Cet ouvrage se compose de plusieurs articles rédigés par Thomas Ogden, psychiatre, psychanalyste, membre de l’Institut psychanalytique de Californie du Nord, directeur du Center for the Advanced Study of the Psychosis de San Francisco.
Et quel bonheur de se plonger dans la lecture de chacun d’eux. Le langage y est clair, accessible, précis. L’auteur trouve les mots justes pour rendre compte des émotions et du ressenti, tant des patients que de lui-même, lors qu’il rapporte des exemples cliniques et ses élaborations.
Dans le premier chapitre sous-titré Rêver des rêves inrêvés et les cris interrompus l’auteur soutient que la souffrance psychique est une manifestation de l’incapacité de l’individu à rêver son expérience qui, à l’extrême, mène à la psychose : « Une personne consulte un psychanalyste parce qu’elle est émotionnellement souffrante et que ses propres émotions lui sont tellement étrangères qu’elle est, soit incapable de rêver (incapable d’effectuer le travail psychique inconscient), soit à tel point perturbée par ce qu’elle est en train de rêver que son activité onirique en est contrariée. Dans la mesure où il est incapable de rêver son expérience émotionnelle, l’individu est incapable de changer, de grandir ou de devenir rien d’autre que celui qu’il a été ».
Ou encore « Le patient qui se réveille d’un cauchemar a atteint la limite de sa capacité de rêver par lui-même. Il a besoin du psychisme d’un autre – d’un « habitué de la nuit »- pour l’aider à rêver ce qui reste encore à rêver de son cauchemar. (Un rêve qui reste encore à rêver « est un phénomène névrotique ou de type non psychotique. En revanche un rêve impossible à rêver est un phénomène psychotique ou corrélatif de la forclusion psychotique »).
Le rôle du psychanalyste est donc de se maintenir dans un état psychique réceptif aux rêves interrompus et inrêvés du patient tels qu’ils sont vécus dans le transfert/contre-transfert. « Les rêveries de l’analyste sont au centre du processus analytique puisqu’elles fraient un passage décisif à l’analyste qui participe au rêver des rêves que le patient est incapable de rêver par lui-même ».
Des récits de fragments de séances viennent illustrer le propos dans lesquels l’auteur décrit le processus à l’oeuvre et en montre l’effet thérapeutique sur le patient.
Les travaux de Freud, Winnicott et Bion ne sont jamais bien loin. Thomas Ogden y fait souvent référence.
Dans Ce dont je ne pourrais me passer, il nous fait part des valeurs qui sont au cœur de sa pratique et dans lesquelles chacun pourra se reconnaître et ajouter sa pierre : faire preuve d’humanité ; savoir « affronter l’orage » : sans une lutte avec la vérité la nature de ce qui se produit dans l’analyse prend l’aspect de quelque chose de « comme si » ; rendre des comptes : « le but de l’analyste n’est pas d’appliquer à la lettre un ensemble de préceptes et de règles analytiques , mais d’accompagner analytiquement le patient dans son dilemme d’homme » ; se rêver dans l’être : « la fin d’une expérience analytique se mesure non pas tant au degré de résolution du conflit intrapsychique qu’au degré auquel le patient est devenu capable de rêver son expérience par lui-même » ; penser à haute voix : « le principal moment d’une expérience analytique réussie est celui où l’on parvient à trouver le langage adéquat pour commu-niquer à soi-même et à l’autre quelque chose de ce que l’on est en train de sentir et de penser » ; enfin, ne pas savoir : « l’analyste doit avoir la possibilité de ne pas savoir lui même trop bien. » la non connaissance étant une condition préalable à l’imagination.
Dans un troisième chapitre de l’ouvrage intitulé Une nouvelle lecture des origines de la théorie des relations d’objet, Thomas Ogden propose une lecture de Deuil et mélancolie illustrée de vignettes cliniques issues de sa pratique analytique. Un peu plus loin il s’interroge sur : « qu’est ce qui est vrai et qui en a eu l’idée ? » en faisant largement appel à Bion. Il en conclut que « finalement, c’est la réaction émotionnelle – ce qui est ressenti comme vrai – qui a le dernier mot en psychanalyse » et que « penser des pensées qui expriment ce qui est vrai modifie la chose même qui est en passe d’être pensée ».
Les derniers chapitres du livre traitent de sujets plus théoriques.
« Lire Bion » tout d’abord, dans lequel l’auteur choisit d’étudier ce psychanalyste selon une grille de lecture qui s’appuie sur l’existence de deux périodes : il distingue en effet les travaux du « jeune » Bion et ceux du « vieux » Bion.
« Tenir, contenir, être et rêver » qui sont des notes à propos du holding et du contenant-contenu, et enfin « écrire la psychanalyse » dans lequel il explique comment et en quoi l’écriture analytique est un genre bien particulier : « dans un compte-rendu d’analyse, ce que nous lisons n’est pas l’expérience analytique en tant que telle, mais l’expérience (littéraire) nouvelle que l’écrivain a créée en écrivant (semble-t-il) l’expérience qu’il a eue avec l’analysant ».
Cet ouvrage, préfacé par Florence Guignard et remarquablement traduit par Ana de Staal et Mage Montagnol, se déguste page après page et nous montre ce que peut être une expérience analytique créatrice.