Janine Chasseguet-Smirgel, psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris, est décédée le 5 mars 2006. Née à Paris en 1928 de parents originaires d’Europe centrale, elle laisse une oeuvre importante qui a été diffusée hors de France, surtout aux Etats-Unis et en Amérique latine mais aussi dans la vieille Europe, notamment en Italie, en Autriche et en Allemagne où elle se rendait fréquemment avec son mari Béla Grunberger pour y donner des conférences et des supervisions cliniques.
Après l’obtention d’un diplôme à Sciences-Po, elle s’engage avec passion dans ses deux analyses personnelles et devient rapidement psychanalyste puis membre formateur de sa société. Elle occupera aussi d’importantes responsabilités institutionnelles tant à la Société psychanalytique de Paris dont elle fut la présidente de 1975 à 1977 qu’à l’Association psychanalytique Internationale où elle fut élue vice-présidente de 1983 à 1989. Pendant cette période, elle organisa le congrès de l’Association Internationale à Hambourg où sa complicité avec le bourgmestre von Dohnanyi, fils d’un résistant à Hitler exécuté par les nazis, consacra le retour du mouvement analytique en Allemagne. Issue d’une famille juive décimée par la barbarie nazie, elle inaugura des échanges où se confrontèrent, sur le plan clinique, des cures d’enfants de victimes et d’enfants de bourreaux.
La portée de son oeuvre est étendue. Après une recherche sur la sexualité féminine où elle conteste la théorie freudienne de l’envie du pénis et de la castration féminine, elle s’engage dans l’étude du processus créateur et de ses liens avec la perversion. Cette réflexion aboutit aussi à une remise en question de l’Idéal du moi dont elle fit un rapport présenté au Congrès des psychanalystes de langue romane, en 1973, sous l’intitulé « Etude psychanalytique sur la maladie d’idéalité« .
La psychanalyse appliquée aux faits sociaux la passionna sa vie durant. Avec Béla Grunberger, ils publièrent en 1969, sous un pseudo L’univers contestationnaire. Étude psychanalytique. Cet ouvrage qui analysait les sources du mouvement « gauchiste » donna lieu à un très vif débat, voire à une crise, tant au sein de la S.P.P. que dans le socius. La thèse qu’elle défendait lui fit dire qu’elle préférait avoir raison avec Raymond Aron que tort avec Sartre. C’est la place de l’analyste dans la culture et dans la société qui était en jeu et allait animer un débat qui se poursuit encore aujourd’hui.
Pendant les 30 années suivantes et encore dans son dernier livre de 2003, Le corps comme miroir du monde, elle s’attache à comprendre le destin des pulsions destructrices dans les perversions comme dans les moments créateurs chez des auteurs comme Sade, Mishima, Pasolini. Avec ses dernières forces, ce samedi 25 février 2006, pendant une journée d’hommage à l’oeuvre de Béla Grunberger (à l’occasion du premier anniversaire de sa mort), elle défendit ses thèses avec cette même passion quotidienne que ses amis admiraient tant chez elle.
Soulignons aussi que son amour de l’enseignement la conduisit à devenir, en 1992, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’Université de Lille. Une grande dame de la psychanalyse française vient de disparaître.