Markus Lüpertz. Oser la peinture
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Markus Lüpertz. Oser la peinture

Markus Lüpertz. Oser la peinture, Propriété Caillebote, Yerres (91), Jusqu’au 3 novembre 2019

Cela pourrait être une sortie pour les beaux jours. La Propriété Caillebotte expose pendant l’été un artiste allemand, Markus Lüpertz, très peu connu en France, mais considéré en Allemagne et dans le monde entier comme un des grands artistes de la deuxième moitié du XXème siècle et du début du XXIème, puisque, âgé de 78 ans, il continue de créer très activement.

On pourrait se demander quel est le lien entre Markus Lüpertz et Caillebotte … ? A mon avis, il n’y en a pas. Si ce n’est que l’artiste est très lié avec Michael Werner, son galériste depuis ses débuts et qui semble avoir des relations avec la famille Caillebotte et que Yerres est jumelée avec la ville de Mendig en Allemagne. C’est donc un peu par hasard que Lüpertz se trouve exposé dans la banlieue parisienne. Mais il y est dans un cadre magnifique, en particulier pour les sculptures disséminées dans le parc.

Proche d’autres peintres allemands, comme Gerhard Richter, Anselm Kiefer, Georg Baselitz, A.R. Penck, Jörg Immendorff, Markus Lüpertz est un peintre de culture essentiellement européenne, très attaché à l’Antiquité, on retrouve les héros et les dieux dans ses tableaux et ses sculptures, mais aussi profondément marqué par l’histoire de l’Allemagne (il est né en 1941) dont des traces, plus ou moins explicites sont présentes dans nombre de ses œuvres.

Markus Lüpertz a derrière lui un long parcours et l’exposition montre toutes les périodes de sa vie d’artiste. Ce parcours peut laisser le spectateur un peu désarçonné, car Lüpertz a beaucoup produit, avec des styles artistiques très divers, des thèmes très nombreux et hétérogènes, dont il développe longuement les variations.

Parfois il faut reconstituer l’ensemble. Ainsi, il y a dans l’exposition deux tableaux de la série intitulée « Tente », dont on ne comprend le sens qu’en les resituant dans la démarche de l’artiste qui décline des variations picturales, à partir d’un objet banal, la tente de camping triangulaire, qu’il a trouvé dans un catalogue de grand magasin, afin d’explorer toutes les potentialités de la peinture. Car, en effet, comme le souligne l’intitulé de l’exposition, Markus Lüpertz se veut fondamentalement peintre. A contrecourant de la tendance contemporaine qui annonce régulièrement la fin de la peinture, il affirme son attachement passionné à la peinture, avec une certaine grandiloquence et la certitude d’être un génie. « Le peintre est un compagnon de Dieu », affirme-t-il. Et « je suis né pour être peintre ».

Avec la série « Arcadies », il nous immerge dans des paysages idylliques, peuplés de personnages antiques, dans une ambiance lumineuse et poétique.

Une des plus belles salles expose des « Nus de dos » (2006), faisant partie d’une série représentant des hommes vus de dos (hommage à Matisse), robustes et massifs comme des athlètes, droits comme des guerriers, debout dans un paysage réduit à un sol et à deux arbres dépouillés. Ils sont acéphales, et à la place de leur tête absente, on retrouve les éléments familiers de Lüpertz : casque de soldat, pelle, casquette de la Wehrmacht, carapace de tortue, ce qui en fait des êtres hybrides et énigmatiques.

Car ce peintre est très énigmatique. On se dit : « Je n’y comprends rien ! » De quoi nous parle-t-il ? On cherche la clé. On ne la trouve pas. Alors pourquoi aller le voir, me direz-vous ? Eh bien, justement parce que ce sont des œuvres qui intriguent. Elles ne se livrent pas clé en main, comme les chefs-d’œuvre tellement connus et si largement commentés de la collection Courtaud exposée à la fondation Vuitton. Ici elles ne sont pas saturées. Le spectateur, décontenancé, doit faire l’effort de tenter de comprendre, de faire des liens qui ne sont pas évidents.

Pourtant, on est saisi par la force de ces œuvres qui s’imposent à nous, qui se donnent à penser. Nourri de philosophie, de littérature, de musique, de poésie, Markus Lüpertz pense en peintre. « La peinture, dit-il, est culture, et qui dit culture dit substance du monde. La peinture fournit le vocabulaire pour rendre visible le monde.»

En déambulant dans le merveilleux jardin de la fondation, le visiteur découvre sur la pelouse les sculptures géantes de Hölderlin, Achille et Ulysse, dont se dégage une très grande force expressive et émotionnelle. Grands personnages, à la fois robustes et fragiles, qui nous invitent à la réflexion sur ces emblèmes de la culture occidentale. Puis posées dans l’herbe, devant la demeure de Caillebotte, des têtes étranges, en bronze peints, Athéna, Vénus, Héra, Pâris, femme au miroir, à la fois malhabiles et subtiles.

Markus Lüpertz souhaite laisser l’œuvre ouverte, et l’offre à la réflexion du spectateur. « La peinture est aveugle et ne vit qu’à travers le regard du spectateur ».