Soigner les fous

Soigner les fous

Michel Caire

Editions Nouveau Monde, 2019

Bloc-notes

Soigner les fous

Dès l’Antiquité, les médecins se sont attelés à guérir, soigner ou soulager les troubles de l’esprit. Chaque époque a disposé d’un large éventail de remèdes, issus à la fois de l’observation clinique, mais également des diverses théories médicales qui se sont succédées comme le démontre avec beaucoup de précision cet ouvrage. La diversité de ces traitements contre la Folie (au sens large) s’explique par des modifications épistémologiques, par des évolutions de la nosologie qui a exclu certaines pathologies pour les réintégrer plus tard sous d’autres formes.

L’auteur, psychiatre, Docteur en Histoire et ancien Président de la Société Médicale des psychiatres des hôpitaux, procède à un inventaire extrêmement complet et détaillé des modes de traitement des troubles mentaux. On ne peut qu’être frappé par l’infinie variété et la sophistication des tentatives de traitement des troubles psychiques dans l’histoire de la médecine. Depuis toujours, les médecins ont tenté d’apaiser la douleur morale ou de rechercher un retour à la raison en multipliant les traitements. Cependant, certains remèdes décrits dans cet ouvrage procèdent plus de la contrainte, de la répression, de la punition ou du châtiment que du soin.

M. Caire commence par décrire les traitements qui s’appuient sur la théorie des humeurs d’Hippocrate et cherchent à purger le corps contre les humeurs viciées qui l’empoisonnent provoquant la folie. Purgatifs et émétiques sont prescrits depuis l’Antiquité. Les fous de l’Hôtel-Dieu de Paris, au Moyen Âge, sont purgés « par le haut et par le bas », pratique qui connaîtra un regain de popularité au XIXe siècle quand on considérera la mélancolie comme une forme de maladie toxico-infectieuse. Bien sûr, la saignée tient une place centrale dans cet arsenal médical.

Injection, inhalation ou encore hydrothérapie étaient familières des Romains. Ces thérapeutiques ont connu des « raffinements » tout au long de l’histoire avec les « bains surprises », l’immersion forcée ou les douches glacés. M. Caire montre bien comment ces « traitements » étaient basés sur des théories de l’époque, en l’occurrence la théorie des fluides. Fumigation (fumigation matricielle dans les cas d’hystérie), héliothérapie, chromothérapie sous forme de bains de couleurs sont pratiquées tout au long du XIXe siècle. Dans les traitements par fluide, il faut ranger l’électrothérapie qui prétend également agir sur la folie. Il faut ajouter le magnétisme minéral qui donnera les traitements par hypnose développés à l’École de Nancy ou celle de la Salpêtrière.

Les traitements dits mécaniques ont eu une certaine vogue dans les asiles d’Europe occidentale et aux États-Unis au XIXe siècle. Ils permettaient surtout de réduire l’agitation de certains patients et semblent plus relever de dispositifs de contention voire de punition comme la chaise tournante ou la machine à secousses. Les traitements par vibrations et massages permettent de lutter contre la mélancolie comme la chaise de poste ou le « trémoussoir » de l’abbé de Saint-Pierre ou le diapason du docteur Vigouroux. Relevons, pour l’anecdote le recours à la tige vibrante de Boudet de Pâris, le percuteur de Mortimer-Granville contre l’hystérie et les idées fixes ou encore le fauteuil trépidant de Charcot ou le casque vibratoire hypnotique de Gilles de la Tourette contre les accès mélancoliques, hystériques et neurasthéniques.

Partant du postulat qu’un événement peut avoir un effet salutaire chez le malade aussi bien que provoquer un trouble mental, les thérapies par choc émotionnel cherchent à ébranler fortement le système délirant. Ainsi, la littérature médicale recense de nombreux cas de guérison provoquée par une émotion violente (qui tiennent parfois de la guérison miraculeuse) à la suite de visites inopinées de la famille ou des sorties prématurées de l’asile, première conscience la psychose asilaire. Ce sont ces observations qui donneront plus tard la psychothérapie institutionnelle. 

 Contre les excès des « ravages de l’amour », des « folies utérines », des « désirs vénériens », ou des folies onanistes qui , cela est bien connu, rendent fous, on utilise des anaphrodisiaques (camphre, bromure, etc.). Contre l’excès de continence, qui risque d’entraver l’excrétion des humeurs et conduire à la folie également, le mariage est recommandé dans les états hystériques ou mélancoliques. Bien sûr, c’est là un remède d’ultime recours, car l’excès de coït conduit à la démence. En l’absence de partenaire, la masturbation peut être prescrite. Ainsi la « confrication de la vulve » prescrit dès l’Antiquité dans le cas des femmes atteintes de « suffocation de la matrice » et recommandée par Ambroise Paré. Mais elle doit être uniquement pratiquée par une sage-femme. On lui préféra la compression des ovaires plus respectueuse de la pudeur.

Un chapitre est consacré aux traitements par choc : inoculation du paludisme ou coma hypoglycémique, injection convulsogène de camphre ou de térébenthine, malariathérapie, injection de vaccins ou de sérum (relevons la prise hebdomadaire de sérum de cheval). La convulsivothérapie, chimique ou électrique, est à classer également dans les traitements de choc. 

La chirurgie cérébrale était peut-être déjà pratiquée dans les temps préhistoriques comme le prouverait la découverte de cranes fossiles trappés. Cette pratique semble assurée au Moyen Âge et à la Renaissance par les peintures flamandes du XVe et XVIe siècle qui illustrent l’extraction de la pierre de folie. Elle connaît un essor avec la découverte de l’antisepsie et de l’asepsie. À la fin du XXe siècle, la psychochirurgie se développe alors avec l’idée que les troubles mentaux trouvent leur étiologie dans des lésions cérébrales. Elle a donné naissance à la tristement célèbre lobotomie pour supprimer les délires et les hallucinations, mais aussi à la castration ou à l’aviérioctomie pour traiter la nymphomanie ou encore l’excentrique technique d’exodontie ou d’avulsion des dents du docteur Cotton qui pensait lutter contre la propagation des toxines issue de la dentition, cause selon lui de la schizophrénie. Critiquée par de nombreux psychiatres depuis sa naissance, la psychochirurgie décline dans les années 1950 et laisse la place à la neurochirurgie fonctionnelle témoignant du passage d’une conception localisationniste à une vision connexionniste des réseaux cérébraux. Dans cette perspective, la neurostimulation cérébrale non mutilante peut s’avèrer efficace sur les maladies de Parkinson, la chorée de Huntington ou le syndrome de Gilles de la Tourette et tend à s’appliquer aussi aux T.O.C. ou aux dépressions. 

Les traitements par phytothérapie précèdent les traitements chimiques. La mandragore était déjà citée dans le Talmud pour lutter contre la mélancolie et le suicide, la belladone était connue depuis longtemps pour ses effets contre les accès maniaques. Après les travaux de Moreau de Tours au XIXe siècle le recours à l’opium et au haschisch contre la manie et les délires tiennent une place importante dans la pharmacologie des aliénistes. Puis avec l’invention de la chimie moderne, les aliénistes ont recours à l’éther contre les exaltations hystériques et épileptiques ou au chloroforme pour traiter les « aliénés bruyants ».

Le dernier chapitre traite de l’invention des psychotropes et de la psychopharmacologie moderne. Il apparaît surtout, à la lecture de cet ouvrage que la folie est une maladie et que son traitement relève uniquement de la médecine. Tous traitements décrits ici ont participé à la naissance de la spécificité médicale au XIXe siècle : l’aliénisme qui devient la psychiatrie au XXe siècle. En cherchant à trouver le remède qui guérit de la folie, la psychiatrie tenait là sa justification. En filigrane de la lecture de cet ouvrage, on découvre une histoire du pouvoir médical, de l’emprise de la psychiatrie sur les corps et des tentatives de soumission des corps et des esprits sous couvert de soins.