Neuf mois pour devenir parents

Neuf mois pour devenir parents

Paul CesbronSylvain Missonnier

Editions Fayard, 2011

Bloc-notes

Neuf mois pour devenir parents

Neuf mois, c’est le temps qu’il faut pour mettre au monde un bébé. Mais ce bébé ne se fait pas tout seul, il lui faut des géniteurs, des adultes, un homme et une femme (en principe … mais un principe qui risque d’être modifié !) , qui deviennent ses parents. Le mot devenir a ici toute son importance, puisque les travaux des auteurs  ont largement contribué à montrer qu’un parent, c’est quelqu’un qui est passé par des processus psychiques complexes, les processus de parentalité, pour accéder à cette identité nouvelle, et que d’autre part, le parent est toujours – et reste – en devenir. « La naissance est un événement majeur que je qualifierai de « déménagement écologique » : le passage du « dedans » au « dehors », l’expulsion du bébé de sa caverne utérine, inaugurent une longue série de séparations qui ponctuent les grandes étapes de la biographie humaine ». Voilà comment, selon les termes de l’un des auteurs, S. Missonnier, la vie commence, mais le livre va explorer tout ce qui précède, aussi bien chez le fœtus que chez les futurs parents.

L’originalité de ce livre est qu’il est constitué par un dialogue pluridisciplinaire, entre un « médical » et un « psy », ce qui n’est pas si fréquent, et offre au lecteur de recevoir des informations et des réflexions issues de ces deux approches. Paul Cesbron, gynécologue-obstéticien, et Sylvain Missonnier, psychanalyste, tous deux spécialistes de la naissance, de la périnatalité et du bébé, confrontent leurs points de vue afin d’apporter au lecteur, une multitude de données, concernant cette période de la grossesse, de la naissance et des premiers temps de la vie du bébé. Dans un langage simple et accessible pour des publics élargis, professionnels mais aussi parents, ils parlent de leurs expériences qui se complètent. Ainsi, cette rencontre entre un spécialiste du soma et un spécialiste de la psyché, permet de dépasser le clivage entre corps et psyché, pour montrer que ce bébé est corps et esprit à la fois.

Le souci d’être accessible n’empêche pas les auteurs d’aborder aussi des questions plus spécifiques, comme le déni de grossesse, ou plus douloureux comme l’interruption de grossesse ou encore l’IMG, qui pose la question très complexe du sta e l’embryon. Face à cette tension entre humanisation et eugénisme, Sylvain Missonnier propose l’idée de « personne potentielle » pour désigner l’embryon et le fœtus.

Avoir un enfant dans la société contemporaine se situe dans un contexte radicalement modifié,  en particulier parce que la procréation ne concerne pas obligatoirement un couple hétérosexuel, mais peut-être le fait d’un homme ou d’une femme seule ou d’un couple homosexuel. Le déroulement de la grossesse réactive la question que les auteurs donnent comme titre à leur premier chapitre Un enfant pour quoi faire ? et pour laquelle, Sylvain Missonnier, en tant que psychanalyste, précise que les enjeux sont inconscients, au-delà du « projet parental » qui relève du conscient. Il faut soutenir que la grossesse n’est pas une maladie, malgré la médicalisation de la période de gestation et il faut tenir compte de la persistance des angoisses suscitées par cet « étranger à demeure », pour reprendre la belle expression de Anne Aubert, malgré les progrès de la médecine et la réduction radicale de la mortalité infantile. Le diagnostic anténatal est le terrain clinique où pourra se jouer une tragédie périnatale, d’autant plus dramatique qu’elle survient dans un contexte où le scientisme médical est omniprésent. La découverte d’une anomalie du fœtus/bébé et l’éventualité d’une IMG sont source de situations parentales particulièrement douloureuses, qui font l’objet du dialogue entre somaticiens et psys, afin de traiter au mieux la souffrance singulière, difficilement communicable, des parents.

La préparation à la naissance et à la parentalité est présentée par les auteurs avec toutes ses nouvelles modalités,  qui font de plus en plus place à une relation de soin « mutuellement éclairé », s’éloignant des prescriptions paternalistes. Et comme le rappelle Sylvain Missonnier qui pratique des groupes de parole de pères, elle devrait toucher de plus en plus les « apprentis papas ». La procréation médicalement assistée (PMA) modifie aussi considérablement les données de l’arrivée au monde d’un bébé et provoque des situations inédites, comme les réductions embryonnaires, ce qui génère de nouvelles psychopathologies, auxquelles sont confrontés les cliniciens. Dans ce contexte nouveau, les auteurs posent des questions en même temps anciennes et nouvelles. Que dire aux enfants issus de la PMA ? Faut-il accoucher à l’hôpital ou dans des maisons de naissance ? Les auteurs préconisent le « réseau périnatal » qui est une nouvelle façon pour les professionnels de travailler ensemble autour de la naissance et la famille. Faut-il programmer la date de l’accouchement ? Il devient de plus en plus difficile de faire admettre aux parents que ni eux, ni le fœtus ne détiennent la maîtrise du déclenchement de la naissance. Voilà le bébé qui est là. Ce bébé qui est une personne, comme on le sait depuis les années 70, et dont on a étudié les compétences, ce qui, selon les auteurs, appelle quelques mises en garde. « La résonance entre une idéologie néolibérale, vantant l’action trépidante du manager compétent, et le discours idéalisant sur les compétences du bébé peut déboucher sur une éducation activiste ». En effet, le petit humain reste malgré tout  marqué par la néoténie et sa dépendance première fait qu’il ne faut pas se passer de la présence de l’autre, ce qui n’arrange pas toujours des parents hyperactifs qui baignent dans une ambiance sociale qui privilégie à tout prix l’autonomie.

Et le retour à la maison ? Après la naissance, le bébé étant là, la mère rentrée chez elle, c’est le devenir-mère qui s’engage, mettant en jeu les identifications mère/fille, avec l’apparition du fameux baby blues. Mais parfois des situations cliniques beaucoup plus graves se présentent, comme infanticide ou la dépression postnatale qui exige des dispositifs de soin particuliers, comme les unités mère-bébé. Et si l’enfant, atteint d’un handicap, n’est pas conforme à l’image de la normalité, c’est un tout autre parcours qui se présente aux parents, qui devraient alors bénéficier d’un soutien et d’une prise en charge attentive et compétente. A la fin de la lecture de cet ouvrage, le lecteur a été convaincu par les auteurs qu’on ne peut plus s’en tenir à une approche de la périnatalité qui serait « unijambiste », uniquement psychique ou somatique. D’où l’intérêt, pour ne pas dire la nécessité, de la présence des psys dans les services de maternité, qui fait l’objet du dernier chapitre du livre.