec son enfant mais aura le sentiment de repartir de la consultation avec un « supplément de pensée » issu d’une co-création parents-enfant-analyste.
Cela permettra aux parents de pouvoir supporter la prise de distance de leur enfant qui se trouve renforcé dans ses moyens psychiques propres. Ils sont ainsi accompagnés et évoluent au fil de l’avancée de l’enfant.
La consultation psychanalytique doit pouvoir ouvrir un écart entre l’enfant idéal et l’expérience quotidienne de la réalité pour créer de nouvelles représentations de soi. Le psychanalyste ne cherche pas à conformer l’enfant à l’enfant idéal (attention à la volonté d’aide envahissante et à la tentation rééducative qui confronterait l’enfant à l’idéal pour le remettre dans le droit chemin !) mais à l’aider à établir des liens, des souvenirs. Des souvenirs issus aussi de l’enfance d’un parent, pourront émerger et établir un lien entre les deux enfants : l’enfant actuel et l’enfant dans l’adulte.
Bernard Touati, par le récit de nombreux cas cliniques nous a donné à voir tout au long de la conférence, à la manière d’une séance de psychodrame, la construction analytique en séance.
Il conclura ses échanges fructueux avec la salle sur la question de l’interprétation en séance par l’apport de l’écrit de Freud, « Constructions dans l’analyse » en nous rappelant qu’une construction nouvelle a autant de valeur que la remémoration. Débusquer le caché n’est pas une fin en soi. Une belle manière de conclure que de se tourner vers ce que l’enfant et l’analyste dans leur rencontre singulière ont pu créer de nouveau, dans ces temps où le travail psychique et la capacité de pensée sont malmenés et parfois réduits à une uniformisation.
La prochaine conférence « Psychanalyse de l’adulte » aura lieu le 9 décembre 2021
Pour aller plus loin
R. Prat, L’observation du bébé selon la méthode Esther Bick, Perspectives Psy, Vol. 43/3, 2004
B. Touati, Le changement au psychodrame. Résistance, transfert et co-création » in Changer 2009, collection ETAP/SPASM
R. Diatkine et J.Simon (2005) : La psychanalyse précoce, le processus analytique chez l’enfant, PUF
M. Ody, La question de l’interprétation en consultation thérapeutique de l’enfant, RFP, 1993/1
E. et M.-C. Ortigues (1987) : Comment se décide une psychothérapie d’enfant, 3ème édition 2005, Heures De France