La conviction. Jean Laplanche ou le primat de l’autre

La conviction. Jean Laplanche ou le primat de l'autre

Apf?

Editions Puf, 2015

Bloc-notes

La conviction. Jean Laplanche ou le primat de l’autre

La Conviction. Jean Laplanche ou le primat de l’autre, dernier titre de la publication de l’Association psychanalytique de France 2015 (anciennement Annuel de l’APF), est principalement réalisée à partir de deux journées scientifiques ouvertes au public. La première partie est consacrée à la Journée Ouverte de janvier 2014, journée riche en conférences et discussions. C’est Catherine Chabert qui ouvre le volume avec son article Croire au transfert dans lequel elle pose la question : « Le transfert est-il un objet ? », objet de croyance ou de conviction ? Elle propose de s’affranchir du scénario religieux et de rester au plus près de l’expérience de l’analyste. Expérience, reconnaissance, perlaboration, transfert sécrètent la conviction. Mais l’expérience peut susciter aussi la croyance. « J’ai trop cru au transfert, trop cru, trop tôt » écrit-elle aussi. Pouvoir y résister afin de laisser apparaître le conflit psychique. Léopoldo Bléger, qui est le discutant de ce travail, la suit sur la nécessité de revenir à la méthode, à l’expérience, pour interroger la conviction du côté de l’analyste.

André Beetschen poursuit avec L’accomplissement dans la pensée. Il montre comment, dans la pratique analytique, la conviction donne à l’expérience son caractère intime pour le patient et pour l’analyste. Prenant appui sur le transfert, il la définit comme « expérience hallucinatoire du fantasme inconscient dans la pensée ». Comment advient l’admission de la chose inconsciente, engageant les couches les plus profondes de la vie psychique ? Dans ce texte clinique, il aborde la question des analyses « difficiles ». L’analyste est confronté au vacillement de ses convictions non questionnées, à sa capacité d’invention et au risque du savoir comme résistance. Garder sa force imaginante pour ne pas tomber dans le piège d’une conviction trop certaine qui « repousserait la déliaison analytique propre à la méthode ». Michael Parsons, discutant d’A. Beetschen, souligne la saturation d’ambivalence du concept de conviction, tout autant que le risque d’un investissement narcissique qui empêcherait toute ambivalence.

Dans L’inconscient existe-t-il ?  Philippe Valon développe les liens étroits entre conviction, illusion, croyance. Il fait un parallèle entre la psychanalyse et la religion et insiste sur la nécessité du doute. Selon l’auteur, l’unique spécificité de l’inconscient freudien, par rapport à Dieu, est le sexuel infantile. Claude Barazer, discutant de cette troisième présentation, se demande si la croyance serait une tentative d’échapper à l’intranquillité de l’analyste dans son rapport à la pratique et à la théorie.

Daniel Widlöcher, dans Croire en l’inconscient – article publié en 1993 dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse et repris ici – situait déjà à l’époque la question du doute dans le sujet même : l’activité mentale inconsciente. La croyance en l’inconscient, – conviction nécessaire que le psychanalyste a besoin d’entretenir dans son expérience clinique -, est-elle
religieuse, c’est-à-dire respectueuse du message transmis, ou irréligieuse, c’est-à-dire désillusionnée vis-à-vis de la réalité psychique ?  

En seconde partie, un hommage à Jean Laplanche, le titre de cette partie n’est autre que celui de son ouvrage paru en 1997 Le Primat de l’autre. Les textes sont ceux d’une journée de réflexion qui donna lieu à de véritables débats avec la pensée de Laplanche. Ce grand penseur se définissait comme un « praticien, un théoricien, plutôt un philosophe de l’analyse », il n’a cessé de vouloir montrer comment l’homme trouve son origine en premier lieu dans l’autre.

Patrick Guyomard commence la séance avec Laplanche et Lacan. Quelques questions, suivies de la réponse de Jean Laplanche. Il propose de mettre en face à face les deux hommes sur « la question de l’autre ». Chacun à leur tour ayant été lecteur interprète et inventeur de Freud. « Comment faire de l’énigme un message énigmatique, sans restaurer aussi le champ du langage et la dimension de la parole ? », « Comment penser l’altérité ? », ou encore « l’analyste est-il provocateur de transfert ? ». Suit alors la réponse inédite et posthume de Laplanche. Dominique Scarfone dans Actualité de la séduction revisite la lecture de Freud par Laplanche, avec « la théorie de la séduction généralisée », « la primauté de l’autre en psychanalyse ». Scarfone nous rappelle que cette relation précoce est « dérivée d’une autre scène de séduction : la séance d’analyse ». Plus qu’une hypothèse, elle est vécue dans la cure.

Avec Genre et théorie sexuelle, Christophe Dejours reprend les  développements de Laplanche sur genre et sexe. L’auteur va plus loin et questionne : Le couple masculin-féminin, pourquoi perdure-t-il ? Comment le sexe organise-t-il le genre ? Et que peut dire la psychanalyse de la répétition de la domination des hommes sur les femmes ou encore la race peut-elle être assignée ?

François Robert dans L’autre langue présente sa vision d’un Laplanche traducteur de Freud. « Entre séduction et inspiration : la traduction. La traduction de l’œuvre de Freud est peut-être le lieu psychanalytique par excellence, où chacun peut faire l’épreuve de son propre rapport à la pensée freudienne. »

Conséquences de l’étymologie offre à Laurence Kahn l’occasion de souligner l’importance de l’entreprise de Laplanche et son équipe pour le travail de traduction des œuvres complètes de Freud. Elle reconnaît à cette traduction de nombreuses qualités, notamment celle de conserver une certaine étrangeté, par exemple au travers de néologismes qui maintiennent l’altérité, mais aussi elle critique cette traduction quand la tentation étymologique dérive vers l’écueil d’un possible faux sens. Texte incisif et stimulant !

Dans Jean Laplanche et la pulsion de mort, Denys Ribas reprend le développement de la théorie freudienne, puis son remaniement critique par Laplanche. Dans ce texte, quelques interrogations pertinentes, comme celle des relations entre pulsion de mort et compulsion de répétition, cette dernière permettant malgré tout de « répéter en offrant une chance de remémorer et de perlaborer ». Autre point soulevé : les « messages de mort de l’objet primaires » ne pourraient-ils pas opérer une « séduction par le imortifère ».
 
André Beetschen vient clore avec brio cette dernière partie avec L’inconciliable : déliaison et destructivité. Dans ce texte très argumenté, il reconnaît sa dette envers Laplanche. Nous devons à Laplanche de « maintenir ouverte l’énigme du sexuel, de sa poussée comme de sa genèse infantile ». Mais « la question de la destructivité, ou de l’hostilité foncière
inscrite tragiquement dans l’humain, sera-t-elle pour autant résolue ? » Il analyse cette question, reprenant Freud et Laplanche, et « la question traumatique, que Laplanche ignorera. » Il interroge : « l’insistance mise sur les processus de déliaison associés de principe au refoulement éclaire-t-elle vraiment l’énigme et l’agissement de la destructivité dans la vie psychique ? ». Comment penser la destructivité à partir des théories de Laplanche ? Un volume bien construit, un plaisir de lecture !