L’image ne suffit pas
Éditorial

L’image ne suffit pas

Destiné à être porté sans être vu le foetus, avec l’échographie, échappe à son destin: il devient un être à proprement parler considérable et pourtant quelque chose manque à son image pour qu’elle soit un portrait… De quelle improbable physionomie faudrait-il donc que ce futur visage soit chargé ?

Tant qu’il est invisible le foetus est paré de la promesse d’un sourire d’enfant que l’image échographique risque d’arracher comme un masque. Sa figure ne correspond à aucune expérience sensible antécédente et ne peut s’inscrire d’elle-même dans le tissu des souvenirs. Ne composent un visage que les traits d’une personne avec qui une satisfaction a été partagée : l’image ne suffit pas. Pour charger de signification heureuse la coupe du foetus, devant laquelle il n’est pas d’intuition possible, le commentaire de l’échographiste opère comme un conte qui, devant l’apparence étrange de cette forme illisible, transmet le plaisir initiatique de la découverte et formule la beauté d’un phénomène que les parents seuls ne pourraient distinguer de l’horreur d’un accident génétique. La pensée de l’échographiste dans son art de conteur, égale et rivale de sa vision, modèle l’image brute pour en faire un visage.