Myriam David (1917-2004) Une pionnière de la petite enfance
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Myriam David (1917-2004) Une pionnière de la petite enfance

C’est une grande figure de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse du jeune enfant qui vient de nous quitter, et qui laisse derrière elle une œuvre de la plus haute importance, tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique.

Une grande dame en quelque sorte, une véritable pionnière de la petite enfance dont il faut absolument que les plus jeunes générations de professionnels gardent le souvenir vivant, afin de poursuivre leur travail selon les pistes qu’elle a su nous indiquer. C’est à ce titre que j’interviens aujourd’hui pour saluer sa mémoire, alors même que je n’ai pas été un collaborateur proche de Myriam David. Je n’ai jamais eu, en effet l’occasion, de travailler directement avec elle au sein d’institutions de soin mais j’ai eu, en revanche, le bonheur et le privilège de la rencontrer et d’échanger avec elle lors de multiples manifestations professionnelles, notamment au sein du groupe francophone de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health) que Serge Lebovici et moi avons fondé en 1994, et je sais quelles étaient la qualité et la vivacité de sa pensée.

En tant que responsable d’un service de pédopsychiatrie hospitalo-universitaire, je me sens donc très concerné par la disparition de Myriam David et, de ce fait, j’ai pensé que le plus informatif était peut-être de redonner ici le texte de la présentation que j’avais faite de Myriam David lors de la remise du prix Serge Lebovici qui a eu lieu, le 20 juillet 2002, à Amsterdam, lors du 8ème Congrès Mondial de la WAIMH.

“Ce prix est attribué par la WAIMH en reconnaissance de contributions substantielles au développement international de la santé mentale de l’enfant, afin de rendre hommage aux travaux de personnes ayant été activement impliquées au sein de collaborations internationales dans ce domaine, et le premier lauréat de ce prix avait, précisément, été Myriam David, ce dont Serge Lebovici aurait, certainement, été très ému. Cela avait été, ainsi, l’occasion d’une reconnaissance internationale de l’œuvre de Myriam David.

Myriam David (M.D.) est née le 15 mars 1917 à Paris. Elle passe à Paris toute son enfance et son adolescence, et elle y fait ses études au lycée Molière.

1933-1942 : M.D. fait ses études de médecine, toujours à Paris. Elle est nommée externe des hôpitaux de l’Assistance Publique (AP-HP), passe deux ans en pédiatrie et soutient sa thèse de Doctorat en Médecine pendant qu’il en est encore temps compte tenu des évènements dramatiques qui se jouent alors. Sa soutenance a lieu en effet deux jours avant la tristement célèbre rafle du Vélodrome d’hiver. Elle quitte alors Paris et rejoint sa famille dans la zone libre du sud de la France.

1942-1945 : M.D. entre dans la clandestinité et rejoint la résistance pendant environ dix-huit mois avant d’être arrêtée par la gestapo et d’être déportée dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Après de grandes souffrances, elle survit finalement et regagne Paris au début du mois de juin 1945.

1946-1950 : M.D. reçoit une bourse qui, après un court séjour à Baltimore, lui permet de s’orienter vers la psychiatrie de l’enfant à Boston. Elle travaille alors et se forme à la Judge BAKER guidance clinic ainsi qu’au Child Centrer James Jackson Putnam tout en débutant sa formation psychanalytique personnelle à l’Institut de Psychanalyse de Boston.

1950-1962 : De retour à Paris, M.D. ouvre une consultation psychothérapeutique à l’hôpital Necker-Enfants Malades dans le service du Pr Robert Debré. Mais, dès cette époque, son travail principal se passe dans une pouponnière pour enfants de un à trois ans. Elle est alors profondément touchée par l’état dramatique des bébés et par les conditions inhumaines dans lesquelles ils sont traités, n’ayant jamais pu se faire à l’idée “qu’on fasse semblant de ne pas savoir”. Elle accepte sans délai l’offre de Jenny Aubry-Roudinesco d’introduire la psychothérapie d’enfants dans cette institution, d’animer et de superviser les équipes et de mener une recherche sur les carences et les séparations précoces.

En 1962, Myriam David et Geneviève Appell, avec l’aide de John Bowlby qui les invite aux colloques de la fondation CIBA (1961, 62 et 63) et qui les aide à obtenir une subvention de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), entreprennent ensemble une étude longitudinale auprès d’enfants séparés de leurs mères pendant les trois premiers mois de leur vie et qu’elles suivent ainsi jusqu’à l’âge de quatre ans. Par là, elles apparaissent toutes deux comme de réelles pionnières dans la mesure où de telles études n’avaient encore jamais été réalisées en France. Ceci fait d’elles, d’ailleurs, les seuls auteurs français à être cités par J. Bowlby dans son travail princeps sur les soins maternels et la santé mentale des enfants.

En 1959, Serge Lebovici demande à M.D. de le rejoindre dans le secteur du 13ème devenu, par la suite, l’une des plus célèbres places dans le champ de l’organisation de la Santé Mentale (Centre Alfred Binet).

1966-1983 : A le demande de Serge Lebovici, M.D. fonde et dirige le placement familial de Soisy-sur-Seine, institution faisant partie intégrante de l’Association pour la Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris.

1976-1987 : M.D. fonde “L’Unité des jeunes enfants” dans le cadre de la Fondation Rothschild, unité qui sera ensuite dirigée par Françoise Jardin, sur le modèle du Child Center James J. Putnam et selon des principes assez proches de ceux qui seront développés plus tard par Selma Fraiberg dans l’optique de son travail avec des familles d’accès difficile (hard to reach families).

Sur la base de plusieurs études conduites dans cette population, M.D. a été un authentique précurseur des recherches sur les interactions mère-enfant en France, et ceci bien avant l’heure. Sa recherche avec Geneviève Appell sur les différents types d’interactions précoces demeure, aujourd’hui encore, un modèle d’observation clinique et d’approche réellement scientifique de ces questions. Elle a décrit avec la plus extrême précision les tableaux de carences intra et extra-familiales ainsi que ceux des dépressions du bébé. Elle a été la première à utiliser le terme de “comportement vide” pour décrire le fonctionnement erratique de certains bébés déprimés qui semblent ne pas être mus par un monde représentationnel et fantasmatique interne. Elle a écrit le classique et célèbre ouvrage sur le placement familial en fonction de son immense expérience du problème. Elle a eu également une position en première ligne pour défendre l’Institut Emmi Pikler à Loczy (Budapest, Hongrie) qui lui a toujours semblé offrir aux enfant d’heureuses conditions de développement et fournir une méthode de soins utilement fondée sur une qualité particulière de l’attention accordée aux enfants.

Myriam David est une personne désormais célèbre dans les milieux professionnels français, en dépit de sa modestie bien connue, modestie qui est cependant, on le sait, l’apanage fréquent des véritables et authentiques grands personnages.

Pour conclure cette présentation trop rapide de Myriam David, je voudrais maintenant faire trois remarques :

– Tout d’abord, Myriam David, comme elle l’a dit elle-même, a pris conscience pendant la guerre, et à travers son expérience concentrationnaire personnelle, du fait que les soins apportés au corps sont déjà en eux-mêmes une manière essentielle de prendre soin du psychisme. Apporter de l’aide au corps de l’autre a déjà un effet psychothérapeutique et, selon moi, il y a là l’une des racines importantes de la vocation de M.D. dans le champ des soins aux bébés qui associent toujours de manière si intriquée les interactions comportementales et les interactions psychologiques.

– Ensuite, la force professionnelle de Myriam David a toujours été d’affronter les différents problèmes dans la perspective de les résoudre d’un point de vue global et, en même temps, avec des outils spécifiques. Par exemple, dans le cadre du travail social, elle collabore d’abord avec les professionnels de terrain et ensuite avec des responsables hiérarchiques techniques, et enfin seulement avec des professionnels administratifs dans le domaine concerné. Elle établit ainsi des liens avec des directeurs d’écoles professionnelles afin de les convaincre du bien-fondé d’une formation spéciale pour les formateurs eux-mêmes mais, dans le même temps, elle travaille directement avec les formateurs afin de les rendre plus adéquats et plus efficaces vis-à-vis des élèves en formation.

– Enfin, dans chaque cas, à chaque étape, elle assure elle-même des supervisions individuelles, des cours et des temps d’échanges fondés sur la dynamique des groupes en tant que repère théorique et outil de référence privilégié.

Chaque étape de travail et de formation en induit de nouvelles, au sein d’une perspective dynamique et dialectique, type de fonctionnement qui – sur un plan à la fois individuel et groupal – imprègne toutes les actions de M.D., c’est-à-dire non seulement dans le champ des soins aux bébés mais aussi dans celui, si complexe, de la prévention.

J’aimerais enfin, comme dernier apport à cette présentation de M.D., citer quelques lignes d’un texte écrit par elle à propos de la difficulté extrême rencontrée par ceux qui furent en position de médecins dans les camps de concentration nazis. Ce texte se trouve inclus dans l’ouvrage de Christian Bernadac (pages 211-221) paru, en 1971, aux Editions France-Empire sour le titre : Les mannequins nus.

La scène se passe dans le camp d’Auschwitz-Birkenau : “Je n’oublierai jamais le regard de cette jeune femme mise soudain face à face, pour quelques minutes seulement, avec ses deux enfants qu’elle n’avait pas vus depuis son arrivée et que, sans doute, elle ne revit jamais. Je ne peux oublier non plus le regard résigné et timide des enfants. Ils se regardaient, silencieux, bras pendants, le long du corps, séparés par la crainte de la minute suivante. Il aurait fallu faire quelque chose, mais on ne pouvait rien faire. Je crois qu’ils ne dirent rien, ils ne pleuraient pas, ils se regardaient ; puis les enfants partirent sagement sans opposer la moindre résistance. Peut-être espéraient-ils que ce miracle (de la rencontre-ndlr) se reproduirait une fois encore”.

Avec cette observation exceptionnelle, il me semble que nous avons là une fenêtre importante ouverte sur la complexité de la relation mère-enfant, et également une interrogation centrale sur les moyens de l’action dans les situations extrêmes. Pour toutes ces raisons, c’est un grand moment pour nous tous d’offrir à Myriam David le prix “Serge Lebovici” de la WAIMH qui permet, ainsi, à son extraordinaire contribution et à sa trajectoire personnelle d’accéder à un niveau international de reconnaissance.

Merci à Myriam David d’être ce qu’elle est.

Merci à Myriam David de nous avoir ouvert tant et tant de pistes de travail et de réflexion. Merci à Myriam David de s’être montrée si rigoureuse dans le champ de la clinique et de la recherche de telle sorte que nombre d’entre nous, plus jeunes qu’elle, peuvent aujourd’hui encore se référer à elle comme à un merveilleux modèle.

Merci infiniment pour sa vision si humaine de la psychiatrie et de la psychanalyse de l’enfant. Merci pour son travail acharné en vue de maintenir vivant l’axe psychopathologique dans le champ de la prévention et des interventions précoces.

Il est temps pour nous, maintenant, de lui exprimer nos pensées les plus affectueuses et les plus reconnaissantes.
Chère Myriam, nous sommes tous si fiers et si admiratifs de vous !”
Telles ont été mes paroles lors de la remise de ce prix. Aujourd’hui que Myriam David n’est plus, je les assume toutes, absolument toutes. J’espère que nous saurons transmettre à nos étudiants et à nos élèves, cet immense respect de la vie et de la personne qui était le sien et sans lequel il ne peut y avoir nulle pratique et nulle recherche dignes de ce nom.