Si l’intervention de l’Assistante Familiale auprès des enfants qu’elle accueille a donné lieu à de nombreuses publications, celle de son conjoint reste dans l’ombre.
E. Martins s’y est intéressée et, à l’issue d’une recherche universitaire en Sciences de l’éducation, pose dans son ouvrage une double question. Quelles représentations les conjoints d’Assistantes Familiales se font-ils de leur rôle, et en quoi ces représentations sont-elles liées à celles des travailleurs sociaux des
services d’accueil familial ? En filigrane se devine une interrogation quant à l’influence exercée par ces hommes dans la vie des enfants concernés.
Après avoir situé les sources du Placement Familial dès les débuts du christianisme,
l’auteure présente un état des lieux de cet accueil, en France, aujourd’hui. Les principes qui le fondent ont été clairement réorientés depuis quelques décennies. La fonction de suppléance momentanée s’est imposée contre celle de substitution familiale. L’objectif prioritaire de cet accueil est devenu : la réparation d’un lien familial fragilisé. Et puisqu’il est d’emblée question de famille, E. Martins s’arrête sur la manière actuelle de considérer la « paternité », de différents points de vue (juridique, social, psychologique et psychanalytique). Les transformations de la structure familiale (naissance d’enfants hors mariage et fréquence des familles recomposées) ont remodelé l’intervention des pères auprès des enfants.
Que peuvent, dans la perspective qui nous occupe, nous apprendre sur la paternité les configurations familiales actuelles (nouveaux couples, homoparentalité) ? Le lien affectif qui s’y construit repose sur l’expérience. Il n’a à voir ni avec un lien biologique, ni avec un lien juridique ; il naît d’un quotidien partagé. Le concept de « paternité sociale » rend compte de cette relation complexe et fragile qui peut toujours être concurrencée par la paternité légale. Le conjoint d’Assistante Familiale vit lui aussi ce quotidien partagé, avec un enfant confié à son épouse (indirectement à lui ?).
A son propre domicile, il voit son statut transformé par le métier de sa compagne. D’une part il est père au sein de son foyer, d’autre part il est partenaire non rémunéré du couple d’accueil. Qu’en découlera-t-il pour son autorité familiale ?
Les services de Placement Familial, attendent de lui une intervention auprès de l’enfant confié. Mais, l’absence de reconnaissance légale de sa place, ne permet qu’une collaboration fondée sur la volonté des uns et des autres. Autant dire sur des attentes et représentations subjectives, divergentes et inégalement explicitées. Comment chacun de ces hommes, chaque travailleur social, négociera-t-il cette disparité ?
L’enquête d’E. Martins réunit les témoignages de 26 conjoints et 7 travailleurs sociaux, issus de 3 services de Placement Familial différents. Elle s’attache à élucider puis à mettre en vis-à-vis certaines de leurs représentations pour décrire le travail commun – formel ou informel – qui s’instaure ou non, entre ces hommes et les travailleurs sociaux des services.
Comment s’étonner que le modèle familialiste domine les représentations des conjoints quant à leur rôle auprès des enfants accueillis lorsqu’on prête l’oreille aux termes « d’Assistante Familiale » ou de « Placement Familial » ? Bien des travailleurs sociaux emploient le terme de « père d’accueil ». Quel lien unit donc le conjoint d’Assistante Familiale à l’enfant accueilli ? Quelle forme de paternité se sent-il exercer aux différents sens évoqués précédemment ? Les interviews explorent quelques domaines considérés comme représentatifs de la fonction de ce conjoint auprès des enfants accueillis.
– Comment souhaitent-ils être appelés ? Et partant, à quelle place se voient-ils vis-à-vis de l’enfant ?
– Quelle utilité accordent-ils dans l’éducation des enfants à l’existence d’un couple stable et à leur présence auprès de l’Assistante Familiale ?
– En quoi se sentent-ils amenés à « faire autorité » auprès des enfants confiés ? Et quelle légitimité se reconnaissent-ils ?
– Ont-ils envie de transmettre ce qu’ils ont acquis eux-mêmes par leur éducation et au fil de leur propre histoire ? Les enfants accueillis vont-ils bénéficier d’une sorte de prolongation de la vie familiale ou d’un style éducatif propre à la situation d’accueil ? Les services sociaux, s’attendent implicitement à ce que la cellule familiale entière prenne en charge l’enfant confié. Mais comment les obligations extérieures du conjoint d’Assistante Familiale (non salarié par le Placement Familial) seront-elles prises encompte ? Quels efforts les services feront-ils pour permettre à cet homme de s’impliquer autant que nécessaire lors de rencontres avec les travailleurs sociaux ?
Cette étude met en lumière l’impact de l’intervention (ou de la non-intervention) du conjoint d’Assistante Familiale dans l’éducation des enfants confiés. Il est une sorte de « bénévole latent ». Et, en l’absence de toute formalisation légale, les pratiques ne peuvent être qu’hétérogènes. Des travailleurs sociaux hommes interrogés (plus que les femmes) souhaiteraient que soit comblé ce vide juridique.
Actuellement, la loi de 2005 (postérieure à l’enquête dont il est question ici) entrouvre une porte en autorisant le remplacement temporaire de l’Assistante Familiale à son domicile par un membre de sa famille. Le conjoint est alors le plus souvent désigné. S’agirait-il là des prémisses d’une officialisation de sa fonction de père au sein d’une famille qui, dans son entier, fait profession d’accueil ?