L’incidence d’un robot sur la communication et le langage d’un enfant autiste : exemples et analyses tirés d’une séance de psychothérapie
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L’incidence d’un robot sur la communication et le langage d’un enfant autiste : exemples et analyses tirés d’une séance de psychothérapie

Ces dernières années, chercheurs et thérapeutes auprès d’enfants ressortissant au domaine des troubles du spectre autistique, se sont fortement intéressés à l’utilisation des TIC et de la robotique dans leurs approches. Nous nous inscrivons dans cette perspective, mais de manière toutefois particulière. La plupart des recherches utilisent les robots à des fins d’éducation ou de mesure dans le cadre de procédures normées et régulières pratiquées en laboratoire (Boucena et al.). Notre axe est au contraire celui de la désorganisation aléatoire de l’interaction avec le robot dans l’échange que l’enfant instaure avec lui. En 2012, nous avons reçu un financement de la fondation Costa de Beauregard. Il a permis l’achat d’un robot humanoïde Nao T14 mis sur le marché par la société Aldebaran Robotics. Le modèle Nao T14 est un buste simple. Ses caractéristiques techniques sont les suivantes : la tête est pourvue de 4 microphones 48kHz 16 bits, 2 haut-parleurs 48kHz 16 bits, 2 caméras 1280×960 Pixels, 2 émetteurs récepteurs infrarouges, 2×8 LEDs RGB pour les yeux, 2×10 LEDs bleues pour les oreilles, 2 moteurs coreless et capteurs pour le mouvement de la tête, 1 processeur Intel ATOM 1,6GHz avec 1GB de RAM et 2GB de mémoire Flash. Sur le torse il dispose de 2 sonars (2 émetteurs et 2 récepteurs) 1 centrale inertielle (Accéléromètre 3-axes, Gyromètre 2-axes), 1 LED RGB et 1 bouton On/Off, 1 Batterie Lithium/Ion, 2×5 moteurs coreless ainsi que de capteurs pour le mouvement des bras. Au niveau des mains il est outillé de 2×1 mécanismes de préhension pour le mouvement des doigts. De la sorte, Nao peut voir et reconnaître les visages, bouger, écouter, parler et recevoir des informations tactiles.

Notre perspective se veut clinique, empirique et expérimentale. Il s’agissait pour nous de sortir le robot de la problématique de mesure dans laquelle il était jusque-là confiné pour l’amener en séance de psychothérapie avec des enfants diagnostiqués autistes du type Kanner et observer leurs réactions spontanées comme les modifications de leur comportement quand une « perturbation » des interactions et des échanges fait irruption dans la régularité. Dans cette expérimentation, Nao a été introduit auprès des enfants dans un espace qui leur était déjà connu, en présence de leurs thérapeutes habituels. Les séances ont été filmées. Chaque enregistrement a été découpé en micro séquences pour en permettre l’analyse. Afin de mesurer les modifications et l’évolution du comportement des enfants, chacun d’eux a disposé de deux séances de jeu avec Nao à 6 mois d’intervalle. Nous avons choisi de nous centrer sur la réaction des deux enfants présentant les particularités les plus marquées.

Le déroulement de la séance

Nous avons proposé aux enfants d’entrer en interaction avec le Robot. Le jeu devait être suffisamment novateur et surprenant pour intéresser l’enfant, mais également suffisamment répétitif pour lui permettre de s’habituer à la structure de l’échange, aux réponses de l’automate, et aux règles du jeu à observer. Comme il arrive souvent avec des dispositifs et instruments complexes, au bout d’un temps variable d’alternance régulière dans les échanges, l’outil robotique a disfonctionné. Il s’est bloqué, empêchant la continuité de l’échange. Notre intérêt s’est alors porté sur l’évaluation de la réaction de l’enfant face à cette interruption inopinée. Allait-il d’abord s’aviser du changement intervenu dans le déroulé de son interaction avec le Robot ? Si oui, allait-il solliciter l’adulte ? Et allait-il le faire pour lui demander de l’aide et obtenir de lui un rétablissement de l’échange autorisant le retour à la structure des alternances initiales ? Ou bien allait-il s’agir en quelque manière de tenter de l’informer pour partager avec lui un étonnement face à la panne du Robot ?

Les pannes inopinées du Robot sont donc devenues partie intégrante du dispositif d’observation et de traitement. Ceci n’est pas sans lien avec nos propres difficultés face au Robot. En effet, une fois que nous l’avons obtenu, nous avons dû tenter de le programmer. Or, pour des cliniciens non versés en informatique, la tâche est rude. Pour l’essentiel, nous avons mis en œuvre un jeu proposé par la société fabricante du Robot : le jeu de carte des animaux. A cela se sont ajoutées deux créations modestes que nous avons été à même d’implémenter.

Description des jeux

Le jeu de cartes des animaux

Le matériel de jeu se compose de cartes imprimées de dessins d’animaux en noir et blanc (cochon, poulet, vache, chien, chat, cheval). Les cartes sont disposées sur la table, face à l’enfant. Les consignes de jeu sont données par le Robot. Il s’assure de l’attention de l’enfant en lui demandant s’il est prêt. Quand l’enfant a répondu « oui ! » le Robot demande alors « Trouve-moi la carte du chat ! Cherche l’image ! ». Suit un temps de latence pendant lequel l’enfant doit chercher la carte correspondante. Il est matérialisé par une petite musique d’accompagnement qui meuble cette période de suspens des échanges. Lorsque le temps est écoulé, la musique s’arrête et le robot reprend « Le temps est écoulé, fais moi voir la carte que tu as choisie ». L’enfant doit alors prendre la carte et la présenter au Robot en la mettant devant ses « yeux » (les orifices caméra). Si la carte correspond à la demande, le Robot approuve d’un « bravo », et fait le geste d’applaudir tandis qu’un fond sonore d’applaudissements se fait entendre. Si la carte proposée ne convient pas à la demande, le robot dit alors « Désolé, ce n’est pas l’image que j’ai demandée » puis il répète la demande initiale. Enfin, après une réponse correcte, le robot demande à l’enfant s’il veut continuer à jouer. L’enfant doit répondre par oui ou non. Quand il a répondu par la négative, le Robot lui communique alors le nombre de bonnes réponses qu’il a obtenues au cours de la séquence.

Le Jeu de « touche ma main » :

Il s’agit d’un jeu que nous avons créé. Nous disposons sur la main du Robot une pastille verte (à droite) et rouge (à gauche). Le Robot demande à l’enfant de toucher sa main verte, sa main rouge ou bien encore sa tête. Lorsque l’enfant touche la partie du corps correspondant à la demande, le Robot dit « Bravo ». En cas contraire, il réitère la demande.

Le Jeu de coucou :

Le Robot cache son visage, puis demande à l’enfant de l’imiter en disant « un, deux, trois, à toi ». Au bout de quelques secondes, si l’enfant n’a pas caché ses yeux, le Robot le relance. Tels sont les trois jeux qui ont été pratiqués au cours des séances avec Nao. Le propos était d’observer les réactions de l’enfant quand, après une période de régularité dans le jeu et les échanges avec le Robot, une perturbation de l’interaction survient en raison d’un imprévu ou d’une erreur de l’automate. Ainsi par exemple il s’est parfois produit que le Robot ne reconnaisse pas la carte que l’enfant lui présentait (même lorsqu’il s’agissait de la bonne), ou bien qu’il n’entende pas la réponse de l’enfant concernant l’arrêt ou la poursuite du jeu. Parfois enfin, sans raison claire, Nao a cessé toute réaction.

Rapide présentation des enfants

C. est un garçon de 9 ans diagnostiqué autiste. Depuis son plus jeune âge, il fait montre d’irritabilités tactiles qui lui rendent difficile de toucher l’autre comme de se laisser toucher. L’exploration haptique est également problématique tant avec la paume de la main qu’avec les bouts des doigts. C. présente également une hypersensibilité aux bruits. Lorsqu’ils sont trop puissants ou trop nombreux, ils peuvent engendrer chez lui une rapide désorganisation corporelle. C. bénéficiait de plusieurs traitements dont une thérapie avec une psychologue et un psychanalyste, lesquels étaient présents lors de sa « rencontre » avec le robot.

A. est une fillette de 7 ans lors de la rencontre avec Nao. Des vidéos faites avant cette rencontre, Nao montrent des signes précurseurs de l’installation du langage. Lorsque nous la rencontrons, elle parle très peu, mais se laisse en revanche guider et étayer par la parole de l’adulte. Fait remarquable, elle se montre relativement sensible à la variation des rythmes de l’interaction, et peut spontanément les modifier, en tenant compte des réponses que son partenaire lui renvoie et en cherchant à s’adapter dans ses productions. Au cours de l’échange, elle est également en mesure d’adresser des regards à l’adulte.

Ce que les séances de jeu avec le Robot nous ont permis de constater

Une stylisation heureuse des interactions entre intervenants humains

Lors des séances, enfants et adultes sont assis au tour d’une table ronde. Le Robot est placé au centre de la table, devant eux. De la sorte, l’enfant est assis à côté des adultes et la position face à face avec eux ne lui est pas imposée. Dans ce cadre, la posture corporelle des enfants est stable. La présence du Robot exerce un effet d’attraction tant sur l’adulte que sur l’enfant, et c’est ensemble qu’ils se laissent surprendre par ce qui advient. Ici, contrairement à l’ordinaire, le thérapeute et l’enfant sont sur un pied d’égalité face à l’inconnu et à l’imprévu auxquels ils sont confrontés. Il en résulte une plus grande aisance d’attention conjointe. Par ailleurs, les jeux que le Robot permet d’établir structurent les échanges et les régularisent. Les participants font silence, demeurent presque immobiles dans une attitude d’observation et d’expectative. Ce calme réduit les flux sensoriels et les stimulations. Les enfants semblent en bénéficier et disposer alors de capacités d’attention plus soutenues. Ayant moins d’informations perceptives à gérer, les situations de multi modalité sensorielle sont en moins grand nombre et les libèrent pour l’interaction ludique avec l’automate.

Le Robot favorise l’anticipation

Au cours du jeu de cartes des animaux, certains bruits émis par le Robot sont insupportables pour les enfants. Lorsque C. joue à ce jeu pour la première fois il est terrorisé par le bruit violent des applaudissements. Mais dès la seconde partie, après avoir fourni une seconde bonne réponse, il anticipe le moment où le bruit va être déclenché par l’automate, la répétition exacte des séquences d’interaction étant sans doute pour lui une aide décisive. Aussi, immédiatement après le « Bravo » du Robot, il se lève et s’éloigne de la table pour ne pas entendre les applaudissements de trop près.

Le Robot favorise la récupération de l’exploration haptique

Par ailleurs, le jeu de « touche ma main » a permis à C. de vaincre et de maîtriser pour partie ses irritabilités tactiles : il en est venu progressivement à toucher le Robot. Et cet acquis d’exploration haptique a pu ensuite être transféré dans son échange avec les adultes. Si le Robot a joué un rôle d’extension des explorations haptiques de l’enfant, c’est sans doute en raison de ses réponses prévisibles. C. a pu toucher le Robot et vérifier qu’il n’allait pas être détruit par le contact ferme avec cet autre objet mobile et parlant. Sans doute a-t-il été également encouragé dans cette découverte par le fait que tout au long du jeu, c’est lui qui avait l’initiative de l’échange avec le Robot. Dans ce jeu en effet, le Robot désigne à l’enfant la partie de son corps qu’il faut toucher, mais le Robot quant à lui ne touche l’enfant à aucun moment.

Le Robot étaye l’attention conjointe en côte à côte

Lors de notre travail avec le Robot, la position « en côte à côte » (l’enfant situé à côté de l’adulte non en face de lui) s’est imposée à nous. Cette position que nous pratiquons couramment au cours des thérapies permet à l’enfant d’établir avec l’adulte une attention partagée autour d’un objet d’intérêt qui se trouve situé à la croisée des regards des deux protagonistes, devant eux. Ce positionnement entraîne d’ordinaire des échanges coopératifs remarquables. Ici l’effet n’a pas été moindre. Ainsi, lorsque C a dû présenter une carte au Robot, il s’est d’abord adressé à l’adulte, le sollicitant par le regard et par la parole, pour s’assurer que la carte qu’il s’apprêtait à placer sous le regard du Robot était la bonne. Et ce n’est qu’une fois obtenue la confirmation de la part de ce dernier qu’il s’est alors tourné pour montrer la carte au Robot. La même démarche a été observée chez A. La fillette interrogeait l’adulte à côté d’elle par le regard, puis son attention se dirigeait à nouveau vers le Robot auquel elle proposait une carte.

Ce type d’attention conjointe s’est également observé de façon frappante lorsque le Robot se bloquait. Dans ces moments de « panne » constatée, c’est en effet l’enfant qui initie l’interaction avec l’adulte : il le sollicite du regard, par un mouvement de tête, ou lui pose une question. Et c’est l’enfant également qui choisit, en fonction de ses compétences, quel adulte solliciter. Ce qui est singulier c’est que devant une étrangeté ou à une panne dans les « réponses du Robot » l’enfant sollicite l’adulte qui lui semble le plus techniquement adapté et non nécessairement son thérapeute habituel. Nous observons alors que l’adulte qui demeure à côté de l’enfant, reste un arrière fond étayant tant que l’alternance avec le Robot se poursuit sans heurt, mais constitue néanmoins un recours en cas de difficulté. À aucun moment, la différence entre humain et robot ne semble être floue pour l’enfant. Certes, le Robot bouge, parle, écoute, donne des ordres, reconnaît des cartes, reconnaît le toucher, mais il n’est pas sollicité en cas de difficulté comme le sont les thérapeutes. Par sa régularité, le Robot engendre une prévisibilité salutaire et rend l’anticipation plus aisée, mais il n’en résulte aucune confusion avec l’humain.

Le Robot encourage la créativité ludique, il ne la stérilise pas

Contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, à partir de la répétitivité du Robot, un échange non contraint peut apparaître. Dès que l’enfant s’est avisé de la répétitivité du robot, il peut anticiper ses réactions et établir à son propos avec l’adulte une attention conjointe. Dans l’organisation de ce dispositif interactif enfant-robot-adulte, c’est cependant l’enfant qui dispose du rôle principal. Et lorsqu’il en vient à modifier les réponses qu’il fournit au Robot, l’enfant observe les règles de la communication. Comme si le Robot incarnait alors une fixité autistique dont l’enfant parvenait alors à se détacher. Ainsi, dans la séquence du jeu de cartes où le Robot demande à l’enfant s’il veut continuer à jouer et où l’enfant doit répondre « oui » pour que le jeu se poursuive, nous nous sommes aperçus que A, au bout de quelques tours d’échanges, introduisait des variations vocales sur son « oui » pour manifester sa joie d’être parvenue à trouver la bonne réponse mais aussi visiblement pour provoquer l’amusement que ces changements vocaux provoquaient chez les adultes à ses côtés. Le Robot a servi à A de prétexte pour de nouveaux échanges avec les adultes. De la sorte, elle s’est dégagée de l’observation stricte des consignes du Robot pour introduire dans le jeu ses propres fantaisies intonatives.

En conclusion

Contrairement à ce qu’on pouvait croire, la présence du Robot dans des séances de thérapie n’a pas figé les échanges mais nous a permis de souligner la capacité dont disposent les enfants autistes pour solliciter l’adulte lorsque le contexte est favorable. Dans les séances analysées, à aucun moment les enfants n’ont établi une préférence pour le Robot au détriment de l’humain. Et jamais ils n’ont oublié le fait que c’est à l’humain qu’il faut s’adresser lorsque le Robot se bloque. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, aucun des enfants ne s’est engagé avec le Robot dans un jeu stéréotypique sans fin. Ils ont tous su décider d’arrêter l’échange après quelques tours de jeu. Fait plus remarquable encore, ils ont pu également accepter que le Robot puisse se bloquer sans que les adultes puissent y remédier, et que l’échange devait alors prendre fin.

L’observation minutieuse des bandes magnétiques a fait également ressortir l’importance de la limitation des sollicitations sensorielles, donnant aux réactions tonico-émotionnelles un registre modéré évitant alors les débordements. Il est également apparu que les enfants autistes sont incontestablement sensibles aux émotions que nous pouvons partager avec eux. Le fait de nous voir perplexes face à un robot, comme ils le sont eux-mêmes, a constitué un moment de partage d’étonnement irremplaçable.

Nous aurions souhaité prolonger ce travail par de nouveaux enregistrements. Hélas l’obsolescence rapide de ce type de produit ne nous l’a pas permis. Aux dires de la firme Aldebaran Robotics, son fabriquant, malgré son coût élevé, après seulement 4 ans d’utilisation, cet automate était devenu « une pièce de musée » dont les programmes ne pouvaient être mis à jour. Comme on peut s’en douter, il s’agit d’un problème redoutable. Il nous a contraint à arrêter brutalement une expérience prometteuse.

Notre perspective se veut clinique, empirique et expérimentale. Il s’agissait pour nous de sortir le robot de la problématique de mesure dans laquelle il était jusque-là confiné pour l’amener en séance de psychothérapie avec des enfants diagnostiqués autistes du type Kanner et observer leurs réactions spontanées comme les modifications de leur comportement quand une « perturbation » des interactions et des échanges fait irruption dans la régularité. Dans cette expérimentation, Nao a été introduit auprès des enfants dans un espace qui leur était déjà connu, en présence de leurs thérapeutes habituels. Les séances ont été filmées. Chaque enregistrement a été découpé en micro séquences pour en permettre l’analyse. Afin de mesurer les modifications et l’évolution du comportement des enfants, chacun d’eux a disposé de deux séances de jeu avec Nao à 6 mois d’intervalle. Nous avons choisi de nous centrer sur la réaction des deux enfants présentant les particularités les plus marquées.

Le déroulement de la séance

Nous avons proposé aux enfants d’entrer en interaction avec le Robot. Le jeu devait être suffisamment novateur et surprenant pour intéresser l’enfant, mais également suffisamment répétitif pour lui permettre de s’habituer à la structure de l’échange, aux réponses de l’automate, et aux règles du jeu à observer. Comme il arrive souvent avec des dispositifs et instruments complexes, au bout d’un temps variable d’alternance régulière dans les échanges, l’outil robotique a disfonctionné. Il s’est bloqué, empêchant la continuité de l’échange. Notre intérêt s’est alors porté sur l’évaluation de la réaction de l’enfant face à cette interruption inopinée. Allait-il d’abord s’aviser du changement intervenu dans le déroulé de son interaction avec le Robot ? Si oui, allait-il solliciter l’adulte ? Et allait-il le faire pour lui demander de l’aide et obtenir de lui un rétablissement de l’échange autorisant le retour à la structure des alternances initiales ? Ou bien allait-il s’agir en quelque manière de tenter de l’informer pour partager avec lui un étonnement face à la panne du Robot ?

Les pannes inopinées du Robot sont donc devenues partie intégrante du dispositif d’observation et de traitement. Ceci n’est pas sans lien avec nos propres difficultés face au Robot. En effet, une fois que nous l’avons obtenu, nous avons dû tenter de le programmer. Or, pour des cliniciens non versés en informatique, la tâche est rude. Pour l’essentiel, nous avons mis en œuvre un jeu proposé par la société fabricante du Robot : le jeu de carte des animaux. A cela se sont ajoutées deux créations modestes que nous avons été à même d’implémenter.

Description des jeux

Le jeu de cartes des animaux

Le matériel de jeu se compose de cartes imprimées de dessins d’animaux en noir et blanc (cochon, poulet, vache, chien, chat, cheval). Les cartes sont disposées sur la table, face à l’enfant. Les consignes de jeu sont données par le Robot. Il s’assure de l’attention de l’enfant en lui demandant s’il est prêt. Quand l’enfant a répondu « oui ! » le Robot demande alors « Trouve-moi la carte du chat ! Cherche l’image ! ». Suit un temps de latence pendant lequel l’enfant doit chercher la carte correspondante. Il est matérialisé par une petite musique d’accompagnement qui meuble cette période de suspens des échanges. Lorsque le temps est écoulé, la musique s’arrête et le robot reprend « Le temps est écoulé, fais moi voir la carte que tu as choisie ». L’enfant doit alors prendre la carte et la présenter au Robot en la mettant devant ses « yeux » (les orifices caméra). Si la carte correspond à la demande, le Robot approuve d’un « bravo », et fait le geste d’applaudir tandis qu’un fond sonore d’applaudissements se fait entendre. Si la carte proposée ne convient pas à la demande, le robot dit alors « Désolé, ce n’est pas l’image que j’ai demandée » puis il répète la demande initiale. Enfin, après une réponse correcte, le robot demande à l’enfant s’il veut continuer à jouer. L’enfant doit répondre par oui ou non. Quand il a répondu par la négative, le Robot lui communique alors le nombre de bonnes réponses qu’il a obtenues au cours de la séquence.

Le Jeu de « touche ma main » :

Il s’agit d’un jeu que nous avons créé. Nous disposons sur la main du Robot une pastille verte (à droite) et rouge (à gauche). Le Robot demande à l’enfant de toucher sa main verte, sa main rouge ou bien encore sa tête. Lorsque l’enfant touche la partie du corps correspondant à la demande, le Robot dit « Bravo ». En cas contraire, il réitère la demande.

Le Jeu de coucou :

Le Robot cache son visage, puis demande à l’enfant de l’imiter en disant « un, deux, trois, à toi ». Au bout de quelques secondes, si l’enfant n’a pas caché ses yeux, le Robot le relance. Tels sont les trois jeux qui ont été pratiqués au cours des séances avec Nao. Le propos était d’observer les réactions de l’enfant quand, après une période de régularité dans le jeu et les échanges avec le Robot, une perturbation de l’interaction survient en raison d’un imprévu ou d’une erreur de l’automate. Ainsi par exemple il s’est parfois produit que le Robot ne reconnaisse pas la carte que l’enfant lui présentait (même lorsqu’il s’agissait de la bonne), ou bien qu’il n’entende pas la réponse de l’enfant concernant l’arrêt ou la poursuite du jeu. Parfois enfin, sans raison claire, Nao a cessé toute réaction.

Rapide présentation des enfants

C. est un garçon de 9 ans diagnostiqué autiste. Depuis son plus jeune âge, il fait montre d’irritabilités tactiles qui lui rendent difficile de toucher l’autre comme de se laisser toucher. L’exploration haptique est également problématique tant avec la paume de la main qu’avec les bouts des doigts. C. présente également une hypersensibilité aux bruits. Lorsqu’ils sont trop puissants ou trop nombreux, ils peuvent engendrer chez lui une rapide désorganisation corporelle. C. bénéficiait de plusieurs traitements dont une thérapie avec une psychologue et un psychanalyste, lesquels étaient présents lors de sa « rencontre » avec le robot.

A. est une fillette de 7 ans lors de la rencontre avec Nao. Des vidéos faites avant cette rencontre, Nao montrent des signes précurseurs de l’installation du langage. Lorsque nous la rencontrons, elle parle très peu, mais se laisse en revanche guider et étayer par la parole de l’adulte. Fait remarquable, elle se montre relativement sensible à la variation des rythmes de l’interaction, et peut spontanément les modifier, en tenant compte des réponses que son partenaire lui renvoie et en cherchant à s’adapter dans ses productions. Au cours de l’échange, elle est également en mesure d’adresser des regards à l’adulte.

Ce que les séances de jeu avec le Robot nous ont permis de constater

Une stylisation heureuse des interactions entre intervenants humains

Lors des séances, enfants et adultes sont assis au tour d’une table ronde. Le Robot est placé au centre de la table, devant eux. De la sorte, l’enfant est assis à côté des adultes et la position face à face avec eux ne lui est pas imposée. Dans ce cadre, la posture corporelle des enfants est stable. La présence du Robot exerce un effet d’attraction tant sur l’adulte que sur l’enfant, et c’est ensemble qu’ils se laissent surprendre par ce qui advient. Ici, contrairement à l’ordinaire, le thérapeute et l’enfant sont sur un pied d’égalité face à l’inconnu et à l’imprévu auxquels ils sont confrontés. Il en résulte une plus grande aisance d’attention conjointe. Par ailleurs, les jeux que le Robot permet d’établir structurent les échanges et les régularisent. Les participants font silence, demeurent presque immobiles dans une attitude d’observation et d’expectative. Ce calme réduit les flux sensoriels et les stimulations. Les enfants semblent en bénéficier et disposer alors de capacités d’attention plus soutenues. Ayant moins d’informations perceptives à gérer, les situations de multi modalité sensorielle sont en moins grand nombre et les libèrent pour l’interaction ludique avec l’automate.

Le Robot favorise l’anticipation

Au cours du jeu de cartes des animaux, certains bruits émis par le Robot sont insupportables pour les enfants. Lorsque C. joue à ce jeu pour la première fois il est terrorisé par le bruit violent des applaudissements. Mais dès la seconde partie, après avoir fourni une seconde bonne réponse, il anticipe le moment où le bruit va être déclenché par l’automate, la répétition exacte des séquences d’interaction étant sans doute pour lui une aide décisive. Aussi, immédiatement après le « Bravo » du Robot, il se lève et s’éloigne de la table pour ne pas entendre les applaudissements de trop près.

Le Robot favorise la récupération de l’exploration haptique

Par ailleurs, le jeu de « touche ma main » a permis à C. de vaincre et de maîtriser pour partie ses irritabilités tactiles : il en est venu progressivement à toucher le Robot. Et cet acquis d’exploration haptique a pu ensuite être transféré dans son échange avec les adultes. Si le Robot a joué un rôle d’extension des explorations haptiques de l’enfant, c’est sans doute en raison de ses réponses prévisibles. C. a pu toucher le Robot et vérifier qu’il n’allait pas être détruit par le contact ferme avec cet autre objet mobile et parlant. Sans doute a-t-il été également encouragé dans cette découverte par le fait que tout au long du jeu, c’est lui qui avait l’initiative de l’échange avec le Robot. Dans ce jeu en effet, le Robot désigne à l’enfant la partie de son corps qu’il faut toucher, mais le Robot quant à lui ne touche l’enfant à aucun moment.

Le Robot étaye l’attention conjointe en côte à côte

Lors de notre travail avec le Robot, la position « en côte à côte » (l’enfant situé à côté de l’adulte non en face de lui) s’est imposée à nous. Cette position que nous pratiquons couramment au cours des thérapies permet à l’enfant d’établir avec l’adulte une attention partagée autour d’un objet d’intérêt qui se trouve situé à la croisée des regards des deux protagonistes, devant eux. Ce positionnement entraîne d’ordinaire des échanges coopératifs remarquables. Ici l’effet n’a pas été moindre. Ainsi, lorsque C a dû présenter une carte au Robot, il s’est d’abord adressé à l’adulte, le sollicitant par le regard et par la parole, pour s’assurer que la carte qu’il s’apprêtait à placer sous le regard du Robot était la bonne. Et ce n’est qu’une fois obtenue la confirmation de la part de ce dernier qu’il s’est alors tourné pour montrer la carte au Robot. La même démarche a été observée chez A. La fillette interrogeait l’adulte à côté d’elle par le regard, puis son attention se dirigeait à nouveau vers le Robot auquel elle proposait une carte.

Ce type d’attention conjointe s’est également observé de façon frappante lorsque le Robot se bloquait. Dans ces moments de « panne » constatée, c’est en effet l’enfant qui initie l’interaction avec l’adulte : il le sollicite du regard, par un mouvement de tête, ou lui pose une question. Et c’est l’enfant également qui choisit, en fonction de ses compétences, quel adulte solliciter. Ce qui est singulier c’est que devant une étrangeté ou à une panne dans les « réponses du Robot » l’enfant sollicite l’adulte qui lui semble le plus techniquement adapté et non nécessairement son thérapeute habituel. Nous observons alors que l’adulte qui demeure à côté de l’enfant, reste un arrière fond étayant tant que l’alternance avec le Robot se poursuit sans heurt, mais constitue néanmoins un recours en cas de difficulté. À aucun moment, la différence entre humain et robot ne semble être floue pour l’enfant. Certes, le Robot bouge, parle, écoute, donne des ordres, reconnaît des cartes, reconnaît le toucher, mais il n’est pas sollicité en cas de difficulté comme le sont les thérapeutes. Par sa régularité, le Robot engendre une prévisibilité salutaire et rend l’anticipation plus aisée, mais il n’en résulte aucune confusion avec l’humain.

Le Robot encourage la créativité ludique, il ne la stérilise pas

Contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, à partir de la répétitivité du Robot, un échange non contraint peut apparaître. Dès que l’enfant s’est avisé de la répétitivité du robot, il peut anticiper ses réactions et établir à son propos avec l’adulte une attention conjointe. Dans l’organisation de ce dispositif interactif enfant-robot-adulte, c’est cependant l’enfant qui dispose du rôle principal. Et lorsqu’il en vient à modifier les réponses qu’il fournit au Robot, l’enfant observe les règles de la communication. Comme si le Robot incarnait alors une fixité autistique dont l’enfant parvenait alors à se détacher. Ainsi, dans la séquence du jeu de cartes où le Robot demande à l’enfant s’il veut continuer à jouer et où l’enfant doit répondre « oui » pour que le jeu se poursuive, nous nous sommes aperçus que A, au bout de quelques tours d’échanges, introduisait des variations vocales sur son « oui » pour manifester sa joie d’être parvenue à trouver la bonne réponse mais aussi visiblement pour provoquer l’amusement que ces changements vocaux provoquaient chez les adultes à ses côtés. Le Robot a servi à A de prétexte pour de nouveaux échanges avec les adultes. De la sorte, elle s’est dégagée de l’observation stricte des consignes du Robot pour introduire dans le jeu ses propres fantaisies intonatives.

En conclusion

Contrairement à ce qu’on pouvait croire, la présence du Robot dans des séances de thérapie n’a pas figé les échanges mais nous a permis de souligner la capacité dont disposent les enfants autistes pour solliciter l’adulte lorsque le contexte est favorable. Dans les séances analysées, à aucun moment les enfants n’ont établi une préférence pour le Robot au détriment de l’humain. Et jamais ils n’ont oublié le fait que c’est à l’humain qu’il faut s’adresser lorsque le Robot se bloque. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, aucun des enfants ne s’est engagé avec le Robot dans un jeu stéréotypique sans fin. Ils ont tous su décider d’arrêter l’échange après quelques tours de jeu. Fait plus remarquable encore, ils ont pu également accepter que le Robot puisse se bloquer sans que les adultes puissent y remédier, et que l’échange devait alors prendre fin.

L’observation minutieuse des bandes magnétiques a fait également ressortir l’importance de la limitation des sollicitations sensorielles, donnant aux réactions tonico-émotionnelles un registre modéré évitant alors les débordements. Il est également apparu que les enfants autistes sont incontestablement sensibles aux émotions que nous pouvons partager avec eux. Le fait de nous voir perplexes face à un robot, comme ils le sont eux-mêmes, a constitué un moment de partage d’étonnement irremplaçable.

Nous aurions souhaité prolonger ce travail par de nouveaux enregistrements. Hélas l’obsolescence rapide de ce type de produit ne nous l’a pas permis. Aux dires de la firme Aldebaran Robotics, son fabriquant, malgré son coût élevé, après seulement 4 ans d’utilisation, cet automate était devenu « une pièce de musée » dont les programmes ne pouvaient être mis à jour. Comme on peut s’en douter, il s’agit d’un problème redoutable. Il nous a contraint à arrêter brutalement une expérience prometteuse.