Publié dans la collection Psychanalyse des éditions Hermann, l'ouvrage que Margaux Merand vient de consacrer à l'anorexie mentale – une « enquête », indique le titre – conjugue plusieurs axes. Issu d'un doctorat en philosophie et psychopathologie réalisé à la suite d’études en philosophie, le livre reste fidèle à son objet en ceci qu'il s'inscrit à la croisée de diverses problématiques.
Le fil rouge du volume propose de décrire l'anorexie comme une « maladie du faux soi ». Il offre certains échos dans l'actualité éditoriale, car l'anorexie est présentée en des termes proches de ceux employés par Joseph Gabel, psychiatre et sociologue injustement oublié, dans son livre consacré à la « fausse conscience ». Publié en 1962, devenu introuvable, mais récemment réédité aux éditions L'Échappée, le travail de Gabel jette un éclairage singulier sur le phénomène de réification de la conscience, illustré notamment par la prévalence du rationalisme morbide. Certes, Gabel s'appuyait sur les travaux de psychiatres intéressés par la schizophrénie, mais son grand œuvre se prête à des prolongements dans le champ de la psychopathologie, ce que Margaux Merand n'a pas manqué de percevoir. L'inspiration gabélienne est sensible lorsqu'elle évoque l'effort anorexique pour devenir « un genre de personne plutôt que soi-même » en fixant son identité par avance, ceci afin de feindre le contrôle de rapports sociaux dont les aléas seraient trop angoissants (p. 68-71). La construction d'un faux soi anorexique traduit selon Merand la recherche de « systématicité pour remédier à la faillibilité » (p. 81). L'auteur prolonge sa discussion dans une direction sociologique, esquissant un parallélisme avec les pathologies de l'individualisme décrites par Alain Ehrenberg dans sa Fatigue d'être soi, mais prenant également au sérieux des témoignages de première main disponibles sous la forme de textes autobiographiques. Ces derniers documentent une « hyper-responsabilisation individuelle extrêmement exigeante » (p. 70) accompagnée d'un sentiment…
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