Le livre Autismes et psychanalyses dirigé par Marie-Dominique Amy rassemble un développement des contributions présentées au congrès de la CIPPA qui s’est tenu à Paris en février 2013. Il constitue une vue d’ensemble rassemblant l’état actuel des connaissances et remet en lumière ce qui a pu être plus ou moins oublié. Enfin, il atteste de la continuité d’une pensée collective d’auteurs franco-phones qui se sont référés à la psychanalyse et qui ont toujours travaillé en échange avec d’autres chercheurs et en rencontrant les familles. Cette démarche qui légitime une recherche collective et l’analyse critique des résultats présentés par chacun, doit être soutenue.
Nous ne devons pas méconnaître la place prise depuis plusieurs années, par les références organicistes qui viennent souvent évacuer le registre psychique. La vie psychique ne se rencontre pas seulement dans le cabinet du psychanalyste mais dans toutes les pensées créatrices, la poésie, la peinture, le théâtre et toutes les figurations qui peuvent être réalisées par des créateurs. Cela nous motive pour lutter afin que cette vie psychique ne soit pas réduite à des chiffres quantifiables à des images matérielles dites objectives. L’espace intersubjectif du sujet est constitué par la rencontre de ceux qui l’ont mis au monde, ses parents. Ceux-ci peuvent ressentir douloureu-sement le poids de leur responsabilité dans son dévelop-pement, en particulier lorsqu’il est perturbé.
On peut lire le livre comme une polyphonie en passant d’un chapitre à l’autre. Cela permet de se rendre compte de la manière dont notre propre groupe psychique interne fait face à l’autisme. Chacun d’entre nous a été marqué par ses premières rencontres avec ces enfants qui évitent la communication et vont jusqu’à s’automutiler et par les attitudes des praticiens qui ont montré comment ils tentaient d’humaniser leurs rencontres avec ces jeunes. Ce livre n’est pas l’accumulation de savoirs mais un partage de découvertes. Toute recherche, tout travail scientifique doit pouvoir être réfuté. La qualité de ces textes, leur ouverture rendent possibles une discussion avec ceux qui s’opposent au point de vue psychodynamique.
Jacques Hochmann se situe dans le registre épistémologique. Il démontre que se fixer uniquement sur des études de résultats et la médecine fondée par la preuve est une erreur, alors que les Etats-Unis commencent à redécouvrir toute l’importance de ce qu’ils nomment la médecine narrative. Il s’agit de pouvoir comprendre comment l’enveloppe narrative, l’histoire intersubjective d’un patient permet cette empathie qui fait progresser celui qui cherche, celui qui étudie les troubles psychiques. D’autre part nous savons que la cure analytique est un processus de mise en récit qui donne au temps toute sa valeur. Marie-Dominique Amy, dans son introduction, souligne également combien certains chercheurs, dans une perspective scientiste, ne donnent pouvoir et raison qu’à la notion de preuve. Notion dont on sait pourtant combien elle est fragile, modifiable voire même effaçable, et ce faisant, niant tout impact à l’observation et à la clinique. Il n’est pas évident de comprendre la place prise par la fonction narrative dans l’autisme si l’on n’a pas travaillé dans un centre accueillant ces enfants, si l’on n’a pas été confronté à toutes les ruptures, tous les moments de vide ou, au contraire d’explosions pulsionnelles liées à l’absence d’une fonction narrative suffisam-ment contenante.
Geneviève Haag présente des avancées théoriques dans la clinique psychanalytique de l’autisme. Son expérience lui permet de figurer avec des images et des mots, les manifestations d’angoisse de ces enfants pour nous les rendre intelligibles. En travaillant avec des collègues qui s’intéressent à la sensorialité et au langage pré-verbal, elle met en évidence comment, par exemple, les vécus de chute de ces enfants traduisent le mécanisme de démantèlement de la perception consensuelle par relâchement de la fonction d’attention. Elle a montré l’importance de l’appui de la pénétration du regard pour créer un sentiment d’entourement. Ce qu’elle a mis en valeur est conforté par les recherches des neurophysiologistes et de ceux qui s’attachent à décrire le dévelop-pement du langage et celui des apprentissages. En attirant notre attention sur ce qu’elle appelle les interprétations environnemen-tales, elle décrit les paroles des parents qui surgissent tout naturellement à propos des activités du bébé et du jeune enfant. L’attention par le regard, la posture, les gestes traduisent ce portage de l’enfant par les parents. Toutes ces constatations permettent aux équipes de comprendre comment leurs attitudes vont permettre à un enfant autiste de se sentir en sécurité malgré toutes ses angoisses.
Fabien Joly nous incite à reprendre appui sur les données de Piaget et d’Ajuriaguerra. Le rapport du développement psychique au corps est central dans la perspective qu’ils ont développée. Nous ne devons jamais oublier la valeur de la relation d’échange avec l’autre même s’il est autiste et parait se désintéresser des autres personnes. Parfois nos attitudes d’adultes vis-à-vis de ces enfants qui hurlent et qui évitent le regard traduisent notre peur d’être surexcités. Cela permet de prendre conscience de l’impor-tance du parexcitation. Nous devons mieux montrer que les processus cognitifs de l’enfant peuvent lui servir d’appui pour la constitution d’un meilleur pare-excitation. Ce point de vue est à développer dans les échanges avec les familles pour que celles-ci comprennent mieux comment la compréhension que nous avons maintenant du rapport au corps nous conduit à proposer des modes d’échange que les psychomotriciens savent particu-lièrement pratiquer.
Le chapitre rédigé par Chantal Lheureux David nous amène à réfléchir à l’importance du regard et de la construction de l’espace pour l’enfant. A partir de ce que nous savons du regard qui donne le sentiment d’exister, nous pouvons comprendre comment un enfant en bonne santé va modifier ses centres d’intérêt, passer d’un objet regardé à un autre, manipuler. Nous pouvons imaginer que cela prélude à l’organisation d’une pensée associative qui passera d’un détail à un ensemble. A l’inverse, l’enfant autiste dans son angoisse et dans son démantèlement, rejette tout ce qui lui apparaît imprévisible. Nous aurons le souci de l’aider à passer du sonore au visuel, de l’imitation gestuelle au plaisir de la vision. L’essentiel est qu’il puisse se sentir concerné par l’échange avec l’adulte et les activités qu’ils mènent tous les deux ensemble.
La contribution d’Anne-Yvonne Lenfant nous permet de suivre le développement des initiatives pédagogiques qui se sont appuyées sur les découvertes de Geneviève Haag. On se rappelle que celle-ci s’est beaucoup appuyée sur les travaux de Tustin et de Meltzer. Les troubles du développement des premières relations archaïques permettent de comprendre comment la perturbation de l’établissement des premières enveloppes corpo-relles psychiques va entraver le développement de ces enfants et leur appropriation de contenus de pensée. Il est capital que cette conception de la reprise du développement née à partir des pédagogies nouvelles, soit connue de tous ceux qui abordent les enfants autistes afin que ceux-ci puissent aborder les appren-tissages scolaires à partir de leur conception du monde. Leur apprentissage se fait sur un mode perceptuel et non sur un mode conceptuel. La formation des auxiliaires de vie scolaire est indispensable pour qu’ils ne se méprennent pas sur le sens des réussites de ces jeunes et qu’ils ne leur imposent pas des procédures d’apprentissage qui viendraient perturber les premières intégrations qu’ils réussissent à réaliser.
A partir des trois interventions précédentes, Bruno Gepner propose une approche inter-disciplinaire, intégrative et personnalisée des troubles de la constellation autistique. Il ne suffit pas de constituer une équipe pluridisciplinaire ou de décréter que l’institution fonc-tionnera avec une dynamique intégrative des différentes inter-ventions, mais il faut inciter à une analyse des erreurs, au refus du dogmatisme et une ouverture à l’évaluation de chaque approche. Nous pourrons traiter nos divergences en proposant le respect des différences et surtout en développant en permanence une élaboration soigneuse d’une présentation aux familles des références de nos interventions avec la clarté du discours pluridisciplinaire. Il m’a paru essentiel de montrer comment la recherche PREAUT (recherche longitudinale) a permis d’avoir une appréciation d’ensemble sur l’évolution des processus de pensée des chercheurs en raison des constats effectués au cours des rencontres avec les jeunes pendant une longue durée. On découvre ainsi que toutes les occasions d’échanges avec les professionnels de la petite enfance vont orienter la pratique de ces derniers. Il s’agit donc d’un changement dans la culture qui concerne l’environnement des tout-petits.
L’enjeu consiste à articuler les pratiques et les références de chacun, ce qui entraîne souvent une dynamique conflictuelle dans la confrontation des points de vue. La notion de construction est fondamentale puisqu’il s’agit d’élaborer des positions nouvelles qui peuvent être en écart avec les positions traditionnelles de chaque profession. Cela conduit à dépasser les défenses narcis-siques et identitaires de chaque groupe professionnel. Enfin Pierre Delion a pu montrer comment la recherche sur les pratiques du packing peut se poursuivre malgré les obstacles rencontrés actuellement. Il est en effet essentiel de pouvoir montrer aux parents et aux autres équipes, ce qu’ont découvert les équipes soignantes qui ont utilisé cette technique et qui ont constaté les effets physiologiques sur le corps et les effets psychopathologiques sur l’image du corps de l’enfant.
Les conclusions formulées par Bernard Golse montrent comment nous sommes amenés à nous opposer à une référence uniquement organiciste qui évacuerait le registre psychique. Le travail psychique est à l’œuvre dans les familles et dans les équipes. Nous pouvons maintenant clairement indiquer pourquoi nous refusons des propositions qui ne visent qu’à réduire des comportements, à les quantifier et à s’efforcer de trouver des traces objectivables par des images et des calculs dans le registre psychique. Par contre nous défendons l’existence du lien entre l’émergence de représentations psychiques et des comportements observables. Nous prenons en compte le contenu et la forme de la relation de l’observateur au jeune et à sa famille et d’autre part son mode d’investissement du groupe à qui il rend compte de ce qu’il a observé. Dans ce temps de restitution au groupe qui écoute, l’analyse de l’affect de l’observateur permet de retrouver ce qui peut être condensé à un moment particulier.
Cette vue d’ensemble des travaux nous permet d’approcher ce qui est de l’ordre de la polyphonie : plusieurs registres de paroles et de pensée plus ou moins bien articulés entre eux. Il s’agit bien de partager des découvertes.
Ce point de vue optimiste ne doit pas méconnaître les forces qui cherchent à réifier la vie psychique, à la quantifier. Nous devons nous efforcer de transmettre l’intérêt de ces démarches humanisantes aux médias et au grand public. Cet ouvrage, comme le livre dirigé par Bernard Golse et Pierre Delion : Autisme état des lieux et horizons, publiée par Erès, dans la collection Carnet Psy, permet aux équipes confrontées aux enfants autistes et à ceux qui sont devenus adultes, d’intégrer les avancées qui témoignent de la qualité de la réflexion théorique et des pratiques des équipes pluridisciplinaires.