Il est rare, exceptionnel, voire inédit, qu’un personnage de roman soit aussi — et en même temps — une personne de chair et de sang. C’est pourtant ce qui s’est passé dans l’affaire Émile Ajar/Paul Pavlowitch. Il s’est agi d’une machine infernale, d’un double jeu autour du « je » qui a commencé en comédie et s’est terminé en tragédie par le suicide du démiurge (Romain Gary). La mascarade littéraire avait été éventée à la mort de Gary en 1981, mais on apprend en lisant ce livre qu’au cours des quarante années qui ont suivi et jusqu’à aujourd’hui, ce jeu pervers a envahi, phagocyté, obéré la vie de Paul Pavlowitch, cousin de Gary, son homme de paille et de plume. Au terme de sa vie, celui-ci prend la parole une dernière fois dans un ouvrage épais, qui est, pour une part, un assemblage de souvenirs de ceux qu’il a aimés et qui ont disparu ; pour l’autre un règlement de compte posthume vis-à-vis de son machiavélique cousin.
Dès l’avant-propos Pavlowitch annonce la couleur : « Après les aventures d’Émile Ajar, plus de quarante années se sont écoulées durant lesquelles j’ai dû vivre. Avec le temps, on aurait pu penser se calmer, être tiré d’affaire. Pas du tout. C’est que depuis j’ai dérouillé. Et je pérore nettement moins ». « La mort est ma voisine », ajoute-t-il.
Rappelons la réalité du stratagème inventé par Gary : il avait chargé Paul Pavlowitch d’incarner au sens propre le personnage fictif d’Émile Ajar, son pseudo, au cours et au terme de quatre ouvrages en huit années, dont l’un — La vie devant soi — a obtenu le prix Goncourt que Gary avait déjà obtenu une première fois sous son nom.
Pavlowitch s’était…