Psychothérapie et réalité virtuelle
article

Psychothérapie et réalité virtuelle

L’utilisation de jeux vidéo dans les pratiques thérapeutiques est récente et peu connue bien que cette pratique ait déjà fait l’objet de plusieurs publications (Virole, 2003 ; Stora, 2006). On peut distinguer trois types d’usage. Le premier usage est centré sur la médiation cognitive. Le thérapeute utilise la réalité virtuelle pour remédier aux difficultés cognitives, acquises ou développementales, de son patient. Par exemple, des enfants présentant des troubles de l’attention sont aidés par l’usage de systèmes stimulant l’attention tout en imposant un contrôle moteur.

Le second type d’utilisation correspond à des pratiques comportementalistes. Les plus connues concernent le traitement des phobies, où les sujets peuvent être progressivement désensibilisés aux situations anxiogènes par une exposition virtuelle aux objets phobiques.

Le troisième type d’usage est plus extensif et c’est lui qui fait l’objet de cet article. Il concerne toutes les techniques où la réalité virtuelle est utilisée en tant qu’espace de réalisation d’une intention, consciente ou inconsciente, du patient. Les mondes numériques simulent, auditivement et visuellement, des espaces géographiques, réels ou imaginaires, avec lesquels le joueur va se coupler. Le concept de couplage désigne les interactions dynamiques existant entre les processus de pensée (perception, attention, analyse, raisonnement, décision, intention, action) et les processus numériques (affichage, commandes, déplacement d’objet, événement). La projection de la pensée du joueur se concrétise par les mouvements d’un objet numérique nommé avatar. Généralement figurine anthropomorphe, il peut être aussi un objet mobile, voire simplement un curseur, jouant la fonction d’actant. L’intention du joueur se matérialise dans un acte projeté dans le monde virtuel. Ce processus nécessite que le joueur attribue au monde une certaine réalité phénoménologique (Virole, 2007). Ce phénomène de l’immersion fournit le cadre spécifique qui va permettre la projection de l’intentionnalité. La capacité du joueur à s’extraire de la situation virtuelle et à l’analyser pour agir sur elle démontre que l’immersion n’est pas un ensemble de réflexes mais un processus cognitif de haut niveau nécessitant une intentionnalité réfléchissante.

La technique de jeux vidéo en psychothérapie consiste à appréhender le jeu comme un espace d’expérience projective susceptible d’opérer les conditions d’un changement de soi. En pratique, le thérapeute laisse le patient choisir un jeu vidéo -ou plusieurs successivement- dans un ensemble présélectionné et “joue” avec lui pendant tout ou partie de la séance. La sélection du jeu, sa signification symbolique, le choix des avatars, la façon dont le patient joue, ses réactions aux aléas, ses décisions, ses commentaires, ses émotions, ses dialogues, deviennent le matériel manifeste à partir duquel le thérapeute effectue son travail d’interprétation, en tenant compte de la connaissance clinique qu’il a de son patient et sa compréhension du transfert. Le thérapeute se place dans une position active d’attention partagée avec son patient. Grâce à cette co-pensée, l’enfant se sent porté par l’attention du thérapeute. Il en éprouve une sécurité et une fierté qui trouvent leurs sources psychiques dans les éprouvés de la toute petite enfance et la relation mère-enfant. Ceci est illustré par le besoin constant que les enfants ont de s’assurer que le thérapeute est bien présent avec eux, authentiquement immergé, dans le monde virtuel.

La plupart des jeux vidéo présentent des quêtes dans des environnements figuratifs très variés. Ces quêtes initiatiques sont prises très au sérieux par les jeunes qui investissent psychiquement beaucoup dans leur réussite. L’absence de rites initiatiques dans nos cultures amène les adolescents à rechercher des espaces de transformation symbolique de soi. Dans le cadre des psychothérapies, l’accompagnement par le thérapeute de la quête virtuelle du patient est particulièrement important mais est aussi parfois délicat à gérer sur le plan transférentiel.

Sur le plan des indications cliniques, il n’existe pas de relation univoque entre une configuration psychopathologique et l’usage de tel ou tel jeu. Toutefois, trois exceptions peuvent être soulignées. L’une concerne les enfants autistes, pour qui il est bon de disposer de jeux en deux dimensions car ces enfants ont des difficultés à intégrer les mondes en 3 D. Pour les enfants “hyperactifs”, les jeux de circuit présentent l’intérêt d’assumer l’hyperstimulation et de calmer l’enfant, permettant alors un couplage des pensées avec le thérapeute. Enfin, les jeux de parcours offrent aux enfants psychotiques la possibilité d’une expression symbolique de leur toute-puissance.

Rappelons qu’une psychothérapie “mono-technique” qui serait exclusivement axée sur les jeux vidéo serait vouée à une réduction préjudiciable. L’enfant a besoin de représenter ses pensées et ses éprouvés internes par des contenus symboliques différents. Toutefois, on observe des adolescents qui privilégient exclusivement le jeu vidéo en séance. C’est souvent là l’expression d’une résistance à la relation thérapeutique que le thérapeute doit chercher à lever. Mais il faut aussi comprendre que l’acte virtuel est une certaine forme de “parole”. L’acte virtuel possède en effet sa propre signature métapsychologique. Sur le plan économique, il court-circuite l’effort physique et fournit un gain de plaisir. Sur le plan dynamique, l’acte virtuel est motivé par un compromis entre la réalisation de désir et les contraintes de la réalité virtuelle. Sur le plan topique, il concrétise un fantasme dans un espace transitionnel entre inconscient et réalité.
Loin d’être un abrutissement imbécile, le jeu vidéo, utilisé à bon escient à l’intérieur de l’élaboration psychothérapeutique, peut être considéré comme une excursion créatrice. Elle interroge le patient sur les limites de sa recherche du plaisir et l’invite en retour à se soumettre au principe de réalité.