Le psychodrame psychanalytique Métathérapeutique

Le psychodrame psychanalytique Métathérapeutique

Gérard DargeMarc HayatNicole CalevoiRégine Gossart

Editions De Boeck supérieur, 2008

Bloc-notes

Le psychodrame psychanalytique Métathérapeutique

Ce livre sur le psychodrame, préfacé par Gérard Bayle, n’est pas un livre de plus sur le sujet, c’est le récit d’une découverte, celle du psychodrame de supervision et de ses avatars. Je rappelle que le dispositif du psychodrame analytique est une adaptation du cadre de la cure type telle qu’elle a été proposée par Freud. 

La technique s’adresse à des patients présentant des problématiques narcissiques graves et des troubles de la symbolisation et la persistance de clivages corrélatifs d’angoisses archaïques. Or cet ouvrage développe des variations sur le thème du psychodrame analytique individuel précisément hors de son champ d’intervention habituel. Et c’est parce qu’ils ont connu des difficultés à mobiliser une relation transférentielle entropique, qu’ils ont inventé en quelque sorte cette autre manière d’exercer le psychodrame. Cette invention aurait « un effet « méta » qui englobe – dans l’analyse et la compréhension qu’il propose – l’ensemble de la relation patient-thérapeute. Il explore ainsi un lien d’interaction réciproque  ». Et les conséquences sur le dispositif de soin vont loin puisque « c’est cette expérience qui est restituée dans le va-et-vient entre le psychodrame thérapeutique et le psychodrame de supervision ou le va-et-vient entre une psychothérapie individuelle et le psychodrame de relance ou de dégagement tel que nous les avons expérimentés  ». Mais avant d’en arriver à cette partie, l’ouvrage progresse méthodiquement en rappelant dans sa première partie théorique d’où vient le psychodrame, son évolution et son aire d’application. 
Un rappel historique permet de rendre à Jacob Lévy Moreno (1889-1974) l’invention du psychodrame qui s’appuie sur deux axes, la spontanéité créatrice de l’enfant et la valeur cathartique du théâtre, et d’en resituer les origines dans le contexte autrichien. En effet, il croise à Vienne un certain Freud, et lors de cette rencontre à l’Université en 1912, il  lui aurait dit : « je commence là où vous arrivez. Vous rencontrez les autres dans le cadre artificiel de votre cabinet, je les rencontre dans la rue ou chez eux, dans leur milieu habituel. Vous analysez leurs rêves. J’essaie de leur insuffler le courage de rêver encore ». Et si les positions semblent surtout antagonistes, le psychodrame psychanalytique va toutefois émerger de ces ancêtres formidables. 

On sait le succès que cette technique va rencontrer au cours des décennies suivantes, et notamment en pédopsychiatrie où Serge Lebovici, un des premiers à la proposer écrira que « toute l’organisation de ce que nous appelons en psychanalyse « mécanismes de défense du Moi » se retrouve dans cette activité ludique qui, très vite, prend son double aspect : elle est réellement vécue, elle ne cesse d’être perçue par l’enfant comme fictive. Cette contradiction inhérente à la structure du jeu lui donne toute sa valeur dynamique ». Mais pour pratiquer cette technique encore faut-il y être formé. Et cela n’est pas une mince affaire, puisqu’il s’agit de suivre un cursus important en temps et en énergie psychique. Et c’est en formant une équipe belge travaillant dans le service de J.P. Matot de l’Université Libre de Bruxelles que Marc Hayat, psychiatre et psy­cha­­­­na­lyste à la SPASM (Société Parisienne d’Aide à la Santé Mentale), a pu mettre au point avec ses « formés » devenus formateurs, le psychodrame de supervision, de relance et de dégagement. Pour lui, « le psychodrame de supervision tente de prendre en compte d’une part l’aspect groupal du psychodrame avec la complexité des mouvements transféro-contre-transférentiels entre le meneur de jeu et le patient mobilisés par les transferts latéraux induits par la présence des acteurs-thérapeutes, et d’autre part la participation du fonctionnement psychique du patient marqué par les troubles de la symbolisation ». L’idée maîtresse est de transformer les classiques séances de supervision en psychodrame, ce qui fait apparaître des éléments très éclairants sur le fonctionnement des différents niveaux en jeu, notamment en raison des pathologies considérées désor­mais comme indications possibles. Car l’évolution des pathologies depuis la découverte freudienne a été notable, et un chapitre écrit par Rita Sferrazza en appui sur Freud, Gauchet et d’autres, est consacré à en comprendre les mécanismes et les conséquences.  

Le chapitre suivant, dû cette fois à Sylvie Koeckelmeyer, traite de la fonction symbolisante du psychodrame. Elle tente de montrer en quoi le psychodrame, par son dispositif et ses différents aménagements, peut avoir cette fonction pour des patients souffrant de problématiques identitaires narcissiques, en offrant un support concret de différenciation. Une des particularités est de lier la figuration (pour pallier à une mobilité psychique défaillante) à la sensation corporelle vécue dans l’ici et maintenant, et sous un regard tiers. 

Romano Scandariato aborde ensuite les rapports complexes entre monde interne, monde externe et inter-subjectivité. Il insiste sur l’importance de la différenciation des espaces psychiques permise par le psychodrame, qui par le recours au groupe et au jeu, permet de remettre en mouvement les processus psychiques souvent figés. Puis, Gérard Darge étudie selon une perspective winnicottienne le dispositif du psycho-drame, un cadre pour le jeu, comme création de l’espace potentiel. Enfin, Nicole Calevoi et Régine Gossart concluent cette partie théorique l’une sur la temporalité propre au psychodrame tandis que l’autre apporte des réflexions éclairantes sur le corps dans cette technique. 

La deuxième partie est consacrée à la clinique et passe en revue de nombreux problèmes en s’appuyant sur des exemples de prises en charge très utiles pour approcher les points étudiés. La perspective « méta-thérapeutique » est reprise en partant des mécanismes connus de transfert, régression et clivages et en les amenant progressivement à la notion de psychodrame de supervision, permettant ainsi de « dialectiser le déjà arrivé non véritablement vécu du patient avec le déjà symbolisé non véritablement vécu du thérapeute  ». Suivent ensuite quelques expériences cliniques de « dégagement » et de « relance » qui ouvrent à un aménagement possible du dispositif du psychodrame. Tout cela dans l’idée de permettre une complémentarité entre psychodrame et psychothérapie sans tomber comme souvent sur les problèmes de concertation entre les thérapeutes, de comprendre l’impact sur la relation transférentielle, en maintenant la continuité et la place du tiers. 

Un chapitre tout à fait passionnant conclut ce livre, la supervision d’équipe par le psychodrame. Les équipes en question, souvent en soins intensifs, sont soumises à des tensions externes et internes énormes bordées par les notions de mort physique et psychique et de processus de clivages/idéalisations comme il est habituel dans ces milieux médicaux fortement exposés à la souffrance humaine. Les quelques pages conclusives mettent en évidence la préoccupation des auteurs de ce livre pour ce qu’ils nomment « les travailleurs de l’ombre de l’institution hospitalière ». En relatant leurs expériences à la fois multiples par les lieux et circonstances étudiés, et convergentes en ce qui concerne la méthode forgée entre eux, les auteurs nous amènent à revisiter ce que nous savions du psychodrame en ouvrant de nouvelles pistes et en défrichant de nouvelles contrées avec un outil qui au départ n’était pas pensé pour ce faire. Ce faisant, ils font œuvre de pionniers et il y a fort à parier que leur enthousiasme qui diffuse à la lecture de leurs réflexions soit à l’aune de ce qu’ils dégagent dans leurs supervisions. Ils nous rappellent que les concepts winnicottiens de jeux et de transitionnalité ne sont pas étrangers au plaisir de penser la psychopathologie à plusieurs voix. Cet ouvrage fait partie de ceux qui contribuent puissamment à élargir le champ des possibles, et je suis certain que les lecteurs sauront en faire partager les contenus avec leurs collègues de façon toute… psycho-dramatique.