Michel Soulé, mon père imaginaire
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Michel Soulé, mon père imaginaire

J’ai commencé dans les années 80 à m’intéresser aux bébés, à suivre le séminaire de Serge Lebovici dans le XIIIème, à participer aux activités de l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson (WAIMH, alors WAIPAD) – c’est là que j’ai du croiser Michel Soulé pour la première fois, à Cascais, au Portugal, pour le premier Congrès Mondial de la WAIMH, en 1980.

A l’époque, il était pour moi associé, individis, à Serge Lebovici et Gilbert Diatkine, nos maitres à penser, pour toute une génération de jeunes psychiatres d’enfants, férus de psychanalyse et de projets. Ils furent en 1985 ceux qui établirent avec leur Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent le cadre même de notre discipline, encore brouillonne et tâtonnante : une référence incontournable, plus encore une drogue dure que cette somme concoctée par notre LSD (Lebovici-Soulé-Diatkine) national, pour reprendre ce sigle majuscule que rappelait Bernard Golse lors de l’enterrement de Michel Soulé, au cimetière Montparnasse, Paris, le 7 février 2012.  Mais Soulé, ce fut aussi, L’enfant et son corps, écrit avec Léon Kreisler, dont je suivais l’enseignement de psychosomatique de l’enfant à La Poterne des Peupliers et Lebo et Fain. Ces trois-là me parlaient et par leurs articulations subtiles, j’entrais avec passion dans le monde du tout petit et des ancrages corporels de sa vie psychique à peine éclose. Et puis, j’ai lu cette élaboration incroyablement intelligente de Michel Soulé sur l’enfant imaginaire (Soulé, M. L’enfant dans la tête, l’enfant imaginaire. In T.B. Brazelton, B. Cramer, L. Kreisler, R. Schappi, M. Soulé. La dynamique du nourrisson ou Quoi de neuf bébé? Paris, ESF, 1983, pp. 137-175). J’en ai construit, en hommage, le modèle d’un de mes premiers ouvrages, Le bébé imaginaire, bien des années plus tard (érès, 1999, Collection 1001 Bébés). Depuis, je suis assuré qu’il est et restera mon père imaginaire, porteur de toute une histoire transgénérationnelle, petit passeur de contenus conscients ou inconscients, de valeurs, de toute une culture, d’élans et de désirs. Michel Soulé avait participé aux balbutiements de l’ARANE, Association pour la Recherche en Aquitaine sur le Nourrisson et son Environnement que j’avais fondée avec quelques autres à Bordeaux, en 1993 et aux premières journées de cette association, dont celle de 1997 sur le fœtus à l’hôpital, dans les suites immédiates de son Introduction à la psychiatrie fœtale qu’il avait dirigé en 1992 aux Editions ESF et qui reprenait les actes de la 19ème journée scientifique de l’Institut de Puériculture de 1991. Il fut ainsi un des premiers auteurs de la collection Mille et Un bébés, avec Fernand Daffos, Yves Dumez, Marianne Fontanges-Darriet, Paul Guinet, Philippe Saada à évoquer « les aspects psychologiques de la médecine fœtale et du diagnostic anténatal ».

Précurseur s’il en fut en ce domaine, il avait, aux débuts de l’utilisation systématique de l’examen échographique chez les femmes enceintes (1980), mis en vedette cet acronyme d’IVF pour parler d’ « Interruption Volontaire de Fantasme » (1982). Mais rapidement, il devait revoir cette hypothèse, en particulier après avoir assisté lui-même à de nombreuses séances d’échographie, à l’Institut de Puériculture : il faisait même alors référence au test de Rorschach, pour dire, à la manière de Sylvain Missonnier plus tard, le pouvoir d’induction imaginaire, fantasmatique, mythique et narcissique de l’image échographique qui peut-être considérée comme un « véritable organisateur psychique de la parentalité » (Missonnier S, L’enfant du dedans et la relation d’objet virtuel [2001], in : Missonnier S, Golse B, Soulé M, La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité. Paris, PUF, 2004). Il savait faire ça, Soulé, il savait questionner, regarder, écouter, entendre : il était un vrai clinicien, riche de sa pratique et qui tenait de la psychanalyse cette belle conviction que le savoir est chez l’autre. Qui tenait de la psychanalyse aussi cette curiosité, sans failles, incessamment renouvelée et qui lui fit parcourir tant de terra incognita, de l’adoption à la psychiatrie fœtale, des mères aveugles à l’allaitement, … Et à chaque terre, ses compagnons de voyage, plus que des confrères, des collègues, de vrais compères, des complices, Soulé savait faire cela aussi, créer des liens, forts, engageants, inaliénables : Lebovici, Kreisler, Golse, Rufo, Missonnier, Noël, Thoueille, Soubieux, Fava-Vizziello,… Et à chaque voyage, ses articles, ses livres, ses conférences. Et toujours cet art du titre, du mot, du récit. Vous souvenez-vous de : Vous aurez de mes nouvelles, Oedipe au cirque, devant le numéro du clown blanc et l’auguste, La mère qui tricote suffisamment, L’enfant qui venait du froid, … C’est pour cela que je l’aimais, Michel Soulé, pour cet art éprouvé de raconter, cette délicatesse des bons mots choisis, cet humour imparable, jamais à court de formules.

Il était pour moi de ces GRANDS cliniciens, qui savent dire, transmettre, éclairer, illuminer jusque la part la plus sombre de nos pratiques. Et son sourire derrière ses grosses lunettes et sa mine bonhomme me redonnait, à chaque fois, cette tranquille assurance que ce métier de pédopsychiatre est comme le répétait Rufo, le plus beau du monde. Qu’est-ce qui vous a pris de mourir, Monsieur Soulé, à l’aube de cette année deux mille « douce »? Qui donc maintenant nous racontera des « histoires de psychiatrie infantile » ? Qui nous dira, avec l’humour et la prévenance qu’on vous connaissait, « la vie de l’enfant » ? Qui nous lira, avec ses inflexions musicales, le « premier chapitre » de la vie ? Michel Soulé a marqué l’histoire de la psychiatrie de l’enfant et le deuil que nous portons est à la mesure de cette perte pour la clinique et pour tous les bébés, pour tous les fœtus et tous les enfants d’ici et de maintenant.