Masculin/Masculin
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Masculin/Masculin

Musée d’Orsay, Paris.
Jusqu’au 2 janvier 2014

Dommage que les conservateurs du musée aient choisi pour l’affiche la peinture la plus « ringarde » de l’expo, une œuvre des artistes contemporains Pierre et Gilles, car d’emblée ils en donnent une image trompeuse. L’exposition se donne pour objectif « d’approfondir toutes les dimensions et significations de la nudité masculine en art », mais en fait elle en privilégie une. Sept œuvres des artistes Pierre et Gilles, (pourquoi autant ?) rappellent au spectateur ce qu’il doit voir : le nu masculin inspire un désir érotique à l’artiste masculin.

C’est une vision réductrice qui méconnaît les aspects multiples du nu masculin. C’est clair dès la première salle : le spectateur est accueilli par le magnifique et mystérieux Saint Sébastien soigné par Irène à la lanterne de Georges de la Tour. On y voit un corps nu masculin, objet des soins d’une femme, dans une ambiance pieuse. Tandis que le superbe Saint Sébastien de Guido Réni, lui, dégage une forte charge érotique. C’est ce tableau qui a suscité chez l’écrivain japonais Mishima la révélation instantanée de la perversion de son désir.

J’ai eu l’impression de voir une autre exposition que celle qu’on m’avait annoncée. Si on y va en ignorant le battage médiatique et les affiches dans le métro, que voit-on ? De très belles œuvres. Un beau Bourdelle, étude pour un monument aux morts. Un Géricault, un Hodler, un Cézanne, un Munch, quelques sculptures antiques, un David Hockney, un Lucien Freud, des Schiele, le Balzac nu de Rodin. Le magnifique Picasso paraît presque hors de propos, tellement Picasso est loin de la problématique de l’expo, lui qui aimait par dessus tout le corps féminin.

Alors on s’interroge. Quel est le sens de cette exposition ? Que veut dire ce double Masculin/Masculin ? Le masculin regarde le masculin, le regardant et le regardé sont identiques, c’est le regard du même sur le même. L’expo privilégie l’identité sexuelle sur l’identité humaine. Il est masculin plutôt que d’être homme. Mais un artiste, surtout un grand artiste, ne s’en tient pas au masculin. En représentant un corps d’homme nu, il tient un propos sur l’humanité.

L’absence de contextualisation de l’exposition correspond à un parti-pris qui fait symptôme et le symptôme indique toujours un refoulement. Qu’est-ce qui est refoulé ? Ce ne peut être que le féminin… « L’homme regarde, la femme est regardée. ».J Pour Nancy Huston, depuis 2000 ans, les yeux masculins regardent un corps féminin. Ici des yeux masculins regardent un corps masculin. Où est passé la femme ? On aimerait voir des corps d’hommes regardés et représentés par des femmes.

Or, sur les 200 œuvres présentées, il y en a cinq qui sont réalisées par des femmes… Louise Bourgeois, avec Arch of Hysteria, Orlan avec L’Origine de la guerre posent la question du regard désirant – ou terrifié, ou dégoûté, ou envieux … – de la femme pour le corps nu de l’homme. Voilà un impensé de l’histoire de l’art, qui commence tout juste à se penser, en particulier avec l’œuvre de Louise Bourgeois.

Ecoutons-la. « Lorsque je suivais les cours de l’Ecole des Beaux-Arts à Paris, nous avions un modèle masculin. Un jour il regarda autour de lui et eut soudain une érection en apercevant une jeune élève. J’étais choquée – puis j’ai pensé que c’était formidable de révéler ainsi sa vulnérabilité ; d’être ainsi exposé publiquement ! nous sommes tous vulnérables d’une façon ou d’une autre, et nous sommes tous homme-femme »