Transmettre (ou pas)

Transmettre (ou pas)

Jean-Pierre Winter

Editions Albin Michel, 2012

Bloc-notes

Transmettre (ou pas)

Cet ouvrage rassemble les textes de trois conférences données par Jean-Pierre Winter au début de l’année 2012 au Collège des Bernardins sur le thème Les défis de la transmission. L’auteur s’interroge sur les processus à l’oeuvre dans l’enseignement, dans les héritages familiaux et dans les traditions religieuses. En matière d’enseignement il avance que si la relation reste uniquement verticale, les enfants n’apprennent pas, surtout les adolescents et ce pour une raison que la pratique de la psychanalyse a mis en évidence. La plus grande résistance qui puisse s’opposer à l’enseignement est ce que Freud appelle à la fin du texte intitulé Analyse finie, analyse infinie le « roc » de la castration. L’adolescent, surtout un garçon, ne supporte pas d’être rendu passif par un enseignant. Les garçons ne veulent pas admettre qu’un autre puisse savoir mieux qu’eux au point de vouloir leur inculquer une manière de faire entendue comme une manière d’être. Cela les rend fous de rage… « Ecouter, obéir est pour eux l’équivalent d’une position féminine insupportable.» Pour remédier à cette difficulté l’auteur suggère de leur donner non pas un professeur mais quelqu’un avec lequel ils cherchent. Il s’oppose au travail en groupe proposé dans certains établissements car ce dernier crée des difficultés liées à la psychologie de groupe, il préfère de loin le binôme avec un maître qui est là sans exercer une trop rigide volonté pédagogique.      Telle serait ma position :  « réformer les études de façon à favoriser chez les ados et même chez les enfants, la passion de la recherche au sens du déchiffre-ment, en favorisant l’échange avec un autre. C’est peut être un moyen de contourner la passion négative de rejeter ce qui leur est donné.
Le but de l’enseignement n’est pas de bourrer les crânes mais de laisser émerger non pas bien sûr un savoir déjà tout constitué mais une curiosité, une vie de la pensée qui existe en chacun ». On peut néanmoins même si on doute de leur réalisme s’inspirer de ces propositions très séduisantes, tirées d’une longue pratique de la psychanalyse, « antipédagogie qui prescrit aux pédagogues de ne pas contrarier le rapport à la castration, c’est-à dire le rapport   à l’incomplétude de l’être.»  

La deuxième conférence, qui constitue le second chapitre de l’ouvrage, aborde le problème des transmissions paradoxales dans les familles. Avec un rappel à l’ordre freudien pour commencer. Puisque le surmoi est en grande partie inconscient nous ne savons pas ce que nous transmettons, ce qui fait dire à J.-P. Winter que non seulement « les parents qui s’obstinent à vouloir transmettre ce qu’ils « savent », ce qu’ils veulent donner, négligent le fait que ce n’est pas ce qu’ils auront décidé de léguer qui se transmettra, mais trop souvent leur insistance fermera pour l’enfant la possibilité de se transmettre à lui-même ce qu’il a à accepter de ce qui lui revient du plus lointain passé ». A la place du transgénérationnel qui vient ici à l’esprit, l’auteur préfère le terme d’« héritage archaïque » qui laisse une plus grande place au « libre arbitre ». A l’aide de vignettes cliniques, il montre comment l’angoisse et ses symptômes : phobies, inhibitions, crises d’asthme etc. peut se transmettre de génération en génération, en l’absence même de l’événement qui en était la cause.

Enfin troisième thème : la trans-mission des religions. Evoquant au passage le rapport de Sigmund Freud au judaïsme, J.-P. Winter rappelle qu’un défaut de trans-mission du sacré peut être générateur de troubles existen-tiels. Exemple : Franz Kafka qui en a voulu à son père de n’avoir rien reçu de l’ordre de la tradition religieuse. La voix du sacré, c’est la voix du père qui parlerait aussi bien par lechofar de la religion juive que par les cloches des églises ou la voix du muezzin. Chacune des trois religions aurait donc un instrument pour perpétuer cette voix du sacré de siècle en siècle. Chacun pourra ou non trouver des réponses à ses questions à la lecture de ces trois conférences brillantes et érudites sur la transmission qui font référence aux philosophes du passé, à la Bible à Freud, à Lacan….