L’Internet et l’émergence des nouvelles formes de subjectivité
Éditorial

L’Internet et l’émergence des nouvelles formes de subjectivité

Rien ne sert d’invoquer Ésope pour décrire l’Internet comme la pire et la meilleure des choses. Ce tissu magique et concret, avec ses fils et ses noeuds, nous enveloppe tant que nous en ignorons les limites et les trous. Mieux vaut donc essayer de comprendre comment cet objet hypercomplexe est en train de générer de nouvelles formes de subjectivité et de nouveaux régimes de sociabilité.

Penser la réalité psychique que sollicite ou qu’impose l’usage d’Internet me confronte à une série de paradoxes. La présence absence de l’autre, l’intimité publique des blogs, la rencontre déconnexion unilatérale, l’aléatoire structuré par le réseau des interactions, la trace immatérielle de l’information, l’être ensemble séparé, tous ces oxymores sont une des formes mentales et affectives de la toile. Quels fantasmes les soutiennent ? Avec le Net, je fais l’expérience d’une autre consistance des liens avec les autres. Je pense ici au fameux ouvrage de D. Riesman, La Foule solitaire (1950), et à celui, plus récent, de Z. Bauman, L’Amour liquide (2000). Ces liens fluides, multiples, éphémères, imprévisibles, délocalisés, à temporalité réduite, sont aussi des liens décorporéisés. Les mouvements pulsionnels et les affects qu’ils déclenchent sont des événements que l’écriture seule ne peut signifier, même si des équivalents iconiques (les « émoticons ») sont disponibles. Un lien se qualifie aussi par la sensorialité : voix, regard, toucher, odeur, saveur. Quelles formes de subjectivité se dessinent dans ces nouvelles figures de la rencontre dans lesquelles l’imaginaire est constamment sollicité ?

Avec la Toile, je pense et je connais différemment. Au couper-coller et à ses effets « pseudo », j’oppose la liberté de faire connaissance, de questionner sans restriction, de chercher mon chemin. Toutefois, la pensée exige une latence, un différé et une certaine constance, au contraire de l’incessante excitation du réseau. Une question pourrait être, comme dans les groupes : qui pense dans l’Internet et quels contenus de pensée y sont pensés ?