Les dépressions maternelles en question
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Les dépressions maternelles en question

La psychopathologie de la période périnatale a bénéficié d’un regain d’intérêt depuis que la recherche épidémiologique a montré l’effet négatif du dysfonctionnement des interactions mère-bébé précoces sur le développement des jeunes enfants.

Historiquement

Folie puerpérale et infanticides néonatals sont connus depuis toujours. La maternité peut être l’occasion de pathologie mentale et de troubles du comportement de gravité diverse. Au XIXème siècle, lorsque se constitue le savoir psychiatrique, Esquirol propose la folie de l’accouchée ou celle de la nourrice pour modèle de la manie. Son élève F. Marcé, en 1858, répertorie un grand nombre de cas psychiatriques maternels survenant au décours de naissances. Longtemps confondus avec les “fièvres de lait” (complications infectieuses de l’accouchement, maintenant disparues), les accidents psychiatriques péri et postnatals sont progressivement reconnus. Plus récemment, l’épidémiologie moderne montre la prédominance féminine des états dépressifs, dans la population générale. Il s’agit de femmes de 25-45 ans (E.S. Paykel, 1991) et cette tranche d’âge est aussi celle des grossesses et des maternités et de la vulnérabilité psychique qui les accompagne. Parallèlement les travaux épidémiologiques anglo-saxons (B. Pitt, 1968 ; P.J. Cooper et al. 1988 ; J. Cox, 1989 ; R. Kumar & K.M. Robson, 1984) étudient les dépressions péri et post natales, (PND = post natal dépression). D’autres études se centrent sur leur dimension psychodynamique et sur les perspectives thérapeutiques.

Les dépressions postnatales

Le terme de “dépression” s’est imposé pour qualifier ces états. Ce terme lui-même mérite une discussion : sur le plan phénoménologique, il évoque la tristesse de l’humeur, le désintérêt pour les objets habituels, le ralentissement psychique que l’on peut même mesurer (O. Rosenblum, 1995). Par ailleurs, d’un point de vue psychodynamique, le terme de dépression indique la perte d’un objet externe ou interne, le sentiment de deuil. Ce terme de dépression n’a pas de spécificité, il permet essentiellement de se comprendre entre professionnels. Sous cette rubrique de dépression maternelle nous allons ainsi décrire des états psychiques très différents, tant dans leurs manifestations cliniques que dans leur pronostic, et qui ont mobilisé l’intérêt de la communauté scientifique du fait de leur impact négatif sur l’enfant.

La dépression atypique post-nataßle

Minutieusement décrite par les psychiatres anglo-saxons (B. Pitt, 1968 ; J. Cox, 1989 ; R. Kumar & K.M. Robson, 1984 ; M.W. O’Hara, 2001), la dépression atypique peut parfois réaliser une vraie pathologie mentale. Elle ne doit pas laisser l’environnement de l’accouchée, ni les professionnels, sans réaction. L’auto-questionnaire EPDS (Edinburg Postnatal Depression Scale) mis au point par J Cox et al. (1987), en permet le dépistage de façon aisée et fiable dès la huitième semaine du post partum. Cette pathologie touche au moins dix pour cent des accouchées. Elle est très souvent massivement et curieusement méconnue. Le malaise silencieux des mères peut passer inaperçu. Sans doute est-il inconcevable d’être déprimée alors que l’image convenue et idéalisée de la jeune mère est celle d’une femme comblée ? Les femmes elles-mêmes n’osent pas se l’avouer et prétextent la fatigue et les soins à donner au bébé pour ne pas consulter un spécialiste.

En cas de première maternité, les jeunes mères ont d’autant plus de mal à décrypter le trouble psychologique qui les accable que leur corps subit aussi des remaniements hormonaux. Si elles n’ont pas la chance de bénéficier d’un environnement soutenant et chaleureux, leur malaise risque de durer. En outre, l’idéalisation de la naissance humaine gagne autant les familiers de l’accouchée que les professionnels et rend souvent les situations pathologiques difficiles à discerner. Ce sera souvent le généraliste, ou le pédiatre consulté bien plus tard, qui comprendra rétrospectivement le profond malaise que ces jeunes mères ont traversé et continuent d’éprouver.

Pourtant les manifestations apparaissent dès les premières semaines du post partum. Passé le brouhaha des jours qui suivent la naissance, la jeune mère reste fatiguée, elle ne s’adapte pas à la charge à la fois émotionnelle et pratique que représente la présence du nouveau-né et se retire dans un désintérêt et un ralentissement qui doivent alerter l’entourage. Selon J. Cox, le tableau est complet et typique dès les 6ème ou 8ème semaines. Cette dépression postnatale est torpide, elle dure des mois sans amélioration spontanée et, non soignée, elle transforme en épreuve douloureuse la première année de vie commune avec l’enfant. Elle risque même d’entraver le premier développement de celui-ci tant le partage quotidien joyeux avec une jeune mère est un ciment vital essentiel.

Le point important est en effet le retentissement de l’état maternel sur les interactions précoces qu’elle développe avec son bébé. L’empathie maternelle est nécessaire pour ressentir l’état émotionnel du bébé, elle est un pré requis à la constitution de l’intersubjectivité. E. Tronick (1984) a modélisé ces dysfonctionnements interactifs en mettant en place le dispositif du still face. Cette épreuve se déroule de façon expérimentale au laboratoire avec une dyade mère–bébé d’environ 5 mois et réputée saine. Dans un premier temps, la consigne donnée à la jeune mère est de jouer de façon naturelle avec son bébé ; dans un deuxième temps, on lui demande de cesser toute communication et de rester impassible. Les deux temps sont filmés. Au cours du premier temps, le jeu interactif entre mère et bébé comporte des mimiques, des vocalises, des sourires partagés. Au deuxième temps, on observe que le bébé cherche d’abord à “réanimer” sa mère, il initie la relation, et, comme, suivant la consigne, elle ne réagit pas, l’enfant se fatigue, pleure un peu puis se lasse et se retire lui-même de la communication (E.Tronick et M.K. Weinberg (1997).

Pour les expérimentateurs, ce repli de l’enfant est illustratif de ce qui se passe lorsqu’une mère est déprimée, incapable d’être en empathie et en synchronie avec son bébé et qu’aucune personne ressource dans l’entourage du bébé n’est susceptible de remplir cette fonction à sa place. Dans d’autres situations cliniques, c’est moins le malaise silencieux maternel qui domine que son anxiété. Dans ces cas les interactions avec l’enfant peuvent être au contraire hyperstimulantes, mais discordantes avec les besoins spontanés du bébé et tout aussi pathogènes. Les études épidémiologiques de L Murray et al. (1996) ont montré que 25% des enfants exposés à la dépression postnatale étaient à risque de troubles du développement cognitif et affectif. Dans une étude longitudinale de plusieurs années, cet auteur montre que ces troubles seront, au minimum, responsables d’inadaptation scolaire. Les travaux actuels convergent vers l’existence de facteurs qui vont accentuer le risque de survenue de ces états dépressifs postnatals. Nous avons déjà envisagé celui que représente l’idéalisation de la naissance et de la maternité qui rend aveugle aux situations non conformes à un modèle idéal.

D’autres facteurs de risque sont les conditions socio-économiques et d’environnement défavorables : précarité sociale, solitude, absence de compagnon et de famille capables de contenir l’accouchée et de suppléer à une défaillance temporaire si l’accouchement a été mouvementé. Sont également négatifs la reprise de travail trop précoce et le sevrage entraînant une séparation brutale d’avec l’enfant. D’autres facteurs de risque sont les conditions particulières entourant la naissance comme la prématurité et l’hospitalisation du nouveau-né, ou l’antécédent d’une mort foetale précédente dérivant l’intérêt de la jeune mère vers une thématique de deuil non accompli. Le traitement de la dépression atypique est nécessairement relationnel. Il est handicapé par la réticence à consulter et ce sera souvent l’atonie du bébé qui signalera la présence du trouble. La requalification de la jeune femme en tant que mère peut être aisément accomplie par des soignants non surqualifiés, mais attentifs et disponibles. Il est souvent plus facile à mettre en œuvre sous forme de visites à domicile (L. Appleby, 2001 ; L. Conquy et al., 1998).

Les psychoses aiguës post-natales ne concernent qu’une accouchée sur deux ou trois mille, mais leur survenue au décours d’une naissance est toujours spectaculaire. Il s’agit le plus fréquemment de jeunes femmes primipares et sans antécédents et le risque de récidive à la grossesse suivante serait élevé. La clinique est si peu spécifique que cette pathologie ne figure pas en tant que telle dans les classifications modernes de santé mentale type DSM-4. Le tableau clinique s’installe brusquement dès les toutes premières semaines du post partum; il s’agit soit d’un état mélancolique aigu, avec prostration et risque de suicide, et ce suicide entraîne parfois l’enfant, soit d’un état maniaque plus ou moins mêlé d’éléments dépressifs subits et le risque est identique. Ou bien le tableau est celui d’une bouffée délirante aiguë (BDA) associant troubles de l’humeur et troubles de la conscience. Très souvent il y a déni de la naissance de l’enfant. Il n’y a aucune difficulté à identifier la psychose devant la confusion et la montée de l’excitation. Il n’y a aucune corrélation entre le pronostic et le caractère bruyant des troubles, ce qui encourage à un traitement actif. La durée spontanée en est relativement courte, de quelques jours à quelques semaines. Il s’agit en règle générale d’une jeune femme ayant accouché depuis moins de six semaines.

Le premier signe de souffrance psychique est souvent l’insomnie, l’accouchée n’a pas repris son rythme de sommeil depuis la naissance, circonstance encore aggravée par les soins au nouveau-né. La préoccupation de l’entourage et la peur justifiée de l’infanticide conduisaient souvent à des mesures d’isolement de la jeune mère et de séparation d’avec l’enfant. Cette séparation aggrave le déni de la naissance et est préjudiciable à la constitution du lien mère-enfant. Toutes les stratégies thérapeutiques modernes visent à éviter cette mise à distance en instituant soit une hospitalisation conjointe mère-bébé en unité spécialisée, soit une prise en charge ambulatoire (avec hospitalisation de jour ou de nuit) si la collaboration thérapeutique est possible avec la famille.
Rappelons que les premières UME (Unités psychiatriques Mère-Enfant) créées par C. Kumar en Angleterre (1984) avaient précisément pour objectif de lutter à la fois contre le risque infanticide et contre les effets péjoratifs de la séparation. Habituellement, grâce au maintien du lien entre la mère et l’enfant et aux neuroleptiques appropriés, la guérison clinique est obtenue en quelques semaines. En 1961, P.C. Racamier publiait une étude portant sur 15 femmes hospitalisées en milieu psychiatrique fermé après un épisode de psychose puerpérale. Le talent de cet auteur est d’avoir montré que ces cas pourtant marqués du sceau de la pathologie sévère témoignaient de la survenue de remaniements réversibles du psychisme concomitant à la maternité. Il en généralisait l’existence, en forgeant le concept de maternalité. La psychopathologie post natale même grave serait donc l’évolution conflictuelle de processus normaux. P.C. Racamier initiait ainsi une conception psychodynamique et psychanalytique des troubles de la maternité.

Les états psychiatriques chroniques préexistant à la maternité

Grossesse et maternité constituent des circonstances favorisant la décompensation de situations psychopathologiques restées latentes depuis la fin de l’adolescence. Elles sont souvent longtemps contenues par la banalisation des traitements ambulatoires par neuroleptiques, mais risquent de se décompenser à l’occasion de la grossesse. On peut ainsi observer toute la palette des psychopathologies adultes, qu’il s’agisse d’états apparentés à la psychose maniaco-dépressive (PMD) : dépressions profondes, tentatives de suicide, subexcitation chronique. L’infanticide néonatal peut être en relation avec ce type de situation, méconnue et brutalement aggravée par la grossesse et la naissance.
La première maternité est aussi parfois révélatrice d’une schizophrénie latente jusque-là. Cette pathologie lourde pose essentiellement une difficulté de prise en charge, se développant dans un milieu obstétrical non préparé à la maladie mentale. Là encore, la règle doit être de tenter une approche conjointe du bébé et de sa mère, soit en UME, soit en consultations mère-enfant ambulatoire, en mettant en œuvre toutes les possibilités qu’offrent les systèmes médico-sociaux (sages-femmes et puéricultrices à domicile, Protection Maternelle Infantile, liens avec le secteur infanto-juvénile). Les pathologies borderline sont d’identification plus récente (O.F. Kernberg, 1989 ; G. Apter-Danon, 2004) caractérisées par l’impulsivité incontrôlée, les passages à l’acte plutôt que la fantasmatisation, le recours aux addictions. Ces jeunes femmes auront une particulière difficulté à entrer en synchronie et en empathie continue avec leur bébé (L.E. Crandell et al., 2003).

Approche psychodynamique

On sait aujourd’hui qu’une naissance fait revivre à chaque parent et tout particulièrement à la jeune mère les moments conflictuels de sa petite enfance et les difficultés qui ont été celles de son propre attachement; aussi la compréhension psychodynamique des troubles psychopathologiques post natals repose-t-elle sur deux axes.

Le premier axe est celui de la relation d’ambivalence qui préside au lien que la nouvelle mère va constituer avec son nouveau-né. Aussi désiré soit-il, l’enfant à peine né s’impose comme un rival narcissique obligé. Toute jeune mère est confrontée à la violence fondamentale (J. Bergeret, 1970) propre à l’être humain que suscite cette rivalité. La femme saine au narcissisme solide aura la capacité de laisser la place à un autre, son propre enfant, sans avoir le sentiment ou la crainte d’être détruite. Elle pourra l’intégrer dans un courant de tendresse et de créativité. A l’inverse, une femme aux assises narcissique fragiles sera en difficulté face à cette violence interne. Elle aura du mal à l’érotiser et son ambivalence à l’égard de l’enfant prendra le dessus. On comprend ainsi la difficile adaptation à la maternité des femmes narcissiques borderline. Le risque couru est moins celui de leur dépressivité que celui de conduites inadéquates avec l’enfant (violence, négligence ou au contraire excès de sollicitude inadaptée). L’autre axe de compréhension de la psychopathologie maternelle est celui de la faillite de la fonction de contenant pour la future mère. Nous voulons dire que les femmes qui ont eu des expériences carentielles précoces seront mises en difficulté pendant la grossesse et après la naissance. Représentant d’un objet interne menaçant, l’enfant pourra être vécu comme persécuteur. La jeune femme, envahie par la honte de ne pas être conforme à son idéal de mère, ne pourra que se déprimer ou se défendre devant l’irruption des exigences insupportables de l’enfant. Pour les tenants de la théorie de l’attachement, ce sont les troubles précoces de son propre attachement, vécu autrefois par cette femme, qui lui rendront l’après naissance de son enfant si difficile (R. Kumar, 1994).

Perspectives thérapeutiques

Le traitement de ces états dépressifs est rendu difficile en raison même du contexte : incrédulité fréquente de l’entourage, exigence des soins au nouveau-né, rendent la jeune femme peu disponible et peu encline à se plaindre pour elle-même. Pourtant les effets négatifs qui ne manqueront pas de se faire sentir dans les mois suivants font du traitement une véritable urgence. Une fois la période de fréquentation de la Maternité achevée, le seul professionnel consulté risque d’être le pédiatre, d’autant que ce sont les symptômes du bébé qui vont traduire le malaise maternel : troubles digestifs, difficultés d’endormissement, cris et pleurs excessifs sont les signes précoces les plus courants. Les bonnes paroles ne suffisent plus face à cette pathologie débutante et il faut instaurer un traitement relationnel. Il est nécessaire d’intervenir au plus tôt auprès de ces femmes en difficulté, car le bébé n’attend pas ! C’est dans l’essor de son plein développement qu’il risque d’être touché. Diverses stratégies thérapeutiques ont été proposées (M. Bydlowski, 2000 ; N. Guedeney & Ph. Jeammet, 2001). Elles ont en commun de proposer à la jeune femme l’inter vention d’un interlocuteur stable. La thérapie doit se développer pendant une période de 3 à 4 mois et se mettre en place le plus tôt possible dès que le diagnostic est assuré, c’est-à-dire vers la 4ème ou 6ème semaine après la naissance. Une thérapie satisfaisante associera une médication légère à des consultations auprès d’un psychothérapeute. Une solution plus simple est celle d’organiser des visites au domicile des jeunes parents qui peuvent difficilement se déplacer, par des professionnels formés et supervisés -psychologues ou puéricultrices. Dans ces différentes approches, l’alliance thérapeutique avec la jeune accouchée l’aidera en quelques mois à prendre confiance en sa capacité maternelle. Ce sont des interventions simples au cours desquelles la jeune mère pourra exprimer auprès d’un interlocuteur disponible son ambivalence à l’égard de l’enfant, se détacher d’images maternelles internes trop rigides et idéalisées, se requalifier en tant que mère acceptable pour son enfant et mieux objectiver son bébé. Dans la période post natale, comme pendant la gestation, de bons résultats thérapeutiques peuvent être obtenus avec des moyens relativement limités. Actuellement, beaucoup d’équipes obstétricales sont acquises au projet de prévention prénatale. Elles dépistent, en fin de grossesse ou dans l’immédiat après naissance, des jeunes mères à risque de négligence ou de maltraitance involontaire et les confient aux professionnels de santé mentale. Ces derniers doivent, dans un contexte de situation souvent difficile, organiser un plan thérapeutique où la jeune mère trouvera à la fois un cadre suffisamment contenant et un espace stable et fiable d’élaboration psychique pour l’ambivalence dont elle est envahie envers l’enfant. L’objectif est d’améliorer l’état dépressif et donc l’interaction avec le bébé, sans ambitionner de modifier le fond névrotique.

Le blues post natal

Longtemps resté du domaine exclusif des accoucheurs, et sans incidence pathologique, le blues soulève maintenant l’intérêt des chercheurs en périnatalité. Il s’agit d’un état clinique complètement différent des situations précédentes et d’une si grande fréquence qu’on a pu le référer à la normalité. Il atteint en effet plus de la moitié des accouchées. Les témoins des naissances connaissent depuis toujours ce moment émotionnel incompréhensible, sans gravité, fait de larmes, de tristesse subite et transitoire, survenant dans les jours mêmes où devrait se célébrer un heureux événement. Les accoucheurs l’ont appelé “dysphorie” ou syndrome du troisième jour, mais le terme de blues est évocateur, qui renvoie aux mélodies nostalgiques chantant l’Afrique perdue. Il constitue un événement en rupture dans le comportement de la jeune mère. Il est insolite et non motivé par les circonstances psychologiques extérieures. Les femmes sont averties de sa possible survenue, elles l’attendent ( V. Lemaitre et al., 1989). Elles s’y abandonneraient d’autant plus facilement qu’un environnement contenant les rassurerait (S. Bydlowski-Aidan, thèse en cours), compagnon de vie, grand-mère maternelle. Selon ce dernier point de vue, le blues serait même un luxe auquel ne pourrait pas accéder la jeune mère isolée dans un contexte difficile lui interdisant une régression psychique. Le blues se développe du 2ème au 10ème jour post partum avec des pics d’intensité aux 3 ème et 5 ème jours (H. Kennerley, D. Gath, 1989 ; A.L. Sutter et al., 1995) et guérit spontanément en une dizaine de jours. Le tableau clinique est dominé par les pleurs en décalage avec les sentiments, la labilité de l’humeur, l’élation et une certaine confusion. Les pleurs sont des crises de larmes sporadiques. (Yalom et al. (1968), J.A. Hamilton (1962), Ces pleurs sont l’emblème du blues, selon H. Kennerley & D. Gath (1989). Ils s’accompagnent rarement de tristesse, les femmes parlent souvent de larmes de joie. L’humeur est très labile avec des changements rapides en quelques minutes au cours de la même journée. L’élation est fréquente, sentiment de bonheur intense et grande excitation. Notons que le terme “élation” est un anglicisme qui décrit une grande joie comportant l’impression d’une menace, ce qui conduit à faire l’hypothèse de la perception d’une dimension transgressive dans la naissance. Pour certains ( V. Glover, 1994), cette subexcitation correspondrait à une tendance hypomaniaque suivie de dépression. Pour d’autres auteurs (N.M.C. Glangeaud-Freudenthal, 2002 ; K. M’Bailara et al., 2006), l’élation traduirait une forme non pathologique de variation de l’humeur, une hyper réactivité émotionnelle. Selon B. Pitt (1973), il s’y ajoute une certaine confusion dans les premiers jours de postpartum. L’entourage souvent ne sait réagir à cette tristesse, à ces bouffées d’émotion insolites, que par la banalisation.

La cause du blues est complexe. Il cumule la fin du stress de la grossesse et de l’accouchement avec des conditions hormonales nouvelles. Il a aussi été comparé au mouvement dépressif qui accompagne le lendemain d’une épreuve intense, sportive ou intellectuelle. Mais le blues serait surtout la traduction émotionnelle d’un double phénomène. D’une part, la naissance a pour corollaire la sensation de perte de la grossesse, de deuil de cet objet intérieur qui, en silence, accompagnait la jeune femme depuis des mois. D’autre part, la nouvelle mère vit une sorte de dénudation psychique qui lui permet de se mettre en phase avec son nouveau-né. En cette période postnatale, “le cristal” du Moi maternel, selon la métaphore de Lebovici, serait en partie désorganisé et la connexion pourrait se faire avec les besoins de l’enfant naissant. Le blues témoignerait de cette désorganisation et serait l’exacerbation de cette préparation de la mère à saisir les indices en provenance de son enfant. Ce fait expliquerait son universalité. Des travaux actuels se centrent sur la compréhension du blues comme moment signifiant des transformations psychiques accomplies et qui scande la fin du processus de la grossesse. Il traduirait ce “Désordre aléatoire” qui, pour J. Rochette (2006), s’installe à la naissance avant que, passée la traditionnelle quarantaine qui boucle cette période, la mère et son bébé ne trouvent leur “vitesse de croisière” et leur style interactif. Pour F. Drossart (2004), c’est à ce moment que prendrait place le “Fantasme de l’enfant mort”, fantasme infanticide si fréquent en période post natale et qui, pour cet auteur signerait, le “vide d’affect” de ce moment. L’hypothèse d’une évolution différenciée de la dyade au premier trimestre selon que la jeune mère ait manifesté ou non un blues est soulevée. La curiosité actuelle pour cette manifestation sans signification péjorative se formule ainsi : si le blues témoigne de la capacité empathique de la mère et de son aptitude à éprouver l’état émotionnel de son bébé, le style interactif ultérieur de la dyade pourrait en porter la trace (S. Bydlowski-Aidan, thèse en cours). Rarement, lorsque le blues est sévère et durable, au-delà de 8 jours il peut cependant être le précurseur ou en continuité d’une authentique dépression post natale (L. Fossey et al., 1997). Il devient alors urgent de le considérer comme un événement pathologique et de demander de l’aide.

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