L’illusion de savoir
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L’illusion de savoir

Le désir de savoir dans sa dimension sexuelle pourrait être considéré comme la pulsation originaire de la psychanalyse tant Freud fut un insatiable investigateur. Ce qui le conduisit à son auto-analyse et à sa relation épistolaire amicale et transférentielle avec Fliess. Leur rupture est connue et la phrase de Freud : « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue »1 marque une césure nette au niveau du savoir théorique mais également à celui du statut de l’interprétation. Celle-ci est devenue une interprétation qui vise à la déliaison/liaison (même si à l’époque, cette notion qui renvoie à la pulsion de mort n’était pas d’actualité), à une connaissance de l’inconscient via ses effets, donc d’un inconscient qui restera en grande partie méconnu. C’est l’acceptation de ce méconnu qui fait toute la différence, cette part d’incompréhensible qui rend notre travail si énigmatique, pour nous évidemment, mais aussi pour tous ceux qui viennent nous voir enfin… surtout les adultes qui veulent comprendre ; les adolescents n’ont pas cette demande, ils n’ont d’ailleurs parfois pas de demande, ils arrivent parce que leurs parents l’ont souhaité, souvent sous la pression de « troubles du comportement » ou de « difficultés scolaires ». Il n’est alors pas question de savoir à proprement parler mais de capacité à apprendre. La notion de volonté, en tant qu’acte conscient, est mise en avant par le discours parental et fait tout l’intérêt de l’ambigüité du thème de notre colloque : Ne rien vouloir (en) savoir.

Une des difficultés comme consultant est de faire entendre une autre voi(e)x possible (vous pouvez entendre « voi » dans tous ses sens, dans sa polysémie comme on dit) aux patients. Ceux-ci s’accrochent à une rationalité qui s’oppose au travail psychique. Le savoir organise la résistance. En pensant à cette conférence, certaines figures mythologiques me sont venues à l’esprit, celles qui occupent en partie la pensée freudienne : Moïse, Prométhée et Œdipe. Il me semble que ce qui les caractérise est que ces personnages mythologiques savent avant même d’éprouver ce savoir. Pour le dire rapidement, parce que ce n’est pas le cœur de mon propos, chacun des trois œuvrent en faveur de la transmission et de la filiation, sous la menace de la castration. Ainsi Moïse devra briser les Tables de la Loi, user de rhétorique messianique, puis retourner sur le mont Sinaï et sera pour Freud d’abord le père de l’idéalisation homosexuelle (le Moïse de Michel-Ange) puis celui de la transmission au prix de son meurtre puis de la culpabilité et de la dette. Prométhée est le héros de la connaissance par excellence. C’est lui qui vole la semence du feu aux dieux pour la donner aux hommes, qui auront pour tâche de le conserver. Prométhée n’est pas qu’un larron puisque son crime, redoublement de celui d’avoir donné les meilleurs morceaux du taureau aux hommes, est bien celui du don du feu et donc d’une forme supérieure de pensée. La lecture que Freud propose du mythe est basée sur le renversement en son contraire (J. Rolland)2 c’est-à-dire sur le renoncement à éteindre le feu par l’urine. La répression pulsionnelle est, pour Freud, à l’origine de tout mouvement de civilisation et entraîne une réaction agressive dans un premier temps, puis de culpabilité. Le châtiment, la destruction / régénération du foie est un équivalent de la tumescence et de la détumescence du phallus. Mais, dans son article sur la « Prise de possession du feu »3, Freud insiste sur le fait que « L’homme éteint son propre feu avec sa propre eau », le feu étant lié à la passion et à l’excitation, l’eau à la capacité retrouvée d’uriner. Il existe une sorte de rivalité entre l’excitation pré-éjaculatoire et l’excitation urinaire, entre renoncement pulsionnel et maintien du désir (de la passion). L’acquisition de la connaissance pour de simples mortels n’est pas une mince affaire. On comprend mieux que, face aux tentations de l’homme d’assouvir ses pulsions, quitte à renoncer à la culture, ce soit à la femme (dépourvue de pénis mais pourtant pas d’envie d’uriner) de conserver et d’entretenir le feu. Mais le châtiment ne s’arrête pas là : pour les hommes ce sera Pandora, « le beau mal », la séductrice, introduite dans le monde des hommes par Epiméthée, frère de Prométhée, celui qui comprend en retard (ou après-coup selon les traductions). Quoi qu’il en soit, les hommes seront obligés de s’accoupler pour se reproduire, de se confronter au désir de l’autre sexué, ce qui ouvre au mystère de la différence des sexes.

Sur Œdipe, figure mythique du théâtre grec et de la psychanalyse, je ne vais pas rajouter grand chose sauf deux réflexions qui me sont venues à la lecture du Savoir d’Œdipe de Michel Foucault4. D’abord l’oubli d’Œdipe, les circonstances dans lesquelles il tue Laïos, que j’apparenterais à une figure du meurtre inconscient : « L’inconscient ne connaît pour les crimes aucun autre châtiment que la mort »5 écrit Freud. Ou, pour le dire différemment, Œdipe sait mais n’en a jamais eu conscience. Ce savoir que nous pourrions qualifier de pré-historique se vérifie dans ses réponses au sphinx, même si traditionnellement « Œdipe est celui qui a su répondre à l’énigme du sphinx mais n’a pas su résoudre l’énigme qu’il était lui-même ». L’autre aspect est ce qu’écrit Foucault du passage ou plutôt, tout au long de son texte, de la coexistence de l’enquête oraculaire, du savoir divinatoire, où « La cécité du devin équivaut à la lumière de Dieu » et ce qu’il nomme de façon anachronique l’« enquête de pays », le savoir où le présent est éclairé par les témoignages du passé, par l’interrogatoire de ceux qui ont vu. Œdipe ajoute une troisième forme de savoir, celui du tyran, « qui est une manière tout à fait centrale dans les rapports entre savoir et pouvoir ». Et Foucault d’écrire : « Il y a dans Œdipe une pléthore de savoirs. Trop de savoirs. Et Œdipe n’est pas celui que l’ignorance maintient dans sa nuit : il est celui qui joue – ou essaie de jouer – de la multiplicité des savoirs (…) Nous avons négativisé (je crois que ceci nous concerne tout particulièrement aujourd’hui) Œdipe et sa fable, nous le plaçons du côté du défaut de savoir au lieu de reconnaître l’homme du pouvoir savoir ».

À travers ces figures mythologiques s’organise un certain nombre de qualificatifs liés au savoir : d’abord la ruse qui permet de déjouer les pièges mis sur les chemins de la connaissance et autorise les métamorphoses. Puis, le don, la rhétorique, le renoncement, l’intuition divinatoire, l’enquête (la recherche), le tout sous la menace de la castration. Joli programme dont les filles semblent exclues, ou plutôt semblaient parce que toutes les études récentes tendent à montrer, en France comme ailleurs, leur plus grande réussite scolaire (même si ce n’est pas tout le savoir et peut-être pas celui qui nous intéresse aujourd’hui, mais au moins un critère d’accès à la connaissance). Aux filles, la facilité à apprendre, l’investissement dans le scolaire via la poussée passive de leur désir, aux garçons (et aux fils ??) le don, ce savoir sans dette, qu’ils n’auraient plus qu’à cultiver… jusqu’au moment (pour les garçons et les filles) où ça casse. Je propose de suivre les destins du savoir à travers les formes lexicales de l’intitulé du colloque : la forme affirmative – Vouloir savoir – et les deux formes négatives qui nous sont proposées, que j’entends ainsi de façon arbitraire – Ne rien vouloir savoir et Ne rien vouloir en savoir.

Vouloir savoir

L’emploi du verbe vouloir peut porter à confusion. Il renvoie plus à une intention consciente qu’à la pulsion de savoir dont Freud nous dit qu’elle « ne peut être mise au compte des pulsions élémentaires », qu’elle a deux composantes : « un mode sublimé de l’emprise et de l’autre côté elle travaille avec le plaisir-désir de regarder ». La volonté est du côté de la première. Ici peut se situer l’illusion que chercher à savoir est un acte conscient non soumis à un désir inconscient. La dimension surmoïque de la volonté s’oppose à la découverte d’une « vérité », mot d’une grande portée et d’une quête symbolique à l’adolescence. Mais, se doutent-ils que cette vérité est un savoir sur le sexuel, sur l’origine et non sur la sexualité ? Ainsi Noé, 14 ans, qui cherche son père. Certes il le voit de temps en temps, et revient systématiquement déçu, se jurant qu’il ne le verra plus, puis il répète le même scénario. Parfois, il « oublie » un week end ; son père devient de plus en plus distant et Noé de le lui reprocher de plus en plus violemment. Il ne peut en parler à sa mère, qui lui dit qu’il doit voir son père, que c’est comme ça. Elle dit que ça la repose, lui la trouve fatiguée, pense qu’il ne devrait pas la laisser seule, mais il a l’impression qu’elle ne veut pas de lui et que son père l’ignore quand il est chez lui. Il devient de plus en plus exubérant, a une pensée diffluente comme s’il devait être partout à la fois, lutter contre une force centrifuge qui l’éloigne de son centre, d’un moi unifié et stable. Il s’agite parfois dans le bureau, ne tient pas en place. J’ai du mal à le suivre, à trouver un fil conducteur, son futur métier peut-être, il veut être archéologue. Ses parents se sont séparés quand il avait 3 ans « peut-être même un peu moins ». Je lui fais remarquer qu’en effet ils ne sont pas restés très longtemps ensemble et que, même très jeune, la séparation n’empêche pas de souffrir. Il dit « Mon père est un frimeur, il a de belles voitures, il se prend pour un riche. Avant il avait une Mercedes, mais maintenant avec ses enfants il a une voiture française, je ne connais pas la marque mais elle est toujours décapotable » et, comme un écho, je dis «Ce qui est bien en décapotable est qu’on roule découvert », il répond « Oui, ce n’est pas très pratique surtout avec les enfants et il n’y a pas vraiment de place pour moi. Ma mère préfère, elle dit que c’est dangereux. Elle a toujours peur ». Ultérieurement viendront le récit sur les recommandations de sa mère qu’il se préserve en cas de relation sexuelle, ce qui le met en rage, de quoi sa mère se mêle-t-elle ? L’émergence d’un signifiant en lien avec une théorie sexuelle, voire avec une scène primitive, agit comme la levée d’un secret et modifie la relation transférentielle dans le sens d’un abaissement des tensions là où une fin de non recevoir était opposée à sa volonté de savoir. Il peut enfin en savoir quelque chose, sauf qu’il ne le sait pas. C’est cet écart entre savoir ou pas qui crée les conditions d’un réinvestissement de sa pensée.

Comme tous les adolescents de son âge, il n’a plus grand chose à apprendre sur la sexualité sauf de l’éprouver et, pour paraphraser Freud, s’ils ont accru leur savoir, ils n’ont pas changé. Bien au contraire, ce savoir vient comme une surface, un frein à la curiosité, d’autant qu’il peut être redoublé par l’excitation, voire la passion qui agit les familles dans les moments de décomposition/recomposition. Il n’y aurait plus rien à découvrir puisque tout se déroule sous le regard, d’où le recours à des artifices, des imitations. Les clips avec des danses lascives, les films d’horreur, les séries, jusqu’aux séquences pornographiques, viennent paradoxalement être des excitations pare effractantes. En s’identifiant à des personnages ou à des scènes de fiction (même s’ils existent comme les stars de la musique) écrites par un autre qu’eux-mêmes, puis en l’introjectant, ils créent un écran fictif contre l’effraction de la dimension sexuelle du savoir à laquelle ils ne peuvent sinon échapper. Ce qui les effraie alors, ce n’est pas la haine séparatrice ou l’amour reconquis, mais les images qu’ils regardent et qui finalement les rassurent. Celles-ci sont d’autant plus fétichisées qu’elles sont l’incarnation du mal pour les parents et supports de fantasmes masturbatoires pour les adolescents. Longtemps, le jeu autour des théories sexuelles infantiles, dont le but est de déplacer l’économie libidinale engendrée par la découverte de la différence des sexes, a maintenu la pulsion génitale à distance, parfois au profit, d’une régression anale (via le langage ou le comportement). Il n’est pas rare de recevoir de jeunes collégiens qui ont recours à des stratégies infantiles dans l’espoir d’en découvrir un peu plus sur l’autre sexe. Tel Albert, 13 ans, qui a été renvoyé une journée de son collège pour « avoir perturbé la classe en jouant avec une peluche » qu’il voulait offrir à Yasmine dont il est amoureux. Plus la volonté de savoir sexuel se rapproche d’une sexualité possible moins les stratégies infantiles de défense sont efficientes, faire le pitre ou jouer les petites filles effarouchées peuvent même devenir des facteurs d’exclusion des groupes. Quand le déplacement ou l’évitement n’est plus possible, une des solutions est…

… de ne rien vouloir savoir

C’est la solution de l’inhibition névrotique puisqu’elle porte sur l’intention (vouloir) plus que sur l’objet (savoir) où le refus s’oppose à la négation qui est, écrit Freud « (…) l’admission intellectuelle du refoulé. Tandis que persiste ce qui est essentiel dans le refoulement. » Ici il n’existe pas de solution de compromis entre la volonté (consciente) de savoir et le sexuel, c’est l’ensemble qui est refusé et entraîné dans le refoulement6. « Il en résulte une inhibition de toute forme de curiosité et une entrave (parfois définitive) au libre exercice de l’intelligence »7. Tel Méphistophélès, l’adolescent dirait : « Je suis celui qui toujours nie ». C’est une situation délicate, celle où le désir de savoir projeté sur le thérapeute est retourné par le sujet comme une curiosité malsaine et renforce la résistance. Les capacités élaboratives sont mises à rude épreuve en l’absence de matériau psychique palpable si ce n’est la dimension masochiste du négativisme et son corollaire, l’exhibitionnisme passif. En effet, il n’est pas rare que, par renversement, l’inhibition excite la curiosité des parents de plus en plus intrusifs et, en retour, l’agressivité de l’adolescent qui peut prendre une place d’incompris, de victime. Étrangement, la difficulté provient de la satisfaction que chaque membre de la famille y trouve ; les parents éprouvent (enfin) leur désir infantile de savoir avec la culpabilité qui l’accompagne et pousse à venir consulter, l’enfant met en acte une théorie sexuelle infantile sadique anale. Jeanne est la seconde d’une fratrie de deux filles cambodgiennes adoptées. Elle avait 12 ans quand je l’ai reçue pour la première fois. Ses grands-parents paternels, Cambodgiens, sont arrivés en France au début des années 70, avant la prise du pouvoir par les khmers rouges. Son père est né en France (donc contrairement à ses parents et à sa fille). La mère de Jeanne est née en Italie de parents venus comme réfugiés politiques d’Europe de l’Est. Tous musiciens amateurs, Jeanne au violon, ils jouaient des morceaux de musique tziganes. C’était leur principale activité de loisir commune, que Jeanne a désinvesti comme sa scolarité. Son père a alors accru ses exigences, l’accablant de travail, la surveillant de plus en plus. Sa mère usait d’une trouble séduction que Jeanne semblait avoir perçue comme étant au service du diktat paternel. Elle venait mais ne disait rien. L’élaboration familiale autour de la filiation paternelle a permis de desserrer l’étau mais pas de rendre Jeanne plus loquace. Elle disait juste « Ici j’ai la paix ». C’est ce que disait Bastien, dont le père était mort quand il avait trois ans ; il venait, s’asseyait, disait quelques mots puis restait mutique, aidé en ceci par la consommation régulière de cannabis. L’abandon rend impossible le retour vers le corps abandonnant et oblige à une adhésion au corps et au langage de l’adoptant, interdit le jeu sur le questionnement des origines, rend l’enquête sur la vérité caduque. C’est une fiction en prise avec le réel qui tient lieu de roman familial. Il y a mise en concurrence des pulsions de réparation de l’enfant et des parents et c’est d’une conflictualité possible ou non dont dépend en partie le destin du savoir. Dans L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort8, Ferenczi écrit : « L’enfant doit être amené, par une prodigieuse demande d’amour, de tendresse et de soin, à pardonner aux parents de l’avoir mis au monde sans lui demander son intention sinon les pulsions de destruction se meuvent aussitôt (…) dans ces cas de diminution du plaisir de vivre, je me suis vu peu à peu obligé de réduire de plus en plus les exigences quant à la capacité de travail des patients ». Et ce sont bien les secrets du désir d’enfant et de la filiation que les parents morts ou abandonnants, introjectés comme des corps inanimés, conservent. L’adolescent alors en manque de représentation est inapte à créer un réseau fantasmatique et à alimenter son désir de savoir. Néanmoins, une parole retrouvée et partagée sur l’origine et la filiation de ses parents a permis à Jeanne d’étayer sa subjectivité par une connaissance objective.

Sans un mot, Ariane, 14 ans, tirait les fils de l’écharpe de sa mère pendant que celle-ci parlait. Elle clôt l’entretien en disant, regardant sa fille, « Qu’en penses-tu ma petite chatte ? » À l’entretien suivant, seule et provocante, blouson en fourrure, yeux de chat et rougissement en guise de ronronnement, Ariane est assignée à un signifiant, à représenter ce qui la désigne. Sa seule phrase prononcée : « Je ne sais pas ». Le rien aurait pu créer un lien, un schibboleth, imprononçable mais partageable, mais ce fut impossible, la curiosité qu’elle suscitait et que je lui renvoyais tel un miroir était trop effractante. Le « Je ne sais pas » l’affranchit du « Je sais » de l’intuition paranoïaque qui l’empêchait d’accéder à une parole propre. Il lui donne une contenance qui l’identifie comme étant sortie de l’enfance, mais, ne lui donne pas d’identité. Sophie de Mijolla écrit : « Plus la relation au maternel risque de se vivre sous le signe de la domination et de l’intrusion, plus le recours à une autre langue est nécessaire. »9. Pour l’instant, Ariane préfère rester dans le silence, elle croit que sa mère est le rempart contre le vide qui risque de la happer. La forme négative dit l’exigence du secret structurant, surtout avoir le droit de ne pas tout dire. La négation ouvre au désir de savoir débarrassé de sa composante sexuelle maintenue dans le refoulement. Il est alors possible de…

…ne rien vouloir en savoir

Cette formulation délie l’intention (vouloir) de l’acte (savoir) et rend une liberté au savoir de choisir ses objets en particulier intellectuels. « Une pulsion partielle réussit à se soustraire à l’action de la pulsion sexuelle maintenue dans le refoulement et, au lieu de se diriger vers l’inconscient, elle se voit sublimée en désir de savoir se rangeant, dit Freud, du côté de la puissante pulsion d’investigation pour venir la renforcer avec pour résultat d’activer le développement de l’intelligence et de favoriser la créativité. »10. Pour mener à bien son enquête, Œdipe, qui n’a rien vu du meurtre de Laïos, doit obtenir de l’esclave l’aveu de ce qu’il a vu, ce qui lui sera fatal. Il y perdra le pouvoir et le sens de la vue. Il ne peut être un tyran sans savoir. Du retour de refoulé de la scène primitive, l’adolescent ne voudrait rien savoir de l’effroi qu’il suscite. Mais du recours aux théories sexuelles infantiles il ne veut plus rien en savoir. Le passage de l’adolescence exige la non nostalgie de l’enfance. Quand après le coït durant lequel ils ont partagé le phallus, les parents se séparent, qui en a la possession si ce n’est l’enfant dont la vertu est d’être sage ? Celui-ci n’aura de cesse de désirer s’en débarrasser. Pour pouvoir apprendre il faut se déprendre de la vérité, accepter l’ignorance, s’autoriser à l’intranquillité du non savoir. Savoir implique d’avoir une dette envers la vérité. C’est cette dette qui permet la transmission et la circulation de la connaissance. Ne rien vouloir en savoir est une nécessité psychique qui rend le savoir illusoire.

Notes

  1. « Vous avez non seulement observé mais également compris que je n’éprouve plus le besoin de révéler complètement ma personnalité et vous l’avez fort justement attribué à une raison traumatisante. Depuis l’affaire Fliess que j’ai dû récemment m’occuper de liquider, comme vous le savez, le besoin en question n’existe plus pour moi. Une partie de l’investissement homosexuel a disparu et je m’en suis servi pour agrandir mon propre moi. J’ai réussi là où le paranoïaque échoue. » Freud à Ferenczi, octobre 1910
  2. J. Rolland, « métamorphose d’un mythe » in Libres cahiers pour la psychanalyse, n°22, 2010/2, In Press,Paris, pp.17-37
  3. S. Freud, « La prise de possession du feu » in OCFP XVIII, PUF,Paris, 1995, pp.31-37
  4. M. Foucault, « Le savoir d’Œdipe », in Leçons sur la volonté de savoir, Seuil/ Gallimard, Paris, 2011, pp.222-253
  5. S. Freud, « Actuelles sur la vie et la mort », OCFP XIII, Paris PUF, 1994,p.154
  6. S. Freud, « La négation », OCFP XVII, PUF, Paris, 1992, p.168
  7. R. Dorey, « La Curiosité en question : Léonard et Freud », in Le Désir de savoir, Denoël, Paris, 1998, p. 26
  8. S. Ferenczi, « L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort », OCP IV, Payot, 1996, p 79
  9. S. de Mijolla-Mellor, « Le retour de la pulsion de théoriser à l’adolescence » in Le besoin de savoir, Dunod, Paris, 2002, p.168
  10. R. Dorey, opus cité, p. 27