Psychomotricité(s)… Entre pratiques et théories  
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Psychomotricité(s)… Entre pratiques et théories  

Introduire et présenter un dossier thématique du Carnet Psy sur la psychomotricité « entre pratiques et théories » exige d’abord de dire que c’est le tout premier dossier présenté sur ce thème dans la revue (depuis 274 numéros et plus de 30 ans d’existence) ; ce qui paraît plus qu’étonnant : presque « symptomatique ». En tout cas, ce qui nous dit quelque chose d’une indéniable difficulté à publier sur la psychomotricité (autant sans doute du côté de la « productivité » des psychomotriciens que de l’accueil et de l’écoute des collègues psy) et révèle de fait une certaine forme de résistance à ce genre de publications.

Dans une revue d’orientation psychanalytique, mais ouverte à la diversité des pratiques de soins psychiques et aux équipes de santé mentale (de psychologie, de psychiatrie, de psychanalyse) qui a exploré dans toutes les directions à peu près tous les objets cliniques et théoriques, et tous les dispositifs de soins et de psychothérapies, cette absence totale, cette troublante vacuité a du sens, et témoigne à tout le moins d’une zone frontière, « aux limites », et d’un certain embarras.

Au double titre des pratiques multiples de thérapies autant que de rééducations psychomotrices et du point de vue psychomoteur dans et sur le développement de l’enfant et la psychopathologie développementale qui s’en déduit, la psychomotricité semble considérée, avec bienveillance sans doute, mais aussi un peu de condescendance, comme une « petite main », une « discipline associée » et avec beaucoup de méconnaissance et de préjugés alimentant dans une spirale enfermante le « complexe du psychomotricien ».

La formation courte (la plus courte des professions paramédicales), la piètre reconnaissance dont nombre de praticiens disent souffrir, le statut de « technicien » intermédiaire, ainsi que la forte accentuation d’une dimension technico-pratique d’orientation rééducative ou réadaptative (ensemble assez kaléidoscopique de savoir-faire, de techniques et médiations utilisées assez généralement dans le soutien au développement de l’enfant, avec le risque peut-être d’une centration discutable sur le « symptôme ») ; mais au moins autant – et a contrario – la proximité troublante avec l’exercice authentiquement psychothérapeutique des psychologues, analystes et divers thérapeutes, additionnée de nombre d’enjeux de « territoires » animés comme il se doit par le « narcissisme des petites différences » (Freud, 1930), fait de cet objet « psychomotricité », autant un intérêt modeste, qu’un repoussoir embarrassé.

Le pari, le parti pris, de la coordination de ce présent dossier, s’est donc assumé (par quelqu’un qui navigue depuis toujours d’une double formation et se faisant une « obligation » de faire travailler et de lier ces « petites différences » et dans une certaine forme de militantisme, voire de « résistance à la résistance ») pour dire combien il était temps et qu’il était enrichissant, de faire un certain « état des lieux » des pratiques thérapeutiques au demeurant (c’est reconnu par tous) extrêmement précieuses dans la clinique – à tous les âges de la vie¹ – qui se regroupent sous l’étiquette de thérapies psychomotrices, tant dans une dimension historique qu’actuelle de ces praxis… Mais qu’il était aussi d’un grand intérêt d’inscrire cette tour de Babel des pratiques psychomotrices dans une unité théorique : celle – héritée de son père fondateur Julian de Ajuriaguerra – du point de vue psychomoteur et du « corps-en-relation » ou disons du « nouage psychomoteur » et du « fonctionnement des fonctions » (Joly, 2010). Cette approche dépasse de très loin et transcende (entre corps et psyché, et entre développement et psychopathologie) le seul catalogue des techniques et de leurs éventuelles indications différentielles ; mais témoigne plus authentiquement d’un vertex essentiel sur le développement, ses avatars et autres souffrances globales ou plus spécifiées et instrumentales, et in fine porte une théorie du lien corps/psyché extraordinairement complexe et féconde pour la psychopathologie générale.

Nous avons donc réuni ici quelques articles (nous permettant de renvoyer à l’immensité des travaux, articles, revues et collections spécialisées) de publications psychomotrices pour tenter de témoigner de cette double valence et de l’intérêt de la psychomotricité. Françoise Giromini rappelle quelques éléments de l’histoire et de l’identité des pratiques de psychomotricité ; Catherine Potel déploie avec un grand talent clinique quelques réflexions sur le cadre et la technique en thérapie psychomotrice ; Benoît Lesage montre, entre expressivité et développement, une vision hyper-complexe et passionnante pour l’approche la clinique du corps des schèmes toniques, posturaux et moteurs ; Jérôme Boutinaud soutient, quant à lui, une élaboration des pratiques psychomotrices et de leurs enseignements dans la confrontation différentielle au modèle de l’autisme et aux différentes formes de psychoses et de dysharmonies de l’enfant ; Bernard Meurin présente ici une synthèse de l’apport si fondamental de l’école sensori-motrice d’André Bullinger qui a révolutionné, bien au-delà du champ de la psychomotricité, la recherche sur le corps et le développement « vie durant » ; Isabelle Charpine développe avec beaucoup de finesse et au regard d’une très longue expérience l’approche psycho-corporelle des troubles de l’adolescence ; et Fabien Joly externalise enfin (à partir des cliniques psychomotrices et dans l’héritage direct de Julian de Ajuriaguerra ou Jean Bergès), une vision psychomotrice de et dans la psychopathologie développementale, sorte de « garde-fou » entre neurosciences, psychologie du développement et psychanalyse, là où « le nouage psychomoteur » révèle l’enjeu fondamental du corps et des liens corps/psyché pour le petit d’homme en développement !

Note

1. Il y a longtemps déjà dans le cadre d’une enquête de la SFPEADA sur les soins en pédopsychiatrie – rassemblée par Jean-Louis Lang – quelques lignes très modestes se dépliaient pour dire combien les chefs de service et professeurs interrogés témoignaient qu’ils avaient dans leur service un(e) (voire des) psychomotricien(nes) chevronné(es) à qui ils adressaient des cas très difficiles et qui faisaient – je cite – des « miracles cliniques » avec un « indéniable savoir-faire thérapeutique », mais que lesdites pratiques étant tellement multiformes et peu théorisées qu’in fine ces « indications » et outils soignants n’apparaissaient à aucun endroit dans la partie scientifique et évaluative de l’enquête ! Ou qu’elles devaient être « rangées » dans les multiples formes d’aides éducatives et rééducatives à inventer au cas par cas avec leurs équipes !

Bibliographie

• Freud, S., 1930. « Malaise dans la culture », in OCFP. Tome XVIII, Paris, Puf, 1994.

• Joly, F., 2010. « TIC, TAC, TOC, TED et THADA : la fonction et le fonctionnement », in Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, n°58.

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