« Lofstory ». Sexe, mensonge et abandon
Éditorial

« Lofstory ». Sexe, mensonge et abandon

« Loft Story », tout le monde regarde ! Est-ce du voyeurisme généralisé ? En fait, dans les extraits diffusés par M6, l’ingrédient principal de la jouissance du voyeur, le sexe nu, est absent. C’est pourquoi ce voyeurisme-là s’apparente plutôt à celui des parents, et notamment des mères, qui s’accordent le droit d’entrer à tout moment dans la chambre de leur enfant sans prévenir, d’examiner le contenu de ses tiroirs et même son journal intime en son absence.

Mais « Loft Story » joue sur ce voyeurisme plus qu’il ne le crée. Plus encore, celui-ci semble n’être qu’un symptôme d’un changement plus profond. Dans les années quatre-vingt, de nombreux psychanalystes ont annoncé la forte diminution des pathologies névrotiques traditionnelles, dominées par l’ambivalence des sentiments vis-à-vis des figures parentales, au profit des pathologies du narcissisme, centrées sur la fragilisation des repères de groupe et la culture de plus en plus impérieuse de l’image de soi. Or, aujourd’hui, ces nouvelles affections sont elles-mêmes en train d’être supplantées par d’autres organisées autour des angoisses de séparation. La difficulté des jeunes à quitter le foyer parental vient en réponse à l’angoisse que les parents ont souvent eux-mêmes cultivée : celle d’être séparés de leur rejeton. L’une et l’autre se nourrissent à deux sources nouvelles : l’enfant désiré et unique, et les nouvelles technologies – comme internet et le téléphone portable – qui favorisent le déni de la séparation.

Mais cette angoisse d’abandon, qui gagne un nombre de plus en plus grand de nos contemporains et alimente les pratiques voyeuristes de beaucoup de parents, pourrait bien constituer aussi un « garde-fou » contre les risques d’une excitation sexuelle croissante alimentée chez les jeunes par les médias. L’angoisse d’abandon serait le meilleur contrepoids à l’excitation sexuelle montante, tout au moins dans les couches moyennes de la société. En revanche, dans les milieux populaires où la famille reste nombreuse, ce « garde-fou » ne joue pas et l’excitation sexuelle de plus en plus importante, sécrétée par les médias, peut pousser à une activité sexuelle précoce, éventuellement encadrée par le groupe.