Lorsqu’on m’a proposé pour Carnet Psy un dossier sur le renoncement, j’ai tout de suite pensé à un concept de la mystique juive que j’aime énormément : le tsimtsoum. C’est avec ce mot que les kabbalistes décrivent l’instant qui précède la création du monde. Comment le monde a-t-il bien pu se créer si Dieu occupait tout l’espace et tout le temps ? Comment Dieu a-t-il fait de la place à l’existence du monde ? Pour répondre à cette question, la mystique juive avance l’idée d’une rétractation originelle de Dieu. Dieu a dû s’amoindrir, il a dû se restreindre, et ce afin de permettre à une réalité extérieure à lui d’exister. D’essence infinie, il s’est attribué des limites. Son immensité s’est dotée d’un bord pour que le monde et l’homme puissent naître et persister en dehors de lui.
Ce récit nous enseigne que renoncer et créer sont deux gestes intrinsèquement liés : la genèse du monde émane d’un renoncement originel de Dieu à son omnipotence, et, en même temps, le monde offre à Dieu une compensation pour cette perte qu’il a consentie. Renoncer, ce n’est donc pas uniquement se dessaisir. Le renoncement est aussi une ouverture, la possibilité accordée à l’autre d’exister. On renonce toujours « pour » quelque chose.
C’est à partir cet héritage biblique que Francis Pasche a écrit en 1965 l’un des textes les plus beaux de notre littérature psychanalytique : « L’anti-narcissisme ». Pour lui, le bébé est animé d’emblée par deux forces : l’une, narcissique, le ramène à lui-même, tandis que l’autre, l’anti-narcissisme, le projette vers autrui. Pour Pasche, la construction de l’objet dépend d’une tendance originelle chez le bébé à se dessaisir de son narcissisme primaire et à céder une partie de sa libido au profit de ce qui est…