Les antipsychiatries. Une histoire

Les antipsychiatries. Une histoire

Jacques Hochmann

Editions Odile Jacob, 2015

Bloc-notes

Les antipsychiatries. Une histoire

Jacques Hochmann nous a déjà donné de nombreux ouvrages de référence, aussi bien en ce qui concerne les enfants autistes que dans le domaine de l’histoire de la psychiatrie. C’est à ce deuxième continent qu’il s’intéresse une fois encore en nous proposant un remarquable ouvrage destiné à l’histoire des antipsychiatries. Son idée est de resituer ces mouvements antipsychiatriques dans une perspective longitu-dinale afin d’y retrouver un sens que les études partielles ne peuvent donner. D’où la très judicieuse idée de proposer un titre au pluriel pour évoquer un mouvement historique anti-psychiatrique constant apparu dès l’invention de la psychiatrie. Les antipsychiatries deviennent alors une suite de phénomènes datés, ce qui décentre quelque peu l’antipsychiatrie anglo-italienne de sa position dominante, contri-buant ainsi à redonner leur place à chacun des autres épisodes antipsychiatriques. Son pari est très réussi, car il met en évidence un certain nombre d’invariants qui surgissent dans tous les courants antipsychiatriques, même quand les contextes sont différents. Mais ce qui est d’un grand intérêt dans les débats d’aujourd’hui est le fait marquant que toute anti-psychiatrie ne peut s’originer que dans une psychiatrie criticable. Remontant aux sources de la psychiatrie, Jacques Hochmann  tente de dégager la notion de sujet dans la folie, entre médecine organique et médecine de l’âme, entre lésion et absence de lésion, entre interventions « morales » et éducatives. Il met en évidence les contradictions dans lesquelles se débattent les aliénistes puis les psychiatres, à la fois chargés d’accueillir des patients souffrant psychiquement et de « garder » des personnes bizarres et/ou violentes en protégeant l’ordre social. Il va de soi qu’à chaque fois, la question de la liberté est posée, et souvent en termes politiques, entre royautés et républiques. Pour illustrer son propos, il fait état des premières escarmouches entre Maine de Biran et Royer Collard au sujet de la responsabilité du sujet aliéné. Le XIXsiècle sera ensuite rempli de ces débats passionnants et passionnés entre les partisans d’une psychiatrie« médico-philosophique » qui tentent d’instaurer les premières psychothérapies, quitte à inventer un espace, l’asile qui se révélera très vite inhospitalier, et ceux d’une étiologie organique sur le modèle de Bayle, transformant peu ou prou les aliénistes de ce siècle en médecins légistes et anatomo-pathologistes de fait. Pour imager les contestations antipsychiatriques de l’intérieur, Jacques Hochmann nous fait rencontrer quelques personnages hauts en couleur, Léon Sandon, Eugène Garsonnet et Hersilie Rouy. Les histoires vécues et racontées par ces héros de l’asile sont intéressantes car elles fondent leurs critiques de la psychiatrie non sur des idées et des théories, mais sur leurs expériences propres de la folie. Des romanciers, dont le plus connu reste Hector Malot, prendront également pour sujets de leurs écrits de telles histoires. Toute cette inflation d’informations, de rumeurs et de calomnies fera prendre conscience à la société que l’asile, d’abord présenté comme un progrès au décours de la révolution, est devenu un véritable enfer contre-productif et qu’il convient d’en dénoncer les travers et les vicissitudes. Le combat pour ou contre l’asile fera fureur et mobilisera de nombreuses forces pour le faire évoluer vers une psychiatrie à visage humain. Une anti-psychiatrie militante naîtra de ces tristes constatations, et des pratiques innovantes verront le jour à partir de quelques précurseurs tels que le baron Jaromir von Mundy et son point de vue sur le soin familial, Marandon de Montyel et l’open door, la naissance de la psychanalyse à Vienne et d’autres encore. Au début du XXe siècle, l’anti-aliénisme bat son plein et Albert Londres, le fameux journaliste qui laisserait son nom à un prix célèbre, allait engager un repor-tage sur l’état d’épouvante des asiles français. Quelques psychia-tres se distinguent cependant dans cette désolation, Maurice Dide et Edouard Toulouse, en ouvrant de nouvelles perspectives, notam-ment extra-hospitalières. Suivra l’épisode célèbre de la publication par le mouvement surréaliste de la lettre aux médecins d’asiles rédigée par Arthaud, Desnos et Fraenkel, immédiatement après le manifeste du surréalisme d’André Breton de 1924.

Toutes ces contestations devaient se conjuguer avec les ravages survenus pendant la deuxième guerre mondiale aboutissant à la mort de faim de quarante cinq mille malades mentaux hospitalisés dans les hôpitaux psychiatriques français. Les psychiatres se mobilisent alors pour inventer une autre réponse à la folie que la seule solution asilaire. Les acteurs de la psychothérapie institutionnelle (Balvet, Tosquelles), du désalié-nisme (Bonnafé très influencé par le surréalisme), de la psychiatrie communautaire (Paumelle, puis plus tard Hochmann), de l’organo-dynamisme (Ey) allaient provoquer une révolution théorique et pratique en imaginant la psychiatrie de secteur comme nouveau mode de soin psychia-trique. Cette psychiatrie qui devait attendre les années 1970 pour se mettre en place en France, allait susciter un engouement de quelques équipes militantes comptant sur ce nouveau modèle pour transformer les pratiques psychiatriques en les humanisant, tandis qu’un certain nombre de craintes sur le quadrillage des citoyens par un contrôle « flichiatrique » allait se développer en parallèle. Jacques Hochmann repère quatre artisans de l’antipsychiatrie de cette dernière partie du XXe siècle : Michel Foucault et son histoire de la folie à l’âge classique, Erving Goffman avec Asylum, Thomas Szasz avec Le mythe de la maladie mentale et enfin Jean-Paul Sartre avec sa Critique de la raison dialectique. Il décrit leur influence sur l’apparition des anti-psychiatries anglaises, américaines et italiennes, ainsi que les effets de ces grands courants sur la psychiatrie française, notamment par l’intermédiaire de Maud Mannoni. Jacques Hochmann propose une notion intéressante d’anti-antipsychiatrie, représentée principalement par Henri Ey et son organo-dynamisme, luttant contre le démantèlement de la psychiatrie par l’antipsychiatrie. Mais la quête d’une psychiatrie scientifique contre laquelle les antipsychiatres ont tant lutté continue d’alimenter un courant puissant aux Etats-Unis et dans le monde entier qui trouve son acmé dans le projet des DSM successifs, de plus en plus éloignés d’une pensée psychopathologique pour aborder une position athéorique qui ne trompe plus personne puisqu’elle se place désormais au service des industries pharma-ceutiques et d’une visée réductrice de la psychiatrie. Pour terminer son ouvrage, Jacques Hochmann, auteur de la plus rigoureuse étude sur l’histoire de l’autisme, nous invite à penser les organisations récentes d’associations de familles sur le mode d’une nouvelle antipsychiatrie, ce qui ouvre quelques perspectives fécondes pour penser ces mouvements trop haineux à l’image des combats entrepris par les quelques héros antipsychiatriques du XIXe siècle, mais aussi doit nous inviter à ne pas rester dans une position défensive, et à entreprendre les avancées nécessaires à une évolution humanisante de la psychiatrie, fût-elle pour les enfants autistes ! Avec sa sagesse habituelle, Jacques Hochmann conclut son livre par un appel à rassembler les différentes options de recherches fondamentales, hypothèses de travail psychopa-thologiques, et réflexions théoriques et institutionnelles dans une praxis intégrant les compétences des uns et des autres, sans exclusive, autour des malades mentaux, et avec eux et leurs familles : « comme le dit de son côté Eric Kandel, le cerveau n’est pas une caméra, mais un conteur d’histoires vraies ou folles, ces histoires ont encore leur place dans une réalité psychique, la réalité du rêve, du fantasme ou de l’imagination créatrice dont, face aux antipsychiatries toujours renaissantes, la psychiatrie a aussi pour mission de contribuer à défendre la spécificité paradoxale, quand leur narration est source de difficultés et de souffrance. »