Les 100 mots de la sexualité

Les 100 mots de la sexualité

Jacques André

Editions Puf, 2010

Bloc-notes

Les 100 mots de la sexualité

En continuité avec Les 100 mots de la psychanalyse, parus en 2009, viennent de paraître Les 100 mots de la sexualité. La sexualité est un sujet de choix pour la psychanalyse qui lui a donné une dimension nouvelle et élargie, bien au-delà du génital.

100 mots de la sexualité, ce sont autant de textes qui sont des petits chefs-d’œuvre, compositions de qualité dont le style donne une impression unitaire en dépit de la diversité des treize auteurs de ces textes, dix femmes et trois hommes. Le style rappelle celui des 100 mots de la psychanalyse de Jacques André : un style concis, léger et vif, agréable à lire et captivant. Une fraîcheur dans le propos marque ces textes rigoureux et instruits, nourris d’une grande richesse culturelle. On peut souligner la multiplicité des points de vue abordés : historique, littéraire, sociologique, esthétique, religieux, ainsi qu’un point de vue partagé par le collectif d’auteurs : la psychanalyse. De nombreuses références jalonnent les textes : Apollinaire, Zola, Lévi-Strauss, Sade, Pascal Quignard, Roland Barthes, Ingmar Bergman, Shakespeare, Louise Bourgeois, Milan Kundera, Saint Augustin, Woody Allen, etc., et Freud, présent de façon juste et mesurée. L’humour n’est pas la moindre des qualités remarquables, qui parcourt tout l’ouvrage. Les anecdotes ne manquent pas, offrant autant de représentations imagées, tirées de séquences cliniques de divan, de la vie quotidienne, ou de l’histoire. Salé et pimenté à souhait, le contenu est loin d’être fade ou édulcoré, et justifie d’être un lecteur averti. Il ne s’agit pas d’un manuel pédagogique. Pourtant on apprend des choses. Et on rit. Le recours étymologique est fréquent et parfois drôle, lorsque l’on apprend par exemple que l’infaillible godemiché vient du latin gaude mihi, « réjouis-moi ». La démarche suit tout autant l’évolution du langage, que celle de la sexualité, avec des mots classiques voire désuets, ranimés ici pour notre plus grand plaisir, et des mots très contemporains et très crus – quand l’anglais s’oppose au latin (libido, post coïtum, cunnilingus / fist fucking, backroom, sex addict,coming out).

Le mode de lecture offert tout à fait libre peut rappeler notre enfance : un peu à la manière de ces livres dont vous êtes le héros. Car c’est bien le lecteur qui fait sa propre histoire de la sexualité au gré des mots lus dans l’ordre de son choix. Cela évoque aussi un certain usage enfantin du dictionnaire visant à assouvir la curiosité sexuelle infantile, dans un geste déjà excitant et transgressif : l’enfant cherche en cachette les mots du sexe, les mots sexuels, dans une excitation toute sexuelle. Qu’une collection encyclopédique et universitaire comme les Que sais-je ? propose Les 100 mots de la sexualité, serait-ce une provocation ? Offre destinée à la fois à l’adulte que nous sommes (et peut-être exclusivement, car cet ouvrage n’est effectivement pas pour les enfants), et en même temps qui convoque l’infantile en nous (« la quête du savoir sexuel est elle-même sexuelle »). Rappelons qu’il n’y a pas d’éducation sexuelle possible, du moins qu’elle « manque son but, nécessairement ». Le titre de la collection se réfère au savoir, avec la promesse d’une réponse contenue dans ses pages. Pourtant il ne s’agit pas de définitions à proprement parler, ni d’explications scientifiques des choses sexuelles. De toute façon on sait bien que les enfants ne se satisfont pas des explications données par les adultes : cigogne, choux ou cours anatomiques, qui n’enlèvent rien au caractère énigmatique du sexuel. C’est ce qu’illustre le tableau de Courbet reproduit en couverture, qui tout en exhibant/montrant le sexe féminin ne délivre rien pour autant de l’énigme de la sexualité : L’origine du monde.

Ce sont des mots « pleins » de représentations de choses sexuelles, empreints de sexuel même dans l’acte de leur lecture auquel invite le Que sais-je ? « Le mot sexuel est en lui-même un acte, sa profération vaut comme préliminaire ». L’ouvrage est ainsi une illustration du pouvoir de la sexualité à s’emparer de la langue entière, à sexualiser n’importe quel mot (chatte, cul). En témoigne le pouvoir métonymique du cul, qui condense tout le sexuel : la partie pour le tout. L’injure est aussi un mot-acte sexuel, qui pénètre quand il est énoncé, « entre le crachat et l’éjaculation ».
Il ne s’agit ni d’un dictionnaire, ni même d’un guide des pratiques sexuelles ou des usages du plaisir, mais d’une manière d’aborder les mots de la sexualité, d’en donner un regard particulier, analytique. Ces points de vue offrent en effet de savoureux petits décalages, comme « le harcèlement par le sexuel ». Autant d’écarts qui enrichissent notre vision de la sexualité et parviennent (encore) à nous surprendre. Un tel écart permet de voir derrière la plainte pour harcèlement sexuel un motif jamais mis en avant : la haine pour le sexuel, celui qui harcèle depuis l’enfance.

Une place de choix est faite aux ratages de la sexualité, « ces petites avanies de la vie trop humaine » : éjaculation précoce, fiasco, ce qui est, au fond, la signature par excellence de l’humaine sexualité, puisque malgré la honte « le fiasco est l’honneur de l’homme ! ». Aucun animal ne pourrait se vanter de faire fiasco. À ce propos, l’entrée Bonobo est assez surprenante d’un premier abord. On apprend que la sexualité des bonobos est très proche de la nôtre puisqu’ils pratiquent en missionnaire, de face, et utilisent les rapports sexuels pour régler les conflits quel que soit le sexe du partenaire, ce qui leur confèrerait une certaine humanité si la comparaison ne s’arrêtait là. Ce livre s’origine presque de cette différence fondamentale qui fonde la sexualité humaine, mêlée d’angoisse et de culpabilité liée à la transgression d’interdits, marquée par le refoulement, profondément enracinée dans l’infantile, et peut-être surtout animée par une richesse fantasmatique, qui est le propre de l’homme. Les mots « harem » et « bordel » sous-tendent ainsi deux fantasmes différents de l’homme : celui de la possession unique et exclusive de toutes les femmes (sauf une peut-être…), et celui de la femme partagée entre les frères (« au bordel on est comme en famille ») ; le point commun à ces fantasmes restant celui d’une consommation illimitée.

L’ouvrage est parsemé de petites trouvailles qui nous éclairent d’une vue nouvelle, originale, parfois surprenante et audacieuse, souvent inédite. Ce livre est précieux parce qu’il instruit d’un regard neuf et percutant plutôt que d’enseigner un savoir sur la sexualité. Il met par exemple en relation la détumescence du pénis avec l’effondrement dépressif qu’est le spleen post coïtum. Ou bien il présente la pratique de l’excision comme une tentative d’abraser les fantasmes localisés dans l’organe surdéterminé. 
Suffirait-il alors de  « couper dans le sexe des femmes (…) pour couper court aux fantasmes » ? Rappelons que le clitoris partage avec le fantasme la capacité d’« embraser à lui seul le corps tout entier ».
La complémentarité des sexes et la parité ? Si le cunnilingus met l’homme à genoux devant la femme, la fellation donne à celle-ci le pouvoir de « tenir l’homme par les couilles ». Quant au mari infidèle, il réalise dans l’adultère « un désir aussi infantile qu’œdipien » ; l’enracinement infantile de la sexualité est tenace.

100 mots de la sexualité,
 parfois indirects (migraine), qui convoquent tout autant l’acte lui-même, dans sa visuelle crudité (fist fucking, pratique hard comparée poétiquement à une sorte de « yoga anal »), que ses préliminaires (bain de minuit, caresse), ou l’aboutissement (jouissance, orgasme, éjaculation). Sont passés en revue le sexe oral, anal, le S/M, une érogénéité de tout le corps, des objets partiels (seins), très partiels (poils) aux objets fétichisés (talons aiguilles, string). Le sexe lui-même est détaillé (bite, vagin – on notera l’absence des testicules), mais aussi les objets et accessoires de scénarisation (glory holes, une commodité que l’on trouve dans les backrooms), les gestes, les positions : le 69, « un détournement, tout un poème », la levrette ou alla pecorina, ou encore l’equus eroticus (la jument assise)… 
Finalement, le parent pauvre de la sexualité, c’est bien le pervers, prisonnier de son unique fantasme. Ont contribué à cet ouvrage : Jacques André, Joanne André, Isée Bernateau, Béatrice Childs, Vincent Estellon, Caroline Hurvy, Françoise Neau, Mathilde Saïet, Alexandrine Schniewind, Caroline Thompson, Phlippe Valon, Sarah Vibert, Mi-Kyung YI.