Le psychodrame analytique, pour quoi, pour qui ?
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Le psychodrame analytique, pour quoi, pour qui ?

La technique du psychodrame implique la mise en tension des registres corporel et langagier et concerne des patients dont les capacités de représentation et les capacités autoréflexives sont affectées et rendent le recours à un dispositif analytique divan-fauteuil ou face à face incertain. Technique active, le psychodrame met à l’épreuve la théorie psychanalytique. S’il est concerné, comme toute pratique thérapeutique, par l’actualité des questions éthiques et techniques sur les psychothérapies, le psychodrame analytique couvre un champ “transitionnel” où le corps retrouve un droit de cité tout en évitant l’écueil de la régression archaïque. En témoignent les évolutions et les changements spectaculaires dans l’économie de certains patients, expression d’un véritable travail d’appropriation subjective.

Les indications

On proposera de ce fait le psychodrame analytique lorsqu’il apparaît que les échanges se maintiennent davantage au niveau de modes primitifs de communication traduisant des carences de symbolisation souvent liées à des défaillances structurelles ou conjoncturelles de l’environnement. La problématique dedans-dehors et l’altérité restent alors à construire, et l’objectif du traitement sera de permettre l’intégration de clivages et de dénis psychiques à travers une réactualisation des communications infraverbales et des échanges primitifs et précoces.

Le psychodrame analytique s’adresse à tous les patients qui pourraient relever d’un travail analytique mais dont la structure psychique ne leur permet pas d’exploiter les potentialités du site : ils ne peuvent pas jouer le jeu de l’analyse et ils vont découvrir “comment jouer le jeu”. L’histoire du psychodrame analytique a montré qu’il s’adressait aussi bien aux enfants qu’aux adolescents et aux adultes, ainsi qu’à des psychopathologies très variées, psychotiques ou autres.

Aujourd’hui, à côté de toutes ses indications, le psychodrame analytique peut apporter une aide au diagnostic, être un recours pour les patients qui se trouvent enfermés dans une réaction thérapeutique négative ou encore un soutien momentané à un travail psychothérapeutique qui se poursuit par ailleurs. Le but d’un travail de psychodrame est de permettre au patient d’accéder à une potentialité d’analysabilité.

Tous dans le bain ou presque

Une des caractéristique du psychodrame est la rencontre du patient avec des analystes sur une même scène, la scène du jeu. Le corps est engagé : le patient joue avec son corps, et les psychodramatistes s’offrent sur le même plan. Les registres langagiers et infraverbaux sont sollicités tandis qu’au niveau perceptif et sensoriel, ce qu’on pourrait qualifier de mémoire du corps est mobilisé tout comme la sexualité infantile.

“Ça va vite !” s’exclame une patiente. Mais cela va vite aussi pour les analystes. Parfois ils s’engagent dans le jeu avec une idée assez précise de ce qu’ils vont jouer, mais dans l’action de jeu, ils peuvent intervenir différemment, volontairement ou non. L’engagement corporel et affectif est immédiat, rapide, attendu ou inattendu mais toujours saisissant, en deçà de la représentation et cependant, toujours à côté d’elle.

En contrepoint de cette intensité d’implication, le groupe des thérapeutes et le directeur de jeu restent réciproquement garants d’une fonction “tierce” qui autorise cette qualité de régression et une mobilisation des registres primaires et secondaires. Ainsi s’établit une double dynamique, celle du groupe et celle du “ penser”, ce qui facilite les mouvements transférentiels et contre-transférentiels : tant du côté du directeur de jeu où la présence du groupe lui permet d’accueillir au plus près le patient, que du côté des psychodramatistes qui acceptent une émergence sensorielle primaire.

Cette spontanéité et cette authenticité pourraient présenter le danger d’un montage pervers, mixte de séduction et de transgression. Non seulement les pulsions voyeu-ristes et exhibitionnistes sont sollicitées, mais l’excitation est présente, et avec elle la destructivité, au plus près d’une scène primitive. Les règles qui s’imposent de ce fait sont énoncées afin de faire travailler les différentiels de la situation. D’une part le différentiel temporel avec trois temps : un temps pour construire le jeu, un temps pour jouer et un temps, facultatif, de reprise élaborative dans un échange verbal avec le directeur de jeu. D’autre part, le différentiel spatial qui permet la création d’une scène du jeu. La spécificité de ce jeu est affirmée par le “comme-si” et par l’interdit du toucher. La suspension du jeu peut avoir valeur de scansion interprétative, et/ou peut être reprise dans l’élaboration en après-coup du jeu.

Ainsi va se contextualiser une aire de jeu qui tout en se constituant, ouvre à des symbolisations plurielles à plusieurs niveaux : primaires, corporels, secondaires. De ce fait, dans cet espace transitionnel, plusieurs topiques s’imbriquent concernant le patient, les participants, les différentes entités groupales. Celles-ci se créent et se défont : le patient et le groupe de psychodrame, le patient avec le directeur et le reste du groupe, le patient avec les psychodramatistes et le directeur, ainsi que toutes les possibilités d’alliances et d’oppositions produisant ainsi de multiples mouvements diachroniques et synchroniques. L’objectif est de rendre accessible une articulation des représentations de chose et des représentations de mot à travers une psychisation de l’excitation mise en présentation dans la situation psychodramatique.

Séquence clinique : de la jouissance au plaisir

La séquence clinique que nous avons choisi de présenter ici pourrait apparaître comme “scandaleuse”, puisque se jouant autour d’une mise en acte par un thérapeute, entrainant un véritable corps à corps avec la patiente ; elle illustre au contraire la nécessité d’en passer certaines fois par l’acte (plutôt que de passer à l’acte) avec certains patients limites, afin de travailler au niveau de ces registres archaïques, identitaires, dans lesquels l’excitation brute l’emporte sur les jeux et les aléas du désir.

Une patiente propose une scène de jeu où l’une d’entre nous joue un bébé de 10 mois, seul sur la plage, sans sa mère… Dans cette scène, au moment où la patiente s’approche de l’analyste qui joue le bébé, cette dernière la saisit brusquement par le bras et ne veut plus la lâcher. Elles font véritablement corps ensemble, confondues et agrippées l’une à l’autre… Bien que la règle du non-toucher ait été rappelée à notre collègue après un premier acting-in analogue lors de la séance précédente, celle-ci récidive !… Son élaboration contre-transférentielle la conduit à évoquer un souvenir de psychothérapie avec un très jeune enfant autiste, emmuré dans ses sensations corporelles et qui brusquement, s’est mis à la prendre au corps, le contact physique étant le seul moyen pour lui, à ce moment-là de la thérapie, d’avoir un contact psychique avec elle.

Notre patiente lui faisait vivre une partie d’elle autistique ou non née qui cherche à s’agripper à toute approche vivante psychiquement, sans lâcher prise… Toutes deux, ce jour-là, se trouvaient dans l’au-delà des mots, dans une excitation très primitive envahissant également l’ensemble du groupe, mais qui n’aurait probablement pas pu se jouer si elle ne s’était pas sentie elle-même “portée” par la fiabilité et la confiance dans le groupe.

Cette excitation dévorante/destructrice/transgressive, élaborée en après-coup dans le groupe et transformée en un pulsionnel psychisable fera de ce jeu un moment fécond. Cette patiente limite très déprimée nous avait dit lors de la première séance : “j’ai fait une analyse de 10 ans, mais je m’interroge sur quelque chose qui bloque et qui ne saurait se dire avec des mots….”.

La violence de cet affect corporel qui s’exprime dans cette scène où se révèle la confusion entre le sujet et l’objet, entre le dedans et le dehors, révèle une zone psychique où le jeu intra-subjectif est impossible laissant alors une activité de liaison et de représentation hors-champ. À la suite de ce moment transformationnel dans le jeu, la patiente dévoilera peu à peu des capacités de plaisir à jouer, à pouvoir commencer à se ressentir comme sujet, puis à se penser comme sujet.
La richesse du psychodrame ne serait-elle pas, comme dans cette courte séquence, liée aux capacités nouvelles de jouer une expérience subjective rendue vivante par l’engagement des psychodramaticiens, puis de se pouvoir se l’approprier comme telle ?